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Accueil du site > Tribune Libre > Avant Chantal, il y eut Marcel...

Avant Chantal, il y eut Marcel...

Pourquoi revenir sur l’affaire Chantal Sébire ? Parce qu’elle n’est pas finie. Parce qu’elle ne finira que lorsqu’on aura reconnu le droit inconditionnel de l’adulte sain d’esprit à mourir quand il veut, pour les raisons qui ne regardent que lui et avec toute l’aide que la société peut lui donner. Il faut que finisse enfin le Moyen Âge.

C’est pour ça qu’il faut rappeler que le jugement qui a refusé cette assistance à Chantal a été une bataille perdue dans une guerre qui continue. Une guerre qui un jour sera gagnée. Juste un mot, pour remémorer la bataille gagnée quand l’opinion populaire a fait que, malgré les pressions des bien mal-pensants, on a laissé Marcel partir tranquille... Voici comment je le disais à l’époque...

M. Marcel Tremblay d’Ottawa, 78 ans, vient d’annoncer qu’il va nous quitter. Il va voyager au moyen d’un petit ballon d’hélium qui, à défaut d’emporter dans les cieux son corps bien malade, va faire que s’envole sa vie, son esprit, son âme... Appelez ça comme vous voudrez, mais le petit ballon d’hélium va emporter l’essence de M. Marcel Tremblay. Aussi définitivement qu’on puisse le faire, M. Tremblay va partir.

C’est son droit. Personne ne conteste que M. Tremblay soit majeur et sain d’esprit. Personne ne conteste son droit au suicide.

Ce qui n’empêche pas une foule de gens d’y aller de leurs commentaires et de vouloir qu’on intervienne. Tout le monde et son père a, qui un vieux fond de religiosité qui le pousse à dire que lui ne le ferait pas, qui une expertise qui l’autorise à nous dire que personne ne devrait le faire. Comme si, qui que ce soit pouvait s’y connaître en "vie" et en "désir de vivre" !

Peu de gens me mettent aussi en rogne que ceux qui veulent compliquer la décision déjà bien difficile d’un être humain de mettre fin à ses jours.

Cette fois, c’est un quidam qui s’insurge que M. Tremblay ait rendu public qu’on puisse se suicider - sans douleur, semble-t-il - avec une simple bombonne qu’on trouve partout du gaz inerte dont on remplit les ballons qu’on laisse ensuite s’envoler dans les fêtes foraines. Il trouve inacceptable que les gens SACHENT comment mourir...

Si c’est trop facile, d’autres le feront, qu’il nous dit. D’autres qui sont vieux, malades, souffrants le feront...

Mais pourquoi ne le feraient-ils pas ? De quoi se mêle une société qui affirme que vivre est un bien en soi, quel que soit le mal que la vie apporte ? Pourquoi véhiculer cette idée saugrenue que le courage est de s’y accrocher sans raison ? Pourquoi ? Parce que la vie... bon..., bref..., vous savez... Non, je ne sais pas... et eux non plus.

Dès qu’on parle de suicide ou de suicide assisté, les imbéciles font dévier le débat vers l’euthanasie, vers la dérive d’une société qui tue, alors que ce n’est absolument pas de ça qu’il s’agit. Il s’agit d’un être humain qui évalue le coût/souffrance et le bénéfice/joie de l’espérance de vie qui est la sienne et décide qu’il n’est plus preneur. Une décision qui peut être parfaitement raisonnable.

Ne faudrait-il pas, au contraire, que TOUT LE MONDE sache comment mourir ? Que cette inévitable épreuve soit adoucie et que le choix d’en sortir avec dignité, quand la vie n’a plus de joie à offrir, soit facilité dans toute la mesure du possible ? On dirait que notre société ne peut échapper à cette vision moyenâgeuse d’une vie qui trouve son sens dans la souffrance.

Ce n’est pas manquer de respect envers la vie que de n’en prendre qu’à la mesure de son appétit ; ce sont ceux qui veulent gérer la vie des autres, pour apprivoiser leurs propres terreurs, qui manquent de respect à la vie et à leur prochain... et qui ne sont pas respectables.

Même - et surtout - si ce ne sont pas des quidams, mais des gens qui se veulent des modèles. Car il n’y a pas que les ignares qui viennent dire des âneries quand on parle du suicide.

Margaret A. Somerville, directrice du Centre for Medicine, Ethics and Law de l’université McGill, est sans doute ce qui se rapproche le plus d’une référence en matière d’éthique au Canada. Elle a écrit un best-seller sur la question. On s’attendrait à ce qu’elle prenne une position rationnelle...

Mais c’est le politiquement correct qui l’emporte et elle vient dire, aux journalistes qui l’interrogent, des fadaises sur le rôle des médias voyeurs qui encouragent indirectement ces décisions d’en finir par leur attention... et qui ne devraient pas. C’est un crime d’encourager au suicide, et bla, bla, bla...

"Si les journaux, n’en parlaient pas, la tentation serait moins forte de vouloir faire de sa mort un message...", nous dit Madame la directrice.

Mais pourquoi, justement, celui qui va mourir serait-il privé de l’ultime satisfaction d’en faire un message ? Pourquoi celui qui se hâte un peu de mourir pour quelque chose, en donnant tout ce qui lui reste à donner, - qui sont sa lucidité et son acceptation - devrait-il se joindre au troupeau des insignifiants qui le critiquent parce qu’ils trouvent, eux, plus correct d’attendre... et de mourir pour rien ?

Elle ne nous le dit pas. Elle ne dit rien de pertinent. Mais comme on ne peut pas, quand on est une sommité, dire seulement les mêmes bêtises que tout le monde, Dr Somerville ajoute une perle académique de son cru en mettant sur le compte d’un "intense individualisme" ces décisions de plus en plus fréquentes de quitter la table quand la valeur de la vie est desservie.

"Intense individualisme"... Comme si mourir n’était pas, à bien juste titre, une décision individuelle et si décider de mourir, en effet, ne devrait pas être un moment de grande intensité. Elle propose quoi, la doctoresse, qu’on fasse un colloque et qu’on s’autorise les uns les autres à mourir quand ça ne dérange pas la société ?

La doctoresse bien pensante me rappelle aujourd’hui ces médecins qui refusent de prescrire de l’héroïne aux moribonds qui souffrent, sous prétexte que ceux-ci pourraient développer une dépendance... Ce sont des gens que je ne trouve pas sympathiques. Elle, vous, moi... on prendra tous le train. Marcel Tremblay prend le train qu’il veut. Il a tout mon respect. Bon voyage, Marcel.

Après Marcel Tremblay, après Chantal Sébire... Qui ? Vous ? Moi ? On néglige, on pense à autre chose... Il faudrait toujours se souvenir et tous être solidaires du combat de ceux qui veulent partir. C’est le nôtre. Un pas en avant vers la dignité humaine.

Pierre JC Allard


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10 réactions à cet article    


  • claude claude 25 avril 2008 14:10

    merci pierre

    pour cet article, qui comme d’habitude est fort intéressant.


    • Itamar 25 avril 2008 21:12

       Un article direct, sans artifices, qui ne s’embarque pas dans des labyrinthes de débats éthiques et philosophiques.....D’accord ou pas d’accord ? Je suivrai les réactions avec intéret. Une remarque et question : pourquoi traitez-vous d’imbéciles ceux qui évoquent l’euthanasie ? Parfois, certaines personnes expriment le souhait de partir dans la dignité tant qu’elles peuvent parler ( je songe par exemple à des neuroévolutives) , et demandent qu’on les "aide à partir" quand leurs souffrances seront intolérables ou qu’ils seront prisonniers de leur corps.....S’agit-il de suicide assisté ou d’euthanasie ? Ma question n/est pas destinée à créer une polémique. C’est le terme "imbécile" qui me heurte. C’est déja pas mal....

       


      • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 26 avril 2008 01:38

        @ Itamar : Ne sont des imbéciles que ceux qui manquent de clarté ou de cohérence. Dans ce dossier, ce sont ceux qui ne font pas la différence entre suicide et euthanasie. Est un suicide ce qui découle d’une volonté personelle de mourir. L’euthanasie est le geste de mettre fin aux jours de quelqu’un pour un "bon" motif. 

        Mon appui au suicide n’est conditionnel qu’à la capacité de former une décision libre. Ma position quant à l’euthanasie est tout entière conditionnée par le même principe de libre choix. On peut donner des instructions pour etre euthanasié à certaines conditions, dans certaines circonstances et je les assimile à un suicide. Si on euthanasie contre le consentement de l’individu c’est un meurtre,

        Le flou moral se pose si une personne qui ne peut exprimer sa volonté est dans un état tel que l’on puisse penser que, dans des circonstances identiques "on" chosirait d’être euthanasié. Mais qui est ’"on’ pour en juger... En ce cas, je n’ai pas d’opinion à partager.

         

        PJCA

         


      • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 26 avril 2008 01:50

        @ Ben : Vous avez ma parole.. mais en quoi le savoir pourrait-il vous priver des bonheurs qui vous entourent quotidiennement ? J’aimerais comparer avec ce que je ressens quand je pense à tous ceux qui souffrent pour rien. Tenez, moi, par exemple, j’ai eu beaucoup de peine a jouir tranquillement de la vie pendant les jours ou Chantal Sébire attendait la décision du tribunal.

        PJCA


      • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 27 avril 2008 00:33

        @ Ben : Nous voila tout a fait d’accord...

         

         PJCA


      • Bobby Bobby 26 avril 2008 10:35

        ...Hélas le monde est en train de se suicider !

        Confortablement assis au volant de son véhicule, buvant sous forme éthylique le maïs que son conducteur mourant de faim n’aura pas dans l’estomac... Ceci n’est qu’un exemple !

        Choisir la manière de mettre fin à ses jours me paraît un droit fondamental... (avant que d’autres choisissent pour vous !) Merci à nos dirigeants pour la situation présente qui paraît de plus en plus abscons !


        • E-fred E-fred 26 avril 2008 11:32

          Bonjour Pierre JC Allard. Bonjour à la « Belle Province ». « Elle propose quoi, la doctoresse, qu’on fasse un colloque et qu’on s’autorise les uns les autres à mourir quand ça ne dérange pas la société ? » Parceque finalement, cette si géniale société est remise en cause par la libre décision de M. Tremblay et comment « en est-il » arrivé là, malgré tout ce propose notre société « civilisée » ? M. Tremblay, avec son geste, renvoi à la société son mirroir aux alouettes.

          Je vous trouve sévère à l’encontre d’Itamar, qui pose une bonne question « S’agit-il de suicide assisté ou d’euthanasie » A voir ou à revoir, le superbe film : « Les invasions Barbares » : http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Invasions_barbares


          • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 27 avril 2008 00:45

            @ E-fred : Je trouve aussi que la question de Itamar était tout à fait correcte et mon intention était de lui répondre avec respect et courtoisie. Si ma réponse qui se voulait seulement claire vous a paru sévére, c’est que je me suis sans doute mal exprimé. S’il revient sur ce fil, je le prie d’accepter mes sincères regrets.

            J’ai aussi trouvé "Les invasions Barbares" extraordinaire et la scène du suicide devrait etre montrée à tout le monde. C’est comme ça qu’on devrait mourir dans un monde civilisé.

            PJCA


          • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 27 avril 2008 00:51

            @ Tous ceux qui ont envoyé un commentaire : merci Je suis étonné de n’avoir reçu qu’une douzaines de commentaires pour un article qui a fait pres de 3 000 visites sur Cent Papiers... je ne comprends sans doute pas très bien ce qui intéresse le lectorat de AV.... À la prochaine.

            PJCA


            • Dancharr 22 mai 2008 16:26

               

              Mon accord est total avec votre revendication. Le suicide est un droit individuel et nul autre ne peut se l’approprier, sous le prétexte d’une pensée dominante, en fait dominée par des archaïsmes d’un autre âge. C’est un despotisme insupportable qui s’exprime habituellement par une phraséologie nourrie à la langue de bois et une argumentation simpliste qui « nazifie » automatiquement le récalcitrant. En réalité, pour avoir une position ouverte sur le suicide il faut se sentir libre. C’est le discriminant. Cela demande du temps, de la réflexion, des rencontres mais la libération est possible.
              Bien cordialement.

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