La mascotte de l’auto entreprise en forme de spermatozoïde commence à défrayer la chronique et se mordre la queue. Son créateur ne devait pas penser que le concept serait si vite désigné du doigt. Un long chemin de croix commence.
La virulence avec laquelle l’auto entreprise apparaît dans l’actualité n’a d’égale que les louanges qu’elle a déroulé dans les plans communication. A sa naissance, quelques fous ont crié casse cou, mais dans l’indifférence générale.
Ce qu’on entendit dans la presse officielle se résume ainsi :
«
Grâce à l’auto entreprise, l’esprit d’entreprise, qui est aussi l’esprit d’aventure, souffle de nouveau en France. Malgré la crise. Chômeurs, étudiants, salariés, retraités, hommes et femmes, jeunes ou moins jeunes, une nouvelle génération est née : la " génération auto entrepreneurs … Un phénomène de société ", comme l’a dit Nicolas Sarkozy ».
« La création du « régime de
l’auto entrepreneur a révélé un fort engouement pour l’entrepreneuriat en France. Dans le sillage de sa création,
un espace vierge a vu le jour. Cet espace se caractérise par une ébullition de besoins nouveaux, d’interactions et d’interrogations inédites, une multitude d’acteurs audacieux lancés dans des aventures souvent passionnantes ».
Ainsi, dans la France d’après 2007 après Jésus Christ, par la grâce du Président qui fait naître une nouvelle génération, l’esprit d’aventure peut s’épanouir dans un espace vierge, bouillonnant d’acteurs audacieux et de bonnes intentions. On se pique au tableau : une grande chevauchée dans des étendues sans fin, la liberté qui nait avec le libéralisme. Le soleil se lève au loin. Sur son cheval, John Ford prête sa pipe à Sarkozy. Matisse regarde le film.
Aujourd’hui, un peu plus d’un an après sa création (1er janvier 2009) 400 000 personnes ont fait le geste de l’inscription. Un tiers des créations d’entreprises nous dit-on. Encore faudrait-il déjà s’entendre sur le mot « entreprise ».
Alors que le ministre créateur se félicite toujours et encore de son bébé, les premières alertes sérieuses sont mises au jour, qui mettent en avant les effets destructeurs de la formule.
On viendrait de s’apercevoir que sous la plage étaient les pavés.
> « sous ce statut avantageux, certains auto entrepreneurs
dissimulent leur chiffre d’affaires », comme si l’on n’avait pas vu dès le départ que l’auto entrepreneur serait du travail au noir blanchi dont s’accommoderait le libéralisme pour faire accepter la dérèglementation !
> l’UPA, Union Professionnelle Artisanale, pour qui le régime est « profondément
injuste...concurrence déloyale ... et solutions aventureuses » et se demande si elle ne va pas demander la
suppression de ce statut.
> les URSSAF se plaignent,
> la caisse de retraite des professions libérales se plaint de l’arrivée massive des auto entrepreneurs qui viennent "
plomber » son équilibre financier... ce à quoi Hervé Novelli répond que "le gouvernement n’exclut pas un
ajustement du régime de
compensation démographique", ce qui veut dire que par ce "mécanisme national de redistribution qui a pour vocation de réduire le poids de l’inégalité démographique », ce sont les caisses des salariés qui vont venir aider les auto-entrepreneurs ! Ubuesque !
> certaines PME proposent désormais à leurs nouveaux collaborateurs de travailler sous le statut d’auto-entrepreneur
plutôt que de les embaucher. Ce salariat déguisé leur permet de ne pas payer de charges, de primes de précarité ou de congés.
On découvre enfin l’un des effets voulu par les concepteurs, qui revient à faire accepter cette formule : vous cherchez un travail ? Inscrivez vous auto entrepreneur et faites moi une facture... Il suffit d’aller sur l’internet pour s’en convaincre.
Les chiffres avancés par le gouvernement sur l’auto entreprise font aussi partie de la trousse à maquillage : en premier lieu mélanger les chiffres d’auto entreprises avec les « vraies » créations d’entreprise, c’est cacher le chiffre vrai des destructions et des faillites, qui n’a jamais été aussi important ; c’est aussi maquiller les chiffres du chômage réel.
Tout commence à être dit sur ce dispositif qui n’en finira pas d’être la forme honteuse, pensée et organisée de la précarité comme nouvelle donne morale et politique : licencier et sous traiter, avec en cadeau un code du travail qui n’existera plus. Cette accélération de la dégradation du salariat est une autre arme de contrôle sur lui, organisé en chaos pour enrichir les forts. C’est encore la démocratie en danger.
Pour se persuader du danger, il n’est qu’à prendre au mot
le livre que notre secrétaire d’Etat NOVELLI va dédicacer, servi en promotion par le
site du ministère, dont la Fédération des Auto-Entrepreneurs
assure la publicité. C’est bien naturel, d’ailleurs, puisque c’est le secrétaire d’État qui lui mis le pied à l’étrier.
Vous avez lu les
commentaires. Ils sont dignes d’intérêt : Hervé Novelli a crée le statut d’auto entrepreneur parce qu’il s’est aperçu que dans cette « société française fortement imprégnée de culture étatique, lorsque l’on offre de nouveaux espaces de liberté aux Français, ils s’en saisissent immédiatement, y compris dans le domaine économique.". Et d’ajouter : "Véritable manifeste libéral, "l’auto entrepreneur, la clé du succès" nous apprend beaucoup sur la personnalité du ministre. Que ce soit ses engagements de jeunesse pour la liberté, son parcours de chef d’entreprise ou sa critique de l’idéologie étatiste. ». On parle bien d’un ministre de la République, non ?
On y apprend la dernière nouvelle du jour, qui fait l’objet d’un chapitre : c’est la « Fin de la lutte des classes ». La négation de la lutte des classes ? Tiens, voilà qui rappelle quelque chose.
Cerise sur le gâteau, qui risque de donner d’autres aigreurs aux lecteurs s’ils ne sont pas préparés : un chapitre est intitulé « Une nouvelle nuit du 4 août ». Vous avez bien lu : toute honte bue, ce bon apôtre du libéralisme dur récupère la
nuit du 4 août 1789 qui avait débouché sur une révolution fiscale fondée sur le principe de l’universalité de l’impôt. L’exigence d’égalité et de justice !
Il fallait le faire. Il l’a fait.
Étonnez-vous que sur de telles bases, le sérieux du concept d’auto entreprise n’en finira pas son chemin de croix, jusqu’à sa suppression.