Avec le désir narcissique, les médias nous ont eu comme les Bleus

L’été se fait léger malgré des tensions graves et des drames qui ne doivent pas occulter l’analyse des phénomènes de sociétés plus futiles, comme peut l’être le mondial de football. Ce sport qui se joue à deux et où à la fin ce sont les Allemands qui gagnent. Ce qui s’est vérifié il y a quelques jours mais où était la seconde équipe, avec les joueurs au maillot bleu ? Je n’ai pas eu le sentiment de voir une équipe dont l’objectif est de gagner des matchs. A travers le jeu et les épisodes médiatiques, l’équipe de France n’a pas vraiment joué contre des équipes adverses mais sans doute contre de vieux démons hérités d’un calamiteux mondial il y a quatre ans. L’objectif des Bleus n’était pas de gagner ou alors s’il fallait gagner, ce n’était pas contre les autres équipes. C’était l’estime des Français qu’il fallait regagner. Ou du moins l’estime des supporters. Etant entendu qu’une équipe sans ses supporters, c’est comme une paella sans riz. Lesquels supporters sont une partie importante de la cuisine médiatique servie lors de ce mondial. Le journaliste se doit de sonder l’optimisme du supporter, alors que dans d’autres instituts, on sonde le moral des Français.
Les Bleus ont joué autant sur le terrain que sur la scène médiatique. Une pièce de théâtre au titre improbable du genre, les Bleus sont redevenus normaux, les Bleus font du foot, les Bleus sont une belle équipe, Les Bleus et Didier, à table. Cette mise en scène des Bleus n’est qu’un signe du fonctionnement des sociétés à l’ère numérique et la surmédiatisation. Le désir narcissique y règne. Cette notion sociologique décrit de multiples traits caractéristiques du comportement des individus dans un univers où règnent les images alors que les désirs sont manipulés de toutes les manières possibles pour obtenir des effets qui profitent aux uns et aux autres. Le désir narcissique est tourné vers soi ou vers les autres. La culture du narcissisme est un phénomène assez récent analysé par Lasch voici plus de trente ans. Le culte de soi, le culte du corps, le désir d’être admiré et par ricochet, l’envie et la comparaison avec les autres. Ah qu’il est malin Vincent avec son badge, il est devant sur l’autoroute, devant le type qui a sa carte de crédit dans la veste qui est dans le coffre au moment de passer au péage. Le désir narcissique fonctionne avec la comparaison. Les situations sont jaugées. On est mieux ou moins bien placé, on a mieux réussi, on a une maison moins belle. Inutile de rajouter des banalités. Le désir narcissique est assez aisé à comprendre dans ses manifestations basiques. Mais pour le foot c’est plus subtil.
Les Bleus ont répondu à ce qui relève du désir narcissique collectif. L’équipe de France doit se faire aimer du peuple français, doit donner une bonne image, notamment pour tous les jeunes dans les clubs de foot. Les joueurs de l’équipe de France doivent monter du sérieux, de l’empressement à bien jouer, de la bonne volonté, de l’humilité, du souci envers le collectif. Et c’est plutôt réussi, avec les conférences de presse bien rodée, des journalistes qui posent de fausses questions embarrassantes et des joueurs qui se prêtent au jeu sans hésiter à sortir des banalités du genre, on est sur le terrain pour gagner. Cette précision étant utile, on ne sait jamais, certaines équipes entrent pour perdre mais ce n’est pas le cas de la France. Ouf, le supporter est rassuré. C’est d’ailleurs lui qui est visé par ces mises en scène médiatique. Un supporter qui met de côté son cerveau, régressant au stade infantile, capricieux et forcément narcissique désirant, à l’instar du gamin qui dans la cour d’école veut avoir le jouet de son copain. Lors qu’un Bleu déclare qu’il faut passer par les huitièmes pour arriver en finale, le supporter est en admiration. Le philosophe inspiré par Coluche se demande alors s’il n’y aurait pas une carte chance au Mondial. Vous ne passez pas par les huitièmes de finale, allez directement en quart, si vous passez par la case départ, vous avez droit à une coupe de cheveux gratuite.
Formidables ces Bleus. Non seulement ils n’ont pas fait grève, se sont bien comportés, ne se sont pas énervés devant les journalistes, ont joué collectivement comme une équipe normale, mais en plus ils ont accompli le minimun syndical, parvenir aux quarts de finale. Ouf, les journalistes sportifs ont eu chaud mais ils ont été rassurés. Arrivé en quart de final, c’est être certain que les Bleus n’ont pas raté leur mondial. Les Bleus assurent un rang de nation du football. Le puriste verra les choses autrement. Un premier tour facile avec des buts marqués contre deux des équipes les plus faibles du tournoi et une piètre prestation contre l’équateur, puis une qualification heureuse face à un Nigeria qui aurait pu l’emporter sans que cela ne soit un scandale. Pour le puriste, une équipe doit être vaillante et ne doit pas assurer un minimum pour donner une image conforme en craignant le pire. Mais dans la sphère du désir narcissique, les caprices des journalistes et des supporters ont été assouvis. Un quart de finale et un comportement irréprochable, bien soigné, jusqu’aux tenues, de la tête aux pieds. On aurait dit un clip tourné pour promouvoir un gel coiffant.
Cette comédie d’une équipe qui joue s’inscrit assez bien dans le schéma de la société narcissique qui découle pour une bonne part de la société du spectacle conçue par Guy Debord. Deux éléments sont essentiels. Le désir narcissique qui est le ressort de cette société, comme la vertu est le ressort de la république ou la peur est le ressort de la tyrannie d’après Montesquieu. Le narcissisme est une sorte de tyrannie mais douce. Il n’y a pas de contrainte physique, pas de tyran avec ses sbires semant la terreur. Juste une peur diffuse, la peur de déplaire, de ne pas correspondre à une image attendue. Du coup, au lieu de ramper face aux hommes armés, l’acteur de la société narcissique se doit d’afficher une image, de jouer une comédie en plus d’exercer des fonctions correctement. La comédie permet de supplanter les déficiences et les impuissances. Gouverner c’est donner l’impression qu’on est un gouvernant. Prendre la posture. Faire semblant d’écouter lors des voyages officiels et d’être attentif, préoccupé des Français. En ce sens, Didier Deschamps a réussi son job. Il a répondu à l’attente des Français, du moins les supporters, les gardiens de l’image que sont les journalistes et les autorités supérieures. C’est un mondial propre. Les Bleus ont su nettoyer la sale image qui leur collait depuis 4 ans et qui a commencé à s’améliorer après le match contre l’Ukraine. Dans un autre contexte, un ex-président a tenté de nettoyer la sale image que donnent de lui les affaires judiciaires.
Je pourrais développer l’analyse du désir narcissique dans d’autres domaines mais j’ai d’autres choses à faire, plus utiles et intéressantes, dans le domaine des sciences. Dites donc, c’est quoi cette dualité onde et particule ? J’ai beau réfléchir, je ne trouve pas. J’ai juste compris l’expérience des fentes de Young. Quand les bleus tirent, les impacts des ballons dessinent une figure d’interférence, à gauche et à droite des cages du gardien adverse.
18 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON