Atterrissage d’un extra-terrestre à Roswell
Ah, superbe soirée hier soir pour les passionnés d'aviation et d'espace, avec l'exploit réussi par Félix Baumgartner, emmené à 39000 mètres d'altitude en un peu plus de deux heures d'ascension, et redescendu en 5 minutes... à la vitesse du son ; en plein désert. On savait qu'il tombait des choses étranges, à Roswell, mais hier soir c'était un humain, qui avait tenu à parfaire son exploit en se posant comme une fleur à côté de son hélicoptère d'assistance. Du grand art. Un formidable exploit, tenu de bout en bout par la seule personne que Baumgartner avait accepté comme conseiller durant tout l'événement : le vétéran Joe Kittinger, celui qui avant lui avait battu quatre records, tous battus hier soir par son descendant direct : celui de la plus haute ascension en ballon, celui du saut en parachute le plus haut, celui la plus longue chute libre et enfin le plus emblématique, peut-être : celui de la plus grande vitesse atteinte par un être humain dans l'atmosphère. Hier soir, c'est Joe, par ses encouragements, qui a passé le relais à Felix, 52 ans après. En plus d'un exploit, on a assisté là à une belle séance d'amitié : le recordman précédent, aujourd'hui âgé de 83 ans, encourageant l'heureux élu de 43 ans à le battre, en lui lançant une fois la porte de sa capsule ouverte sur le vide, un délicieux "tu es un ange, maintenant, allez, vas-y"...
Rappelons en effet ce qu'avait fait Joe Kittinger le 16 août 1960 : sautant d'une altitude de 31 300 mètres, il avait effectué une chute libre de 4 minutes et demie, atteignant une une vitesse de 988 km/h, et avait ouvert son parachute à 5 500 mètres. Mais avait failli y perdre la vie ce jour-là ! Avec lui, il avait emporté dans son saut une boîte d'instruments de mesures, qui aurait dû se détacher avant qu'il n'atterrisse. Manque de chance, une seule des deux sangles la retenant avait accepté de se rompre, et Joe s'était posé plus rapidement que prévu, alourdit par ce poids supplémentaire, une de ses jambes recevant au passage tout le poids de la boîte technique. "Je suis heureux d'être à nouveau parmi-vous" avait-il dit à ses sauveteurs accourus en hélicoptère de sauvetage Piasecki. Kittinger avait durant tout le vol caché aux techniciens qui le suivaient que le gant de sa main droite avait révélé une déchirure, et sa main avait en fait énormément gonflé : désireux de ne pas gâcher l'expérience, il avait dissimulé la chose lors de ses vacations radio durant son ascension. On comprend depuis hier pourquoi il avait accepté avec enthousiasme de participer à l'exploit de hier soir : pour ne pas que ce genre d'erreurs qui aurait pu lui coûter la vie ne se reproduise. Car en réalité, Kittinger s'était posé... en catastrophe, sauvé par son parachute de secours et non par son parachute principal !
C'est lui seul, en effet, qui hier, a effectué point par point la checklist avant l'ultime sortie de Baumgartner, juste avant l'ouverture de la porte de la capsule (3 secondes plus tard, il n'est déjà plus qu'un tout petit point qui tombe comme une pierre, comme le montre la séquence à gauche). Et c'est lui encore qui l'a appelé, un peu effrayé, en lui demandant de répondre au plus vite au milieu de sa chute vertigineuse, au moment où la caméra thermique montrait que le parachutiste autrichen effectuait plusieurs tonneaux, avant qu'il ne reprenne une trajectoire rectiligne, après avoir réussi à se stabiliser en pleine chute. Kittinger avait bien vu, à ce moment-là, que tout pouvait basculer, si son successeur n'arrivait pas à tomber à plat. Lui-même avait connu la même chose en 1960, lors du déploiement de son parachute extracteur, et ça avait failli mal se terminer : "Sans une vitesse suffisante pour créer suffisamment de pression dynamique, le cordon de l'extracteur a voleté dans l'air mince et s'est finalement enroulé autour de son cou. Il a commencé à tourner sur lui-même. Dans un premier temps, Kittinger a pu corriger les tonneaux, mais bientôt il ne pouvait plus les compenser et il s'est finalement évanoui. Il n'a pas repris connaissance avant de se retrouver en train de flotter sous le parachute de secours, à plusieurs milliers de pieds au-dessus du sol. Le parachute principal ne s'était pas déployé parce qu'il la courroie de son extracteur s'était enroulée autour de son cou. Après avoir perdu conscience, les tonneaux avaient continué et avaient finalement atteint 80 tours/minute.
Un déclencheur barométrique avait alors déclenché le parachute de secours à 10 000 pieds, mais en raison de la rotation, au début, il s'est emmêlé autour de lui. Beaupré avait prévu une telle éventualité et installé le parachute de secours avec un cordon "cassant" du type "break-away" qui permettait à la voile de sortir malgré tout. Heureusement, le parachute de réserve s'est démêlé à 6000 pieds et sa toile s'est gonflé". Francis Beaupre étant à cette époque le responsable alors de l'Aerospace Medical Division du Wright Air Development Center, qui lui avait tout simplement sauvé la vie avec son parachute à trois étages, seul capable de résister à une telle chute ! De son dos sortait 16 secondes après être sorti un mini-parachute de 18 pouces (45cm) , extrait par un simple ressort, qui extrayait un second de 6 pieds (1,82 m) pour faire tenir "debout" Kittinger, pieds vers le sol, avant la sortie d'un grand parachute de 28 pieds (8,53 m), qui lui même ne sortait en un premier temps qu'à un tiers déployé. A 18 000 pieds (5400 m), le parachute s'ouvrait enfin en grand. Toute la séquence était automatique, le dernier étant à extraction déclenchée barométriquement.
A cette époque, rappelle l'excellent site "Stratocat", le bricolage palliait souvent aux défectuosités : lors des premiers essais, Kittinger aura des ennuis de casque récutants : lorsqu'il gonflait sa tenue pressurisée, son casque... remontait, invariablement. Un technicien bricoleur lui reliera des bandes de toiles fixées d'un côté au collier de son casque et de l'autre au sommet de sa tenue pour que le phénomène ne se produise plus. Dans sa capsule, lors des premiers essais, Kittinger s'était plaint de ne pas voir ses instruments, en raison des reflets du soleil sur les cadrans de verre : on y avait remédié en posant au dessus de chacun un simple bout de carton servant de pare-soleil ! Mieux encore : comme la capsule accrochée à son ballon décollait du Nouveau-Mexique mais pouvait atterir dans un autre état... on songea même à lui accoler une plaque minéralogique, au cas où des douaniers tâtillons viendraient à lui coller une amende en cas d'atterrissage loin de sa base !!!
Mais cela n'explique pas pourquoi avait-on dans les années 60 tenté de faire sauter des parachutistes d'aussi haut. La raison en était simple : prévoyant que les avions du futur monteraient de plus en plus haut (entre 60 000 et 100 000 pieds, grâce à l'introduction attendue des moteurs fusées (un réacteur n'étant pas vraiment l'idéal en haute altitude), certains militaires avaient songé au sauvetage de leur équipage en cas de pépin à très haute altitude : il fallait donc des cobayes, pour essayer leurs théories, et Kittinger en était tout simplement un. Historiquement, ce genre d'expérience ne datait pas de l'exploit de Kittinger, à vrai dire. Dès que les avions s'étaient mis à voler haut, pendant la seconde guerre, on s'était intéressé à la chose.
Tout le monde a en mémoire les longues traînées de haute altitude des bombardiers US pendant les raids contre l'Allemagne. Le pionnier dans le genre avait été le colonel W. Randolph Lovelace, téméraire " Flight Surgeon", qui a 23 Juin 1943 sauté d'un B-17 Flying Fortress volant à une altitude de 40 200 pieds (12 250 mètres) au-dessus d'Ephrata dans l'Etat de Washington, muni de deux petites bouteilles d'oxygène pour tenir 12 minutes fixée à chacune des jambes. Assommé par les 40 G du choc de l'ouverture de son parachute, il se posa vivant mais sonné en déclarant que ce n'était pas la bonne solution, et qu'il fallait s'éjecter si possible de plus bas. Lovelace n'était pas un amateur ; en 1938, il avait inventé le masque à oxygène de haute altitude, justement, reconnaissable à son ballon gonflable, ceux que portaient les équipages de B-17 ou de B-29. Un pilote d'essai, Perry Ritchie, confirmera cette conclusion. Un second colonel, plus téméraire encore, Mel Boynton, un autre chirurgien de l'Army Air Force Flight, tentera lui de sauter sans déclencheur automatique de 41 000 pieds (12 500 m) : il s'écrasera, une main tenant toujours le bras où était son chronomètre dont il pensait se servir pour déclencher son parachute !
Au sortir de la guerre, donc, malgré les travaux de Lovelace, rien n'est réglé. Si bien qu'en 1953, l'armée reprend les essais de largage à haute altitude, au sein d'un vaste programme d'exploiration appelé "High Dive". Un programme qui laissera derrière lui deux traces significatives. La première étant l'un des records que vient de battre Baumagartner, justement. Celui de la plus haute altitude atteinte en ballon : le 16 août 1960, on l'a un peu oublié, mais lors de son saut record, Kittinger avait en effet atteint 31 300 m, en écrasant le record de Piccard de 1931 (17 000 m). Un record battu l'année suivante par deux militaires américains de la Navy ; Malcom Ross et Victor Prather, un chirurgien qui avaient bizarrement décollé d'un porte-avions, l'USS Antietam, navigant en plein Golfe du Mexique, pour atteindre 34 668 m le 5 avril 1961. Leur retour se fera tragiquement : retombé dans le Golfe, leur sphère flottante devait être évacuée par hélicoptère. C'est là que Prather, hélas toujours équipé de sa tenue pressurisée et de son scaphandre, glissera de son élingue le remontant à bord de l'hélicoptère. Un plongeur le repêchera, mais il décédera quelques heures plus tard, noyé. Jamais on été monté aussi haut : c'est Gagarine qui battra leur record d'homme dans l'espace un mois peine après !!!
La seconde chose laissée par le projet High Dive est à l'origine, sans aucun doute, de tous les racontars sur les petits hommes verts vus censés avoir atterri à Roswell en 1947. Constatant que les chutes d'être humain à partir de telles altitudes les met en danger, l'Air Force va s'orienter progressivement vers l'usage de mannequins, des "dummies" comme on le dit là-bas.
Et constatant aussi qu'elle pouvait réduire les frais d'expérimentations en fabriquant des mannequins plus petits, elle va assez vite se mettre à ne plus tester que des mannequins d'un mètre de haut ou un peu plus, largués d'appareils qui ont abandonné la forme de sphère, jugée inutilisable pour les sorties à haute altitude, pour les remplacer par des cônes, présentant un ouverture ovoïde. On filmera même leur éjection des capsules, en des séquences assez saissantes comme celle montrée en tête du chapitre. Comme on a pu le voir lors de la tentative remise la semaine dernière, des vents parfois violents en altitude, ou des ruptures d'enveloppes ont pu provoquer des descentes catastrophiques, soit de cônes avec encore dedans leur mannequin, soit des mannequins seuls dont les parachutes ne se seraient pas ouvert. Dans les deux cas, leur apparence correspond à ce qui a été décrit des fameux habitants de la soucoupe soi-disant tombée à Roswell.
Pour augmenter encore l'impression de corps et non pas de mannequin, l'Air Force, qui désirait garder ses recherches secrètes (on en était déjà à songer sauvetage de fusées et non plus d'avions !) faisait en effet emporter les débris de "dummies" dans des sacs mortuaires noirs, comme s'il s'agissait de corps de pilotes !!!
Alors oui, hier soir, à l'endroit connu pour ses soi-disants extraterrestres, ce fut un très bel exploit, regardé par 6 millions de personnes sur You Tube, paraît-il, comme quoi le dépassement humain peut encore attirer les gens. Après une séquence intense de décollage, où un camion-grue portant la capsule doit se précipiter pour rejoindre le dessous de l'immense ballon qui vient d'être largué pour que la capsule ne se renverse pas, la longue attente à commencé, avec un Joe aux petits soins pour Félix, lui demandant régulièrement si cela allait et en le rassurant constamment sur les étapes du check-up défini depuis longtemps au millimètre près.
Puis la sortie, effectuée à plus de 39 000 mètres d'altitude, bien au delà du record de Joe, et ensuite la descente vertigineuse d'une durée de 5 minutes en chute libre (9 minutes au total) qui a paru une éternité (*), surtout au moment où la caméra thermique montrait un Baumgartner virevoltant, luttant pour se stabiliser, et enfin la délivrance avec la sortie de l'extracteur de parachute, et l'aisance incroyable avec laquelle le talentueux parachutiste autrichien allait atterrir à quelques mètres de la cible qu'il s'était fixée à l'avance, son ballon ayant fort peu dérivé lors de son ascension. Ce soir, en tenant à saluer l'exploit et la mémoire d'un exploit précédent, on a une pensée émue pour le concurrent français malheureux, Michel Fournier, qui aurait tant aimé-et nous aussi- être à la place de l'autrichien, qui vient de placer la barre trop haut pour désormais qu'on tente de faire davantage, à moins que lui-même ne décide d'améliorer cet incroyable record.
Qui, cette fois, n'est plus destiné à démontrer que l'on peut s'extraire d'un avion à très haute altitude, mais semble bien vouloir rassurer les futurs touristes de l'espace... (qui en réalité auront très peu de chances de s'en sortir en cas d'avarie de leur navette). Non, cela fait désormais partie des rêves les plus fous enfin réalisés, avec surtout ce décalage énorme entre le précédent et le nouveau. Si on avait dit à Joe Kittinger qu'il assisterai lui-même à la fin de ses quatre records en un seul saut, je ne suis pas persuadé qu'il l'aurait crû. Ce soir, il a passé le flambeau des hommes plein de courage et doté d'un brin de folie sans lesquels il ne peut y avoir d'exploits véritables pour entrer dans l'histoire. Hier soir, un presqu'extraterrestre s'est bien posé à Roswell !!!
(*) durant laquelle il a atteint 1 173 km/h.
relire ceci :
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-43-l-operation-lusty-96676
et cela :
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/etonnant/article/l-homme-qui-tombe-de-haut-39141
le site de l'exploit :
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