Autorité de la Concurrence, connivence à tous les étages ?
Alors que la Nouvelle-Calédonie célèbre la création d'une Autorité de la Concurrence enfin indépendante, déliée des jeux d'influence politique et de copinage industriel, dotée de pouvoirs d'enquête, de recours et de sanction, la France métropolitaine assiste, impuissante, à la mort à crédit de la sienne. Née en 1953, l'Autorité de la Concurrence made in Hexagone souffre d'avoir trop vécu, d'avoir assisté peu à peu à l'émoussement de ses forces face aux sollicitations de plus en plus insistantes des acteurs du privé, mais aussi et surtout du public. Principales victimes, chairs à canon de ce jeu de massacre qui ne dit pas son nom : les consommateurs. Encore et toujours.
L'Autorité de la Concurrence n'a de cesse de pointer les dérives ayant cours dans tel ou tel secteur, mais qui pointera les siennes ? Il y aurait pourtant beaucoup à dire, alors que l'actualité économique foisonne d'exemples de rachats ou d'accords entre entreprises, et que l'organisme présidé par Bruno Lasserre est sollicité à tout-va.
Dernière exemple flagrant de l'incurie de l'Autorité, son ingérence dans le dossier du rachat de SFR par Numericable. Alors que Vivendi s'est prononcé en faveur du cablô-opérateur au détriment de Bouygues, l'Autorité de la Concurrence, après avoir déjà examiné le dossier en amont pour s'assurer du maintien du marché à 4 acteurs, souhaite l'étudier de nouveau post-décision. Un peu paranoïaque mais de bonne guerre, me direz-vous, puisque dans le cadre d'une fusion entre deux entreprises dont plus des deux tiers du chiffre d'affaires est réalisé en France, elle est tenue de le faire.
Ce qu'elle est moins tenue de faire, en revanche, c'est de communiquer par voie de presse, par l'intermédiaire de son président, des informations sensibles en pleine phase d'instruction du dossier. Ainsi, dans un entretien accordé au Figaro début mars, Bruno Lasserre s'est-il exprimé sur le temps d'examen du dossier. "Autour de neuf mois", lâchait-il, avant de déclarer de nouveau mi-Avril : "Je vous le confirme : nous ferons un examen approfondi (...)."
Anecdotique ? C'est interdit par la charte de déontologie de l'organisme et par le Code du commerce, mais bon. Ce qui donne toute sa saveur à ces déclarations, c'est surtout une déclaration connexe d'Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, en date du 31 janvier 2014. Montebourg, qui n'a jamais caché son soutien à Bouygues Telecom tout au long de cette affaire, s'exprimait dans le cadre des voeux de la Fédération française des Télécoms. Sa déclaration vaut son pesant de cacahuètes : "Lorsque je reçois l'Autorité de la Concurrence qui vient à mon bureau, je lui dis : vous êtes contre les ententes, et moi je les organise. Vous, vous êtes nommé, et moi, je suis élu. Donc qui a raison ? Forcément moi !"
Bon. Passons sur le fait que Montebourg s'exprimait alors en tant que ministre, maroquin pour lequel il n'a, jusqu'à preuve du contraire, pas été élu mais désigné, et que par ailleurs il n'est même plus élu du tout, nulle part. Passons et tentons de mettre en relation les propos du président de l'Autorité de la Concurrence et de notre désormais ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique. Comment percevoir dans l'annonce par le premier d'un délai d'instruction excessivement long pour le dossier de rachat de SFR autre chose qu'une manoeuvre dilatoire concédée au second ?
Neuf mois, pour un dossier qui est déjà passé sur le bureau de l'Autorité de la Concurrence, c'est en effet une éternité. Et ça risque de compromettre la volonté de Numericable d'opérer un remaniement organisationnel sans casse. Patrick Drahi, grand manitou d'Altice, maison-mère de Numericable, s'était engagé à maintenir tous les emplois pendant 36 mois, tant chez SFR que chez le cablô-opérateur. Comment procéder puisqu'il doit attendre la délibération officielle de l'Autorité avant de pouvoir officiellement revendiquer la propriété de SFR ? Ou pas. Une seconde option qui est à craindre, quand on connait la préférence de Montebourg dans ce dossier, et à en juger par le fait que l'Autorité de la Concurrence semble pieds et poings liés, soumise aux caprices d'un ministre dont l'interventionnisme ne connait plus de limites.
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