Aux dessinateurs survivants et vomissants de Charlie
J’ai lu vos commentaires acerbes sur le mouvement de soutien dont vous bénéficiez. Ce mouvement est aussi repris par des politiciens de bords différents du vôtre. Vous exprimez votre quasi dégoût à ce propos, par exemple par la bouche de Willem :
Les vomissements de Willem
« Nous avons beaucoup de nouveaux amis, comme le pape, la reine Elizabeth ou Poutine : ça me fait bien rire. (...) Marine Le Pen est ravie lorsque les islamistes se mettent à tirer un peu partout. » Et d’ajouter, interrogé sur le soutien du chef de file de l'extrême droite néerlandaise Geert Wilders : « Nous vomissons sur tous ces gens qui, subitement, disent être nos amis ».
Willem, la réaction publique à cet attentat est-elle trop belle ? Vos morts appartiennent-ils à un parti politique particulier pour que vous désigniez vos « bons » et « mauvais » soutiens ? C'est à se demander où est Charlie... Je croyais que vous ne vouliez pas être sectaires. J'ai dû me tromper. Certes vous êtes un peu dépassé par les événements, comme beaucoup d'entre nous, ce qui explique peut-être ce dérapage. Laissez donc les gens faire comme ils l’entendent et, si possible, n’en faites pas une affaire politique, quelles que soient les récupérations en cours.
Votre collègue Luz ajoute :
« On fait porter sur nos épaules une charge symbolique qui n’existe pas dans nos dessins et qui nous dépasse un peu. Je fais partie des gens qui ont du mal avec ça. Au regard du monde on est un putain de fanzine, un petit fanzine de lycéen. Ce sont des gens qui ont été assassinés, pas la liberté d’expression ! Des gens qui faisaient des petits dessins dans leur coin. Au final, la charge symbolique actuelle est tout ce contre quoi Charlie a toujours travaillé : détruire les symboles, faire tomber les tabous, mettre à plat les fantasmes, déplore-t-il. Le symbolisme au sens large, tout le monde peut en faire n’importe quoi. Même Poutine pourrait être d’accord avec une colombe de la paix. »
Vus ainsi vos morts ont moins de panache. C'est à se demander pourquoi on en parle. Si ce n’est pas la liberté d’un organe de presse qui était visé, et à travers lui un pilier important de notre culture, pas la peine d’en faire un fromage. Après tout, malgré l’efficacité de cette attaque menée par une des branches militaires de l’islam, il n'y a que 19 morts, dont certains comme Wolinski (80 ans) étaient proches d’atteindre la date de péremption (tiens, voilà une formule irrévérencieuse qui devrait vous amuser, non ? Vous m'avez appris qu'on peut rire de tout). Alors que les milliers de morts sur les routes n’ont eux pas droit à un hommage. Je prends cette comparaison parce que, non, il n’y a pas de charge symbolique quand on meurt un peu bourré en voiture. C’est donc bien la charge symbolique qui nous rend solidaires de vous. Si vous n’en voulez pas, dites-le clairement. On reportera notre sympathie ailleurs. On ne peut être partout à la fois et il y a aujourd'hui au Nigéria des centaines de morts tués par une autre branche militaire de l'islam : ils méritent nos pensées autant que vous.
Nous vous utilisons
Oui, nous vous utilisons. Oui, nous utilisons vos morts. Où est le problème ? Vous n’êtes pas les seuls à être utilisés : toute réaction d’indignation ou de tristesse à des événements dramatiques, hors celle exprimée par les proches, est une utilisation des morts. Une femme violée et massacrée dans un autobus en Inde, un juif torturé et tué à Paris, Cabu transformé en marmelade aux groseilles (ne le prenez pas mal, je m'inspire de votre humour), tous ces morts que nous ne connaissons pas servent à réveiller nos indignations pendant un jour ou deux, histoire de nous faire nous trouver beaux dans nos miroirs. L’humanisme (mot que l'on pourra sous peu jeter à la poubelle pour cause d'obsolescence) moderne est peu exigeant.
Soyons lucides : oui nous utilisons vos morts. Que croyiez-vous ? Le monde entier utilise vos morts. La plupart, disons 99,999% des gens qui sont Charlie dans le monde aujourd’hui ne vous connaissaient pas, ni les morts personnellement, ni votre canard. Ils vous utilisent, et c’est normal, car aujourd’hui vous êtes le symbole d’une forme essentielle de liberté en démocratie.
Vous ne voulez pas être ce symbole ? Je comprends que ce soit lourd à porter. Mais c’est trop tard. Si vous ne souhaitiez pas porter cette charge symbolique il ne fallait pas diffuser publiquement les caricatures et autres olla-podrida. Si vous revendiquez d’être « Des gens qui faisaient des petits dessins dans leur coin » il fallait rester dans votre coin, et ne pas les imprimer dans une feuille vendue à tous publics.
Je me fous des politiciens qui font leur épicerie (pas casher) aujourd’hui à Paris. Les français ne vont certainement pas battre le pavé pour les yeux de chien battu de Hollande ni pour les crocs de prédateur de Sarkozy. Ils y vont pour, à travers vous, défendre un principe et montrer à cette branche militaire de l’islam qu’ils n’ont pas peur. Cette réaction vous dépasse ? Normal : vous, vous provoquez le public mais vous vous faites protéger par la police des conséquences de vos provocations. Un bon point pour vous cependant : vous étiez presque les seuls à ne pas infantiliser les musulmans, alors qu'une Christiane Taubira, ministre de la Justice, évite de parler de la traite négrière arabo-musulmane pour ne pas choquer les petits musulmans qui pensent être des victimes universelles (inconsciemment ils sont humiliés par cela). Si vous voulez les aider à s'intégrer dites-leurs qu'ils sont responsables - même à leur corps défendant. C'est en faisant d'eux des victimes irresponsables qu'on prépare aussi des djihadistes revanchards, et madame Taubira, comme nombre de personnalités socialistes, sont symboliquement co-responsables du carnage. Aujourd'hui la condescendance continue quand certains disent d'éviter les amalgames. Nous n'avons pas à nous poser cette question, mais seulement à dire ce que nous voyons et entendons. Le problème des multiples visages de l'islam et des amalgames n'est pas le nôtre, c'est celui des musulmans. Nous n'avons pas à penser pour eux (vieux réflexe autoritaire post-colonialiste).
Vendredi soir 9 janvier chez Taddéï, Catherine Clément, romancière et philosophe, demandait expressément, à un moment, que l’on évite de parler de Zemmour, en refusant même de prononcer son nom (volonté d'anéantir l'autre) : « Est-il vraiment nécessaire de parler de celui-là ? Pas de ce type-là s'il vous plaît », avec un ton cinglant n'admettant pas la controverse (une vingtaine de secondes ici à partir de 37'20"). La salooope ! Putain de philosophie !!! Les tyrans n'ont pas toujours une kalachnikov dans les mains, parfois un micro suffit... Elle semblait être de vos « amis » et son intervention colle malheureusement avec votre sectarisme souligné plus haut. Une amie qui fait avec Zemmour ce que le commando a fait avec vos collègues : tenter de le faire taire et de le faire disparaître - au moins médiatiquement. Amusant spectacle de cette gauche un peu facho qui prétend défendre la liberté.
Voilà, messieurs les survivants, les réflexions que m’inspirent aujourd’hui vos réactions, réflexions un peu différentes des précédentes.
J’ai compris votre message éclairant et partisan : aujourd'hui je ne suis plus Charlie. Vous vous demandez à juste titre : « Dans un an, que restera-t-il de ce grand élan plutôt progressiste sur la liberté d’expression ? » Ne craignez rien : d’ici une semaine on passera à autre chose avec la même vitesse et la même sérénité que vos unes qui se succèdent chaque semaine. The show must go on, et d'autres cadavres appelleront rapidement notre compassion, jusqu'à épuisement du stock émotionnel.
Et puisqu’il paraît que vous dénoncez le contre-sens fait par tous ceux qui brandissent Charlie Hebdo et ses caricatures comme un symbole de la liberté d'expression, je vous laisse entre vous, dans votre coin, dans votre clan, dans votre club, et je n’achèterai pas Charlie mercredi prochain.
Pour finir, messieurs, un court message de Guy Bedos à votre sujet, daté de 2012 : « Qu’ils crèvent ». Son voeu provocateur est en partie exaucé :
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