"Aucun effort n’a été fait pour étudier systématiquement les effets à l’échelle nationale des essais nucléaires atmosphériques jusqu’à ce que le Congrès a ordonné une étude, qui a finalement été terminée 15 ans plus tard. Lors de l’audience tenue en Septembre 1998, Bruce Wachholz - chef de la branche effets des radiations de l’Institut national du cancer - a affirmé que les résultats de base ont été connus dès 1989 et qu’un projet de rapport final a été terminé en 1992. Pourtant, aucune de ces informations n’a été rendue publique dans les cinq cinq années qui ont suivi". Le gouvernement US a constamment joué la montre : en espérant ainsi, très certainement, faire baisser le rayonnement subsistant pour minimiser ces erreurs. Tout en continuant la tradition des mutilations animales près des zones les plus touchées, en prenant bien soin de laisser des traces interprétables comme étant des opérations "extraterrestres". L’accrochage, en particulier de corps d’animaux sacrifiés en haut des poteaux téléphoniques étant fait uniquement pour suggérer la thèse soucoupiste, comme on a déjà pu le voir dans un épisode précédent.
Beaucoup d’essais, donc, et beaucoup de tests, et donc pas mal de transports entre les sites de production et les bases où utiliser les bombes produites. A quoi on ajoute l’incroyable période et sa paranoïa, qui fait que des deux côtés, on a décidé d’avoir des avions armés de bombes nucléaires sillonnant le ciel 24h sur 24. C’est la principale source d’incidents, des crashs aériens comportant des avions du Strategic Air Command, notamment. Des avions que l’on va appeler des "flèches brisées", en l’honneur d’un
film de 1950 du même nom (devenu
feuilleton télévisé de 1956 à 1958... Hollywood y reviendra avec un
navet dont il a le secret... signé John Woo, roi actuel du nanard filmé). Les bombes se rapetissent, après les délires de Bikini. Avec la Mark5, les USA réalisaient par exemple leur
première bombe de taille réduite : 1,11 m de diamètre et 3,35 m de long maxi, pour 3 tonnes seulement. Reconnaissable à ses.
.. portes avant pour entrer au dernier moment la charge nucléaire. Elle restera en service de 1952 à 1963.
Parmi les "incidents" passés sous silence ou minimisé, une "broken arrow", à savoir un crash de non pas de bombardier mais de bombe en elle-même va être fort représentatif. Survenu à un B-36 de la base de Biggs, lors d’un convoyage d’une des monstrueuses Mk-17 testées à Bikini. Le
récit de l’incident est effarant une fois encore :
"comme l’avion approchait de Kirtland, à une altitude de 1 700 pieds (518 m seulement !), le 1er lieutenant Robert S. Karp a enclenché le mécanisme de libération de la goupille de verrouillage. Il s’agissait de la procédure standard pour enlever la goupille avant le décollage ou l’atterrissage pour permettre une larguer d’urgence de l’arme, si nécessaire. Environ 20 secondes après que Karp ait tiré la broche, la Mk.17 non armée a soudainement été larguée, malgré la fermeture des portes de la soute à bombes. La perte brutale du poids de la bombe a provoqué une remontée de jusqu’à un mille pieds du B-36 ! " Incroyable circonstance, impensable méprise ou incroyable manque de sécurité. Et attendez, ce n’est pas fini :
"bien que le parachute de l’arme se soit déployé, il n’a pas pleinement retardé sa chute en raison de la faible altitude. Les composants classiques explosifs ont explosé à l’impact,détruisant la bombe, et formant un cratère de 3,6 m de profondeur et 7,60 m de diamètre. Une vache à proximité a été tuée par l’explosion", note Fran Grayson du CLUI. Qui note aussi une radioactivité subsistante, quarante ans après
. "La détonation non nucléaire a dispersé des matières radioactives, et la zone a été contaminée par les radiations. Le noyau de plutonium avaient été retiré de la bombe (selon la procédure normale) et l’arme n’a pas subi une explosion nucléaire à l’impact. Bien que le site a été nettoyé pour la plupart par des militaires, des fragments de bombes restent sur le site et sont encore faiblement radioactifs".
L
a bombe pesait 19 tonnes ! Aujourd’hui ne reste qu’un poteau attestant de l’impact : le panneau
relatant le crash a disparu. Le public américain n’en n’avait pas été informé. L’intégralité de l’incident a été
décrit ici en détail. En 2002, à
l’emplacement de l’impact, l’armée américaine faisait subi à l’endroit un
nettoyage de fond plus que douteux : pourquoi le faire une nouvelle fois et aussi tardivement ? Que cachent ces manigances tardives ?
L’explication, on l’a ailleurs :
"le brouillard âcre de la chair de la vache carbonisée avait à peine disparu, lorsque l’équipe de l’AFSWP (l’Armed Forces Special Weapons Project) de Kirtland est arrivé discrètement pour liquider les conséquences de la "flèche cassée". Ils ont rencontré un cratère de 25 pieds avec des expositions gamma de 0,5 mR / h à la base. Bien que l’armée ait rempli le cratère et récupéré la plupart des débris de l’arme, faire table rase des miles carrés parsemés de débris aurait été une tâche herculéenne. Ils ont fait un travail qui a été assez "bon" pour le travail du gouvernement : en d’autres termes, beaucoup d’éléments de la bombe H radioactive jonchent encore le sol du désert, que le public peut encore recueillir. C’est une bonne nouvelle, et je vais en parler à ma collection de morceaux de bombes," remarque, aigre-doux,
Carl Willis en janvier 2010 encore. L’homme possède une
belle série de fragments en effet.
Radio-actifs. Et de
cadrans peints au Radium fluo. Il fait régulièrement des découvertes sur le même sujet : plutôt inquiétantes, comme celles
trouvées près du site de Los Alamos.... on retombe sur la gestion catastrophique des déchets dans les années cinquante.
Des "
broken arrows", ce n’est
pas ce qui manque en effet. L’année 1950, en particulier, sera jonchée de catastrophes aériennes impliquant des bombes nucléaires. Ce sera la pire, dans le genre. Le 11 avril, c’est un B-29 de la base de Kirtland AFB, au Nouveau-Mexique avec à bord une bombe nucléaire Mk4, qui rate son décollage et explose. La bombe est détruite et répand ses matériaux radio-actifs. Le 13 juin c’est un B-50 qui s’écrase près de Lebanon, en Ohio, venu de Biggs AFB, au Texas : à bord ses 16 occupants meurent, la bombe explose de manière conventionnelle, encore une fois, tout le site du crash est contaminé. Le 5 août, un B-29 décollant de Fairfield AFB ,en Californie avec une bombe atomique à bord se crashe : on dénombre 19 morts dont le Brigadier General Robert Travis qui donne aujourd’hui son nom à la base. Le 10 November 1950, un B-50 en difficultés de moteurs largue sa bombe Mk4 au dessus de la rivière St-Laurent au Quebec : la bombe démunie de sa tête explose conventionnellement en l’air, mais répand 45 kg d’uranium appauvri dans le fleuve. Les canadiens apprécient, c’est sûr. Viennent plus tard Palomares et Thulé, dont j’ai
déjà abondamment parlé ici aussi. Là aussi, o
n décontaminera... pressé par le public, au contraire des accidents de 1950 restés pour la plupart inconnus.... Le sous-marin
Star III, dépêché sur place, à Thulé, ne retrouvera pas la bombe manquante.... mais tout ça on le sait, donc.
Parfois, les accidents des années cinquante vont rester secrets, pendant très longtemps, où ne pas totalement révéler leur contenu. L’année noire de 1950 avait commencé en fanfare par un autre crash : le 13 février, un B-36 N°44-92075 s’écrasait en Colombie Britannique, à 1650 m d’altitude, sur le mont Kologet, au Canada, avec à bord une bombe nucléaire. On mettra trois ans à le localiser, et une année de plus pour se rendre sur place, en 1954, et en 1956 des civils le retrouveront par hasard. Le site sera
revisité en 1996, et les
découvertes une nouvelle fois confondantes.
"Parmi le matériel qu’ils ont découvert en 1956 a été une boîte non ouverte attaché à un parachute. Le boîtier, identifié avec des marques de l’US Air Force, contenait un compteur Geiger. D’autres débris ont également été trouvés dans les environs. Après avoir étudié l’ épave, les membres de l’équipe de la CGC a spéculé qu’un avion de l’USAF s’était écrasé à proximité ces dernières années et que la boîte contenant les compteurs Geiger est un équipement qui a été parachuté sur le site par une équipe d’enquête de l’USAF. Pour une raison quelconque, le matériel n’a jamais été récupéré". L’avion devait donc contenir une bombe ou des matériaux nucléaires. Officiellement, le vol 2075, repertorié par l’USAF, celui de notre B-36, contenait effectivement une bombe de type Trinity-Alamos : une
Fat Man, celle larguée à Nagasaki, mais possédant un noyau factice, inerte. Le surnom de l’appareil B-36 prête à sourire : le faiseur de paix, le Peacemaker, un
géant des airs hexamoteurs (il en avait même 10, avec les 4 réacteurs ajoutés plus tard).... l’héritier direct des B-17, B-24 et B-29 devenu B-50.
Les membres d’équipage avaient tous sauté en parachute avant le crash au dessus de Princess Royal Island : on retrouvera l’opérateur radio Trippodi, la tête en bas, sa voile accrochée à un arbre. L’avion, mis sous pilote automatique était censé s’abattre dans l’océan : on peut supposer que la bombe y avait été larguée, justement avant que l’appareil sans pilote ne change de direction et se
dirige vers l’intérieur du pays. Le lieutenant R.P. Whitfield, un des co-pilotes confirmera les faits.
" Le capitaine Barry -mort noyé très certainement
- a tourné les plans de l’avion vers la mer pour que nous puissions larguer la bombe et le faux noyau. Dès que nous avons été en toute sécurité sur la mer, nous avons largué la bombe. Elle avait été réglée en explosion aérienne à 3000 pieds. Nous étions à environ 8000 pieds au moment où la bombe a explosé et nous avons pu voir le flash quand elle a explosé. L’une des raisons pour la faire exploser était pour empêcher les Soviétiques d’essayer de la retrouver plus tard."
Sur place, les enquêteurs découvrent en effet, quarante ans après, les vestiges du crash, présentant les traces d’un intense incendie. Et d’autres traces : celles d’explosifs apposés notammen
t sur les vestiges des moteurs : on a détruit sciemment ce qui était resté intact. Le site a été visité discrètement et "nettoyé" par une équipe d’artificiers envoyés par l’Air Force. L’équipe fera une découverte assez sensationnelle ce jour là : une
valisette en alumimium, contenant encore
4 des 36 détonateurs nécessaires à une
bombe atomique de type ancien ou de type Mk4 ! Les fameux
Krytrons. A deux pas, une autre boîte contenant un lot complet d’explosifs même pas utilisés ! Une autre boîte, toujours attachée à son parachute ! Les chercheurs ne concluront certes pas à la présence de radioactivité sur le site.... "
Les résultats préliminaires de l’enquête de terrain indiquent qu’il n’existe pas de matériels hautement radioactifs sur le site du crash de B-36 sur le mont Kologet." Mais on peut quand même mettre en lumière un fait inquiétant : laisser sur place des détonateurs de bombe nucléaires, par ailleurs vendus des millions de dollars, parfois fort recherchés par des individus (
voir ici) relève de la plus totale inconscience ! C’est l’élément-clé de la fabrication d’une bombe atomique, et il manquait 32, dans le boîte !!! La bombe larguée était-elle si factice que ça ? Mais cet accident, qui cachait bien des secrets, ne fut pas le seul, hélas. D’autres suivirent.
Le 10 mars 1956, deux B-47 de la base de MacDill sont à l’exercice de ravitaillement au dessus de la Méditerranée. A 14 500 pieds d’altitude (4400 m), l’un d’entre eux se perd dans un nuage d’altitude.Il disparait, et ne sera jamais retrouvé, pas plus que sa bombe à bord, une Mark 15 de 3450 kg. La première bombe thermonucléaire de format réduit : elle faisait 88 cm de diamètre pour 3,55 de longueur et avait une puissance maxi de 3,8 mégatonnes. Elle sera produite à 1200 exemplaires de 1955 à 1965. Dix ans plus tard, ce sera Palomares, pas loin de là, avec d’autres bombes. A Palomares, où l’on trouve de bien
étranges panneaux, et toujours
des capteurs, aujourd’hui encore, sur les sites où l’on a trouvé des débris.... 45 ans après, on se méfie toujours de ce qu’on y a trouvé.
Le 28 juillet 1957, autre incident : un
avion cargo C-124 Globemaster II décolle de Dover AFB dans le Delaware avec à bord trois bombes et trois noyaux fissiles. Deux moteurs sur quatre ne répondent pas : l’équipage largue aussitôt deux des engins sur la côte du New Jersey. Finalement, le cargo réussit à se poser à Atlantic City avec à son bord la bombe restante : on ne retrouvera jamais les deux autres, tombées en plein océan ! Le 6 juillet 1959 à Barksdale Air Force Base, à Bossier City en Louisiane, un autre C-124 ratera son décollage et prendra feu avec à bord une bombe nucléaire qui sera complètement détruite, encore une fois. En 1965, le 11 octobre, c’est toujours le C-124 qui fait des siennes à Wright-Patterson Air Force Base près de Dayton en Ohio : lors du remplissage de ses réservoirs, l’arrière du cargo prend feu.. A bord, les bombes atomiques sont intactes, cette fois.
Le 5 février 1958, un autre B-47 parti de
Homestead en Floride muni de la même bombe (portant le numéro 47782) entre en collision avec son F-86 d’accompagnement : l’équipage décide de larguer par sécurité, sa bombe à 2200 m d’altitude, à 370 km/h. Elle tombe dans l’océan, au large de
Tybee Island, à 30 km de Savannah, en Georgie, une station balnéaire fort fréquentée. Elle ne sera jamais retrouvée. En 2004,
des mesures de radiation du sable marin ramassé au fond des eaux, faites par un pêcheur plus curieux que les autres, ravivent les inquiétudes. En 2001, l’Air Force, qui avait mené elle aussi une enquête après les accusations d’émissions radio-actives avait rendu son opinion : c’est peut-être bien là l’emplacement de la bombe perdue, mais de la relever couterait entre 5 et 11 millions de dollars : elle restera au fond, déclare le Pentagone aux citoyens de Tybee, un peu décontenancés ! A Tybee Island, la population n’est que de 3600 habitants, mais grimpe à 12 000 et même parfois à 40 000 en pleine saison touristique. Dégustant la spécialité locale : la crevette... irradiée. Et tant qu’à rester dans le domaine maritime et aérien à la fois, sachons que les hydravions s’y mettent aussi, à perdre leur chargement : un
P-5M Marlin s’écrase dans le Puget Sound près de Whidbey Island dans l’état de Washington,
le 25 septembre 1959 : on ne retrouvera pas là non plus la bombe nucléaire qu’il transportait.
Et la liste s’agrandit. L’incident de
Goldsboro n’est pas en reste, et est même emblématique du cynisme de l’armée. C’est celui d’un B-52 qui a explosé en vol après le décollage de Seymour Johnson Air Force Base, en Caroline du Nord, le 24 janvier 1961, son aile droite s’étant brisée net. A bord, deux bombes MK39
de 24 mégatonnes. L’incident est jugé très grave en haut lieu : le président Kennedy en a été averti. Au moment du crash, en effet, trois des quatre dispositifs d’armement était activées sur l’une des bombes. Mais le public n’en saura rien.
"Le monde au bord d’un désastre" titre pourtant le New-York Telegram, mais ce n’est pas au nom de la catastrophe qui vient de se produire, mais au nom d’un essai nucléaire russe ! Les bombes ont été larguées, et l’ensemble des débris est tombé dans une zone marécageuse, au sol spongieux. Une des deux bombes est rapidement retrouvée (elle est restée
accrochée par son parachute déployé à des arbres !),
mais pas l’autre, dont le parachute ne semble pas avoir fonctionné : elle a heurté le sol à 700 km/h. L’arrière de la bombe est découvert à 6 mètres sous terre. Mais on ne
retrouve pas sa pointe atomique. On pense que l’avant de la bombe a
plongé a plus de 15 mètres dans le sol, et qu’elle est devenue depuis indétectable. Selon les militaires, la pointe de bombe pourrait même avoir plongé à 55 mètres de profondeur ! Coût pour aller la chercher : 500 000 dollars : l’excavation s’arrête aussitôt : trop cher, on comble ce qu’on a creusé et on fait comme si de rien n’était. La zone a été depuis interdite de creusement. Le blé y pousse pourtant, aujourd’hui... au dessus de la bombe, enterrée à jamais, intacte, ou réputée telle quelle. Un excellent exemple de la légèreté avec laquelle l’armée a pris le sujet dans les années 50-60. En se fichant carrément des populations civiles.
Goldsboro, comme Tybee Island sont représentatifs d’un état d’esprit désolant et criminel. On a laissé sur place des bombes qui continuent à irradier en toute connaissance de cause. Pour ces deux cas, on a prétexté des problèmes de coût pour ne pas retrouver les bombes perdues. C’est faire peu de cas de leur influence pendant des siècles sur l’environnement et les populations environnantes. Un véritable mépris. Mais ce n’est rien encore à côté de celui qu’afficheront leurs adversaires directs : les soviétiques, qui dans le genre, feront bien pire encore...
Selon certains, il manque au moins entre 12 et
15 bombes nucléaires. D’autres parlent de 60 incidents graves. La carte des 15 principaux accidents nucléaires ou pertes connus
est ici.