B737 Max : Le crépuscule de Boeing ?
Beaucoup d’encre a coulé sur les deux terribles crashes successifs de Lion Air le 20 octobre 2018 suivi de celui d’Ethiopian Airlines le 16 mars dernier (346 morts). Ces deux catastrophes ne doivent rien au hasard. Elles sont le fruit d’une lente dérive dans un groupe majeur et respecté de construction aéronautique.
De 2005 à 2015, le PDG de Boeing Jim MC Nerney succède au respecté Harry Stonecipher. Ce PDG impose une rigueur budgétaire sans précédent dans la société Boeing. Il cherche par tous les moyens à faire baisser les coûts et à augmenter la productivité. Au point que Boeing aurait distribué 78Md$ à ses actionnaires alors que pendant la même période Airbus n’en aurait distribué que 11 !
Mc Nerney est très critiqué pour son approche jugée conflictuelle tant avec les employés qu’avec les fournisseurs. En 2008, une grève de 57 jours des 27000 mécaniciens (soit environ 16% de la masse salariale) coûte au groupe 6 Md$. A ce moment là, le programme 787 « Dreamliner » commandé à 900 exemplaires à deux ans de retard. L’ambiance de travail délétère qui règne à ce moment au sein du groupe nous est confirmée par des témoignages d’anciens ingénieurs maison. Elle se traduisait par une faible écoute des anciens par la direction alors qu’ils contestaient des décisions à caractère commercial qui ne respectaient pas la technique. Les « règles de l’art » chères aux compagnons des sociétés d’ingénierie à haute valeur technique ajoutée n’étaient plus appliquées systématiquement au moment d’arbitrages techniques délicats.
Depuis quelques années, Boeing fait face à un réel problème de qualité. On retrouve, par exemple, des outils « oubliés », dans la carlingue d’avions sortant d’usine ! L’avion ravitailleur KC 46A (dérivé de la version civile du B767) rencontre de multiples problèmes techniques. Au point que le client, l’USAF en refuse les livraisons en 2018 pendant plusieurs mois. Tous les avions certifiés depuis 2005 - à savoir le B787 Dreamliner (2011) - est cloué au sol de façon répétitive du fait principalement de multiples incendies au sol et en vol dus à un mauvais conditionnement de ses batteries. Puis, le 737 Max ( 2017) s'illustrera par avec deux crashs mortels consécutifs dus à un défaut de conception majeur.
En septembre dernier, lors d’un test de pressurisation du fuselage du nouveau B777X, une porte de l’avion s’est dégondée et a été arrachée du fuselage. Tous ces incidents ou accidents ne sont pas de la même nature. Mais leur accumulation montre à l’évidence un problème de qualité structurelle chez l’avionneur.
Ce dernier, conscient de toutes les critiques, a procédé à la création en septembre dernier d’un Comité permanent au sein de son conseil d’administration baptisé “Aerospace Safety Committee”. Cette autorité indépendante devra s’assurer de « la conception du développement, de l’assemblage, de la production et de la mise en œuvre, la maintenance et la livraison des produits et services ». L’avion est enfin de retour dans les fondamentaux de la société !
Le cas du 787 est symptomatique. Il a permis de faire remonter petit à petit à la surface tous les problèmes, les dérives et les mauvaises habitudes prises par le groupe.
Boeing savait depuis longtemps que son avion monocouloir son « bread winner » (le B737 conçu dans les années 1960), ne pouvait plus être modernisé au-delà de la version NG des années 1990. Il fallait qu’il soit totalement redessiné. Soit environ 6 à 8 ans d’investissements en études, développement et essais en vols avant d’être commercialisé. Soit un investissement classique en la matière de quelques milliards de dollars...
Mais le concurrent, Airbus avec son monocouloir l’A320 - qui était d’une conception beaucoup plus récente - proposa une modernisation avec des moteurs de l’ordre de 15% à 20% plus économes en pétrole. Le succès commercial fut immédiat. Boeing se trouva alors devant un dilemme :
-
Poursuivre le développement de son nouveau 737 avec le risque de se faire distancer par Airbus sur ce segment de marché si rentable.
ou
-
Ressortir des cartons le projet abandonné de la remotorisation et trouver des astuces pour le faire fonctionner.
L’arbitrage du groupe a été fait en faveur de cette deuxième option. L’appât du gain immédiat l’a emporté sur toutes les réticences des ingénieurs.
Le B737 fut donc modifié. Bricolé. Tripatouillé. In fine, les essais en vol ont montré que l’avion n’était pas pilotable en l’état. Qu’à cela ne tienne ! Il est proposé d’adjoindre aux commandes de vol un système appelé « MCAS ». Un avion non pilotable naturellement peut l’être grâce à des aides électronique. Après tout, on le fait bien sur des avions de combat afin de les rendre plus manoeuvrants...
Mais la pression mise sur ce programme par le management et le lancement trop rapide de la chaîne de production dû à la concurrence crée un engrenage mortifère qui va dévoyer et compromettre toute la suite de ce programme. Et porter avec lui omissions, mensonges et impasses techniques.
L’éthique
Cette affaire qui chaque jour qui passe amène un élément incriminant nouveau nous montre à quel point le système était dévoyé.
Les Mensonges
L’avionneur a menti par omission aux pilotes et aux compagnies en ne jouant pas la transparence technique. Il a caché l’existence de ce système MCAS afin de les convaincre que le B 737 NG et sa version remotorisée, le 737 Max, étaient identiques. L’argument de vente majeur était l’absence d'entraînement additionnel particulier pour les équipages qualifiés sur l’ancienne version. Une économie qui poussait les compagnies à acheter.
Les impasses sur le MCAS
La conception du MCAS fait fi de tout bon sens quand on analyse les probabilités de pannes du fait de sa conception. Dans le domaine des commandes de vol, la règle de l’art est de démontrer que la probabilité d’occurrence d’une panne dont les conséquences sont catastrophiques soit inférieure à 10-9 - c’est-à-dire de 1 chance sur un milliard. Or il s’avère que le système MCAS dépendait essentiellement des informations fournies par un capteur - l’’incidencemètre de l’avion. Ceci équivaut grossièrement à dire que le système était au moins mille fois moins fiable que ne l'exigeaient les normes de certification. Cerise sur le gâteau au mois d’août dernier, la FAA aurait découvert que les calculateurs du MCAS - de conception ancienne - n’étaient ni assez puissants ni assez rapides pour fonctionner avec le logiciel associé.
La certification sans implication de l’autorité certificatrice
Boeing a certifié ce MCAS en interne par des ingénieurs choisis par lui selon une procédure (ODA) et mise en place dans l’année 2005 pour pallier un manque de personnel qualifié au sein de la FAA et faciliter les démarches de certification. Mais ce principe d’ODA - acceptable si les « règles de l’art » sont respectées - a été dévoyé au profit de l’avionneur. Et la FAA sans information s’est contentée d’apposer son sceau de certificateur.
La FAA ment au Congrès
Lors d’une présentation au congrès le 4 avril dernier, la FAA a affirmé que tous ses pilotes instructeurs en charge de l’évaluation et de la formation des équipages du 737 Max étaient parfaitement qualifiés. Information contredite par « L’Office of Special Council » chargé d’enquêter sur les informations données par les lanceurs d’alerte. Il a déterminé dans un rapport du 24 septembre dernier que 16 des 22 pilotes inspecteurs n’avaient pas terminé la formation requise et que 11 sur les 16 n’étaient tout simplement pas qualifiés inspecteurs de vol...
Tous ces éléments accablants montrent comment l’attrait du lucre peut emmener un puissant groupe industriel à oublier l’essence de son métier.
Il est encore un peu tôt aujourd’hui pour dire ce que ce programme va devenir. Ce qui est certain c’est que la FAA ne va pas retomber dans une connivence malsaine en acceptant une remise en vol commercial qui ne soit pas, point à point, motivée et validée. Cela prendra sans doute encore plusieurs mois. Une fois un nouveau MCAS certifié, il faudra bien adopter au nouveau standard tous les avions et entraîner les pilotes aux nouvelles procédures. Les autorités certificatrices européennes ne suivront pas automatiquement leurs homologues américains. Elles décideront elles - mêmes la certification de l’avion. Cela prendra encore un peu plus de temps. Quant aux autorités de certification chinoises - bien moins expérimentées que les deux précédentes - elles prendront également leur temps d’analyse. Le temps travaille pour la mise en service du premier monocouloir de conception chinoise le « COMAC C919 » - qui a fait son premier vol le 5 mai 2017- et entame un long processus de certification.
Dans cette affaire malheureuse tout le monde sera perdant. Boeing au premier chef y aura perdu sa réputation et beaucoup d’argent. La certification des nouveaux appareils ne sera plus faite de la même façon et prendra plus de temps. Enfin, la Chine y trouvera son compte en accédant plus rapidement au segment du monocouloir - de loin le plus rémunérateur.
Pour certains, l’abandon de ce programme n’est pas à exclure. D’ici la fin de l’année, environ 430 appareils seront sortis de chaîne et non livrés. Un lot à ajouter au plus de 381 cloués au sol depuis la mi-mars 2019. Nous savons qu’un seul appareil génère entre 1 et 2 M$ de chiffre d’affaires par mois et le « prix catalogue » est d’environ 85 M$ l’unité...
Quelle mauvaise décision de financiers, quel gâchis !
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