Au pays de la queue qui remue le chien
Affublé de ses plus beaux atours, Nicolas Sarkozy saute à l’objectif des caméras comme le calmar au lamparo. Looké comme kéké, deux airbus de journaleux aux talonnettes et flanqué d’une poule énamourée et mielleuse, il s’affiche dix fois, cent fois plus jubileur, en symbole de la France décomplexée ? Mais décomplexée de quoi ? Du luxe cyniquement jeté à la face des miteux, du toc authentique, du ratatinage des consciences et du rabougrissement d’idées, revendiqués, organisés, mille fois attestés par la victoire de l’apparence sur la pensée, de l’émotion sur l’intelligence, du consommateur sur le citoyen et du popularisme sur la démocratie ? Décomplexée de la vacuité et du vulgaire ? Du grotesque, en somme...
Le discours d’investiture de Nicolas Sarkozy tenait bien de la « Farce de maître Pathelin », cette représentation, déjà donnée au Moyen Age, de la rouerie et de la piperie universelles. Ses chaleureux élans de solidarité sociale, de fraternité, ses promesses de changements et jusqu’au don de sa personne pour l’amélioration de notre société ne constituaient qu’un vaste trompe-l’œil, un chef d’œuvre d’hypocrisie sociale au service d’une posture populariste destinée à séduire la France d’en bas.
Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy a rejoint le « beau monde », la sphère des maîtres, des puissants et des riches. Il préside un royaume, la France, où il ne réside plus. Gaffe ! Il marche vers son Panthéon.
À présent qu’il s’est hissé sur le piédestal du pouvoir absolu, il base de moins en moins sa relation avec le peuple français sur les liens démocratiques, notamment les voies référendaires, que la Constitution lui impose encore (pour combien de temps ?). Il préfère nettement les liens créés par son goût immodéré pour l’épate et l’esbroufe, formidablement servis par une dialectique habile et des médias serviles.
Il a du style Sarkozy ? Certes, on perçoit sans peine la rupture avec ses prédécesseurs septuagénaires, lodens verts, épouses « vieille France », pas Mickeys pour un sou, jouisseurs tout aussi copieux mais plus circonspects des largesses des amis de la République et usufruitiers discrets de ses fastes. Pitoyable avilissement de la fonction présidentielle diront certains... Simple président quinquagénaire qui s’assume diront les autres...
L’essentiel n’est pas là, dans cet appel répété à témoins, à charge ou décharge, dans cette convocation permanente à la barre du procès de l’apparence organisé par Nicolas Sarkozy et où il cherche systématiquement à nous confiner. L’essentiel n’est pas dans le gadget, l’ouverture en trompe-l’œil, le mariage avec une poupée légèrement teintée de prétentions artistiques, dévorée comme lui par la soif de reconnaissance. L’essentiel est dans la mise en œuvre effective des réformes structurelles, dans leur cohérence, dans le cap adopté.
Les réformes Sarkozy ? Côté fiscal, on a mis le paquet. Fallait bichonner les galetteux, gaffer les pactoles. C’était promis... Flouze first ! À commencer par le salaire présidentiel. Ça n’a pas traîné. Côté social, pas grand-chose, une pacotille de mesures, triturées au fil des conflits, rarement abouties, mi négociées, mi enterrées, vaguement réussies, invariablement dispendieuses.
Mais économisons nos adverbes, de nos jours c’est un fait : le pouvoir d’achat des conflits n’est plus ce qu’il était et la paix sociale se monnaye de plus en plus cher. Alors qu’importe si on creuse un peu plus la dette publique... C’est, paraît-il, le prix à payer pour le fameux « retour de la confiance », nébuleux prérequis à l’enclenchement d’une supposée spirale positive qui doit nous porter, tous unis dans un élan solidaire, au firmament du bien-être économique et social. Bignolles ! J’en planerais presque de joie...
Sauf qu’au final la ministre de l’Economie vient nous expliquer benoîtement que la croissance ne dépend pas de nous, et donc, plus subtilement, d’elle. Et que l’inévitable renchérissement mondial des matières premières, agricoles et énergétiques, génère de l’inflation et rogne durablement notre pouvoir d’achat. Que c’est ainsi et qu’il faut s’y faire parce que les finances de l’Etat ne lui permettent plus, après déduction des cadeaux fiscaux consentis aux plus riches, de baisser taxes, notamment la TIPP, ou impôts. Pas plus qu’il ne faudrait compter sur son collègue Hortefeux pour lancer les tests ADN sur cette « inflation importée », avec reconduite à la frontière illico !
Plus sérieusement, la seule égalité qu’on perçoit clairement aujourd’hui c’est celle devant l’abattement... fiscal pour les plus riches et moral pour les autres.
Sans parler de la politique étrangère de Kéké 1er. Là, la rupture est totale. Virage sur l’aile droite, alignement dans l’axe du Bien, atlantisme toute (à quand le retour dans l’OTAN ?), discours fracassants à l’ombre de nos soi-disant valeurs universelles prétextes à des propos parfois insultants, large distribution de points de vue moraux solidement couplée à la multiplication d’accointances aussi douteuses qu’ostensibles... En peu de temps, on a réussi à se ridiculiser aux yeux du monde. L’étranger ricane... Plus inquiétant, agressions et menaces contre intérêts et ressortissants français se multiplient. Simples coïncidences ou premiers signes du rejet d’une « certaine idée de la France sarkozienne » dans le monde ?
Et le cap me direz-vous ? Il n’y en a pas ! La mode n’est plus à l’action politique de fond, bâtie sur le long terme. Sarkozy ne connaît que l’urgence, la vitesse. Peu soucieux d’attendre les conséquences durables et mesurables de ses actes, il invente ses propres indicateurs, fait modifier le calcul du taux de chômage, met en place un système d’évaluation des politiques publiques... Réinvente la méritocratie ! C’est un avocat, pas un énarque ! Sans relâche, il lui faut impressionner l’opinion, frapper les esprits, ceux de ses amis politiques comme de ses opposants, cabrioler d’un problème l’autre, planifier les surprises, les bombes médiatiques, fabriquer du neuf, de l’hyper réalité, éblouir, inventer des effets de manche, toujours plus...
Nul besoin de cohérence dans tout cela. Nicolas Sarkozy dirige la France en capitaine d’un navire dont il aurait confisqué le chronomètre et le compas. Qu’importe le cap et l’état du rafiot pourvu qu’il cingle ! Tant que notre président maîtrise le tempo, son quinquennat défile comme ces séries télévisées « sitcom » où le scénario s’écrit au fil de l’eau. Seule condition de succès, l’intrigue doit connaître régulièrement un nouveau rebondissement.
Ainsi conditionnés, médias, opinion publique et opposition s’engourdissent. Tous se mettent peu à peu à épier le président, à guetter la saillie bouffonne, le prochain coup d’éclat... Adversaires, alliés, s’en pourlèchent d’avance...
Et sur ce plan, Nicolas ne déçoit jamais ! La presse n’investigue plus, elle attend. L’opposition ne propose plus, elle critique. Sarkozy agit, les autres réagissent. Voilà bien le piège ! Et le mécanisme qu’il faut démonter.
Ainsi on estompe la conscience des actions en cours, on efface le souvenir des échecs, des promesses non tenues : le non à l’adhésion de la Turquie, le service minimum, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, le pouvoir d’achat, la réduction de la dette.
Ainsi on parvient à laisser une impression sensible d’efficacité, non pas en conduisant une action politique, inévitablement obscure et ennuyeuse, faite de patience et de persévérance, mais en mettant en scène l’action présidentielle, systématiquement, sous la forme d’une suite de coups médiatiques, de succès ou présentés comme tels : libération d’otages, crédits d’urgence aux pêcheurs, Grenelle de l’environnement, condamnation d’Yvan Colonna, ralliements massifs de personnalités de gauche. Infernal zapping. Le divorce d’avec Cécilia est balayé par l’idylle avec Carla. Un clou chasse l’autre !
Pendant ce temps, au sein du gouvernement, le fidèle Guéant assure la corvée. Il remet de l’ordre dans la macédoine de commis de quincaillerie qui tient lieu de « gouvernement d’ouverture », récupère les ministres égarés à la une des gazettes, étouffe les bourdes du quai d’Orsay et de la place Vendôme, remet les schismatiques aux ordres du taulier, démet les directeurs de cabinets confits de privilèges, règle la cacophonie de l’armada de conseillers présidentiels... C’est dur boulot ! Et bien ingrat... Sans compter les taupes en mal de maroquins qu’il faut bien caser et les barons du Cac 40 toujours plus avides des gras pâturages de la République.
Et puis ces foutues municipales qui approchent, la croissance qui s’étouffe, l’inflation qui guette, la presse, l’opinion qu’il faut bien maîtriser...
À l’étranger, les rares observateurs du microcosme Français s’interrogent. Le cas Sarkozy étonne. On s’en amuse régulièrement à la une des tabloïds. Dans les publications plus sérieuses, on s’en irrite parfois, on commence même à manifester de l’inquiétude. Oh une petite inquiétude... À l’échelle du modèle réduit de George W. Bush que représente Nicolas Sarkozy, même monté sur talonnettes.
Que faudrait-il pour basculer ? Les ingrédients d’un mélange qui pourrait devenir détonnant et conduire à l’explosion du système Sarkozy sont déjà présents. Le compte à rebours n’attend qu’un catalyseur pour s’enclencher, notamment un revers de l’UMP aux municipales... Encore faudrait-il qu’une alternative politique crédible voie le jour, autre chose que cette gauche désespérante, étendue légèrement moutonneuse de crânes vides formant une opposition faiblement luisante et très jésuitique.
Car la plus grande victoire de Nicolas Sarkozy, c’est bien le vide politique qu’il a su faire autour de lui et qui rend la probabilité d’un échec à sa réélection en 2012 à peu près égale à celle d’une victoire de Mimie Mathy lors de la finale du concours de dunks de la NBA. D’ici là, aussi bonne année que possible au pays de la queue qui remue le chien !
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