Au pays enchanté d’Uribe, des sous-marins de montagne
Ah, la Colombie. Quel merveilleux pays. On y trouve de tout pour devenir riche : du pétrole, des minerais... et de la drogue, beaucoup de drogue. Enormément de drogue, à croire que les millions de dollars du Plan Colombie (qui a pris fin en 2005) envoyés par Bill Clinton et son successeur dans le but d’éradiquer les champs de coca sont passés par des fenêtres... ou restés dans les poches de ceux qui devaient les distribuer. La drogue et la Colombie c’est une vieille histoire. Il y a 33 ans exactement, les Etats-Unis déclaraient déjà le pays premier producteur mondial de cocaïne. C’est toujours le cas : aujourd’hui, en effet, 90 % de la cocaïne et 50 % de l’héroïne vendues aux Etats-Unis proviennent en effet de Colombie. Mais ce n’est qu’à partir vraiment de 1989 que sous prétexte de lutter contre la drogue les Etats-Unis ont commencé à fournir des armes (fusils, hélicoptères, avions) pour combattre les producteurs de drogue... et en réalité fournir de quoi attaquer les luttes insurrectionnelles contre le pouvoir pro-américain en place. Des forces qui, pour se maintenir à niveau en armements, ont dû elles aussi se livrer au commerce de la drogue. Le cercle vicieux colombien typique.
Un cercle vicieux infernal, à tous les niveaux : le pays est aux mains de grands propriétaires, qui détiennent plus de la moitié des terres du pays tout en ne représentant qu’à peine 0,4 % du nombre total de possédants. Les paysans appauvris sont donc condamnés à produire de la drogue pour survivre : comme ce sont des petites productions, les campagnes massives de défoliant versés par les avions gouvernementaux sont inefficaces. On arrose au pifomètre : "pour éradiquer effectivement un hectare de coca il a fallu (en 2003) fumiger 11,33 hectares". Comme au Vietnam, les C-123 Provider qui ont repris du service ne font pas dans la dentelle, aux côtés des Air Tractor d’épandage AT-802, et arrosent parfois autant les troupes au sol que les champs de coca. Les seuls qui bénéficient de leur zèle à en mettre partout sont les fournisseurs de défoliant, à savoir surtout... Monsanto. Qui pousse à augmenter les doses : "Un aspect réellement alarmant du processus d’aspersion est la distorsion des critères de concentration du produit commercial. Monsanto, producteur du glyphosate employé dans les aspersions, recommande l’application de 2,5 litres par hectare à une concentration de 2,5 grammes par litre soit, selon les recommandations du laboratoire producteur, 6,25 grammes par hectare. Le département d’État, pour sa part, évoque un produit ayant une concentration de 147grammes par litre, alors que la Police nationale [colombienne] mentionne un produit concentré à 158 grammes par litre et dit l’appliquer à raison de 23,65 litres par hectare. Cela représente l’application de plus de 3 700 grammes (3,7 kilogrammes) par hectare. Ce chiffre correspond à près de 500 fois la dose recommandée par le laboratoire. À quels effets toxiques faut-il s’attendre avec de telles concentrations ?" Avec un tel surdosage, le pays est ravagé, pire que le Vietnam : les générations futures en pâtiront, mais le gouvernement n’en a cure. L’image de marque de la lutte contre la drogue avant tout même si elle est faite n’importe comment.
Les pilotes recrutés pour répandre cet agent orange de sinistre mémoire sont en effet tous des mercenaires, de DynCorp essentiellement, payés à l’heure de vol et non au rendu d’hectares ni à la qualité de la prestation. Pressés de se déplacer pour ne pas se faire prendre ou se faire arroser, les paysans producteurs dévastent la forêt pour fabriquer de nouvelles parcelles. Le désastre écologique s’ajoute au désastre de la pollution. Comme la guérilla s’en mêle et achète des armes sophistiquées type missiles Strella (l’équivalent russe du Stinger), les autorités sont obligées de mettre en place un vrai arsenal pour chaque campagne de dissémination de défoliant. Avions équipés de matériels d’écoute et de radars sophistiqués (la Colombie a acheté récemment deux Beechcraft King Air 350 équipés ELINT, les N350WP - FL-282 devenu FAC5746 et le N660P - FL-454 - FAC5750, achetés à Elta Systems, d’Arlington), hélicoptères pour déplacer des troupes, etc. Elta Systems n’est autre qu’une subdivision d’IAI, Israël Aerospace Industrie : l’implication dans l’équipement militaire de la Colombie par Israël ne s’arrête pas à de simples conseillers militaires pour leurrer des terroristes. De 2001 à 2004, l’aide militaire américaine est ainsi passée de 49,1 millions de dollars à... 441,8 millions. Multipliée par 10 ou presque en trois ans. Officiellement, c’était le "push into southern Colombia", une aide militaire en plus de l’aide contre les narco-trafiquants. Avec un chiffre pareil, on devrait se dire, la coca ne devait plus en avoir pour longtemps. Pareil investissement ne peut être fait sans résultat probant. Ou alors, ça signifie que le matériel militaire octroyé n’est pas destiné à lutter contre la drogue. Un rapport sans appel de l’ONU nous donne une sérieuse indication : "En Colombie, la culture de la coca augmenté de 27 % en 2007" apprend-on... malgré les millions de dollars fournis... dans des matériels, finalement, qui n’ont que fort peu à voir avec la lutte antidrogue. Et qui, ouvertement, néglige carrément cette lutte comme l’indique le précieux rapport de l’Inhes de 2005. "Les objectifs du Plan Colombie, dominé par les États-Unis, et de la politique de sécurité démocratique du président Alvaro Uribe, convergent et visent clairement à frapper les mouvements de guérilla, car pour Washington comme pour Bogotá il existe une symbiose entre trafic de drogue et financement des « terroristes ». Cependant, des bandes de trafiquants, comme celle dite du « Cartel del Norte del Valle », et les groupes paramilitaires, non seulement passent au travers des mailles du filet de cette politique, mais paraissent en tirer profit"... disait sans ambiguïté ce même rapport.
De la drogue continue donc à couler à flots pendant que l’Etat colombien divertit les fonds destinés à sa lutte pour renforcer son arsenal militaire. Elle coule à flots au point qu’il s’agit pour ces nouveaux cartels de trouver le moyen de l’acheminer massivement et non plus au coup par coup. On a vu que des Boeing 747 sont fortement soupçonnés d’avoir servi à le faire, ceux de l’entreprise paravent de la CIA, Kalitta Air notamment. Les avions cargos ne suffisant plus pour transporter les 390 tonnes produites chaque année, les trafiquants ont imaginé d’autres moyens pour véhiculer vers Miami ou la côte mexicaine ce qu’ils envoyaient par avion. Des sous-marins, spécialement contruits par ces trafiquants. Et pas n’importe lesquels. Le 7 septembre 2000, les autorités colombiennes tombent sur un hangar dans le quartier de Facatativa, en plein Bogota, situé rappelons-le à 2 250 mètres d’altitude. Dedans, trois longs morceaux d’acier à double coque : un sous-marin de 36 m en construction, avec sa coque de plus de 2,50 de diamètre intérieur. De quoi caser près de 200 tonnes de coke. Un sous-marin de 150 tonnes à 2 000 m d’altitude, avec à côté de ses entrailles des plans rédigés en... russe ! En remontant un peu l’origine de l’histoire, on, tombe sur un article du Los Angeles Times, qui décrit un citoyen américain, Ludwig Fainberg, propriétaire de boîtes de nuit à Miami, qui aurait obtenu de ses contacts... russes, les plans en réduction du 1/3 d’un sous-marin de classe Tango ("Soviet Tango class submarine"), en allant lui-même les chercher sur une base navale russe, introduit par un officier de marine. Au départ, l’idée de Fainberg était de ramener carrément pour 5 millions de dollars un Tango complet de Kronshtadt, dans le Golfe de Finlande, près de Saint-Pétersbourg ! L’homme est né à Odessa, est surnommé Tarzan en raison de sa stature et de ses longs cheveux, et a fondé son club en 1990 à Miami, le Porky’s, puis le Babushka. Le lendemain de la chute du mur de Berlin. Pour beaucoup, il est en effet tout de suite le "leader de la mafia russe à Miami". Une mafia qui pose de sérieux problèmes aux autorités : "there are Russian organized crime families based in Miami and New York that have strong ties to Puerto Rico. They are very tight organizations, very difficult to penetrate, and they present us with language problems. Gathering intelligence is a problem." Un port colombien sert de base au trafic : Turbo, au nom prédestiné tant il va servir de plaque tournante : "in the past three months, the officials said, several Russian vessels have entered the northern Colombian port of Turbo and are believed to have unloaded shipments of AK-47 assault rifles and rocket-propelled grenades in exchange for drugs. It is perhaps a measure of the general level of violence in Colombia that authorities do not know whether the weapons went to Marxist guerrillas, right-wing paramilitary organizations or the Cali drug cartel." Des sous marins ou des missiles : "In July (en 1996) , following a two-year undercover operation here, federal officials arrested two Lithuanian nationals after they allegedly tried to sell Russian shoulder-fired surface-to-air missiles for $330,000 to undercover agents posing as Colombian drug dealers. The weapons were to be routed through Bulgaria to Puerto Rico and then Miami, officials involved in the case said". Le port de Turbo est dans la zone de contrôle des paramilitaires. Son tout premier contact avec la Colombie, à notre fameux Tarzan, c’est en fait pour vendre en 1993 à l’armée colombienne 6 hélicoptères Mil Mi-8/17 Hip, vendus un million de dollars pièce, une excellente affaire pour les Colombiens. En 2008, âgés de plus de 15 ans, ils y sont encore, en Colombie. Même que vous les connaissez bien, ces fameux hélicos... Repeints à la hâte en blanc avec un peu de rouge, ornés de trois autocollants de la Croix-Rouge, ils sont devenus en un tour de pinceau des copies conformes de ceux utilisés par les humanitaires en Amérique du Sud, voire par les pilotes de Chavez venus chercher une autre otage, Clara Rojas, détenue avec Ingrid Betancourt. En utilisant l’image de la Croix-Rouge pour effectuer son action, l’armée colombienne commettait ce jour-là, rappelons-le, un crime de guerre, soumis aux articles 37, 38 et 85 du protocole un des conventions de Genève. Le logo d’une organisation humanitaire espagnole, "Mision Internacional Humanitaria" a également été détourné et peint sur les machines. Les hélicoptères repeints à la hâte avaient encore devant eux les plaques de protection des hélicos de l’armée et les casques des pilotes possédaient encore des points de montage pour visée nocturne, note un internaute plus attentif que les autres ! "Other photos shown to CNN indicate how little was done to disguise equipment used in the rescue. The two military MI-17 helicopters used in the rescue were repainted white and orange without removing armor-plated panels positioned around the outside of the cockpit. Another shot shows the pilots wearing what appear to be military pilots’ helmets that have been repainted white with orange or red V-shaped stripes. The helmets still have prominent mounts on the front used for attaching night vision goggles." Difficile de croire, en ce cas, que les Farc aient pu être bernés à ce point. L’hypothèse d’une trahison interne est bien la plus plausible. Une couche de peinture ne suffit pas pour déguiser un hélico militaire en hélico humanitaire. Même un hélicoptère acheté à un baron de la drogue.
L’affaire du sous-marin de 30 mètres (il devait être descendu sur la côte en 3 morceaux ressoudés sur place !) terminée comme on vient de le voir par saisie avant sa mise à flots, les trafiquants n’en ont pas pour autant abandonné l’idée du transport sous-marin. A Buenaventura, le 6 novembre 2007, la police tombe sur un chantier naval peu ordinaire. Dans deux docks de bois, ils trouvent deux autres sous-marins de 17 mètres de long en fibre de verre, pouvant contenir jusqu’à 5 tonnes de cocaïne. Selon les autorités, les deux engins auraient eu pour commanditaires... les Farc. Le 16 juillet 208, la marine mexicaine arraisonne au large d’Oaxaca, à 320 km des côtes un autre submersible. A bord 6 tonnes de cocaïne répartis en 257 paquets. En 2006, des policiers italiens ont interrompu une opération de transfert par sous-marin entre la Colombie et l’Italie, un projet de la mafia calabraise de transfert de 10 tonnes de cocaïne. Les tonnages par sous-marin dépassent ceux déjà assez mirobolants des avions qui sillonnent le Golfe du Mexique.
Ironie du sort : pour arriver plus rapidement sur l’objectif lors d’une intervention contre des sous-marins, les Colombiens ont utilisé deux des six Mil-17 achetés au trafiquant de drogue "Tarzan"... le même engin avait été vu en construction dans l’arrière-pays au Sud dans la province de Narino quelques mois avant. Les engins de toutes sortes, dont certains réduits parfois à un simple cylindre d’acier et tirés par des cargos, semblent avoir aussi de l’autonomie, ravitaillés en pleine mer par d’autres cargos qui les rejoignent part GPS : en 2006, des policiers de Galice (en Espagne) tombent sur un sous-marin similaire, près du port de Vigo. En 2008, on en trouve sur les bords des côtes de Guinée-Bissau. Le Southcom US estime chacun à environ 2 millions de dollars. Le procédé est plus que devenu à la mode, on est quasiment au stade industriel. En 2007, treize sous-marins ont été découverts. On estime à une cinquantaine le nombre d’appareils fabriqués. Dans les six premiers mois de cette année, 42 vaisseaux ont déjà été découverts et saisis par l’US Navy. Le Golfe du Mexique, le Pacifique et même l’Atlantique sont devenus des centres de navigation pour sous-marins bourrés de drogue. A signaler aux prochains partants d’un tour du monde en solitaire : avant on craignait les billes de bois ou les containers dérivants, aujourd’hui il va falloir penser à louvoyer entre les sous-marins de trafiquants de drogue.
La Colombie est donc toujours noyée dans ses histoires de drogue car la lutte choisie par son président n’est pas une lutte efficace d’éradication, mais un moyen de s’équiper en matériel militaire supplémentaire, avec l’aide des Etats-Unis qui voient en lui un des derniers bastions des politiques de droite en Amérique du Sud. Nous verrons qu’à l’origine de ce choix il y a tout autre chose, et que d’autres personnes que les trafiquants de drogue bénéficient de cette désorganisation totale du pays, où les armes sont toujours le seul moyen d’imposer une politique que n’a pas comme objectif principal le bonheur d’un peuple, mais surtout et avant tout l’enrichissement de quelques-uns.
PS : vous pourriez aussi demander ce qu’il est advenu de "Tarzan". Eh bien après être parti en... Israël, serré de près par le FBI, puis être revenu au Canada qu’il a dû fuir après avoir été accusé de trafics de prostituées... il est à nouveau reparti y couler des jours heureux. Pourquoi Israël, me direz-vous ? Ah ça... Tout petit, paraît-il, il avait rêvé d’intégrer la Marine israélienne, avait raté son concours d’officier et avait vainement tenté les Navy Seals... sans y parvenir non plus. L’attrait du pays, sans doute.
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