Bac, Brevet, notation des élèves. faut-il tout jeter ?
Comme chaque année à la même saison, alors que les candidats au bac et au brevet s'échinent sur leur copie, certains remettent en question la pertinence et l'utilité de ces examens jugés lourds et coûteux dans leur organisation et inutiles dans le processus d'orientation des élèves. Cette année le ministre de l'Education Nationale, Benoit Hamon, ajoute un débat supplémentaire avec la remise en cause de la pratique de la notation chiffrée dans l'évaluation des élèves.
C'est bien l'ensemble du dispositif d'évaluation qui doit être discuté. Pour cela il faut distinguer d'une part l'évaluation en cours de formation et d'apprentissage pour cerner les difficultés rencontrées et mettre en place les dispositifs de remédiation nécessaires, et l'évaluation des connaissances acquises à la fin d'un cycle, ou d'une séquence, pour une orientation future. Enfin il faudrait définir quel rôle attribue-t-on aux examens terminaux dans l'orientation des élèves à la fin du collège ou en terminale.
Si l'évaluation en cours de formation dépend des conditions et des stratégies mises en oeuvre par l'enseignant dans le cadre de la classe , l'évaluation des connaissances et aptitudes acquises doit se faire dans le cadre de standards nationaux tant dans l'organisation que dans la définition des épreuves finales, pour pouvoir évaluer si les objectifs définis dans les programmes sont bien atteints par les élèves.
Aujourd'hui la confusion est totale entre ces deux niveaux d'évaluation des élèves. Le bulletin trimestriel, outil de dialogue entre les professeurs, l'élève et les parents retranscrit souvent que des moyennes de notes, qui n'ont d'autre signification que celui de classer l'élève. Les remarques qui les accompagnent sont censées renseigner la famille sur le bilan de leur enfant dans chacune des matières. Ce document individuel et personnel propre à chaque établissement et à chaque professeur, véritable "bulletin de santé" de l'élève est devenu au fil du temps un outil de sélection qui a peu à peu supplanté les résultats de l'examen terminal. Examen terminal qui finirait par ne plus avoir aucune utilité sinon celle d'être un rite initiatique dans le parcours scolaire des adolescents. En toute indiscrétion et en laissant libre court à toutes les interprétations, les bulletins scolaires sont devenus le mode de sélection pour les affectations dans les établissements, la sélection d'une formation post-bac, renforçant, tout au long de l'année l'importance de la note chez l'élève et ses parents aux dépens de la qualité des connaissances acquises et du type de difficultés rencontrées.
Redessiner les dispositifs d'évaluation et les objectifs de chacun d'eux est une nécessité impérieuse ; mais il est à craindre que le débat actuel sur la notation ne se réduise en un débat clivant entre "partisans rétrogrades d'une évaluation punitive" et les " hommes et femmes de progrès défenseurs d'une évaluation plus bienveillante" , ajoutant ainsi de la confusion à la confusion du système actuel. Dans ce brouhaha stérile, je me risque à faire quelques propositions.
REPENSER L'EVALUATION.
La lecture d'un bulletin trimestriel avec les moyennes par matière renseigne fort peu sur le bilan du parcours de l'élève pendant les trois derniers mois. La moyenne de notes sur des travaux de nature différente (devoirs à la maison, évaluations de synthèse en classe, participation orale ; etc....) fait à différentes dates dans la progression des apprentissages ne dit rien sur les difficultés, les progrès et sur la maitrise d'aptitudes et de connaissances. Les appréciations des professeurs sont bien trop générales et subjectives pour faire un véritable bilan sur le parcours de l'élève. En outre la valeur de la moyenne et l'appréciation sont trop dépendantes du professeur et de la relation avec l'élève pour faire du bulletin un outil standard de sélection dans l'orientation de l'élève.
Dès le premier contact avec la classe, l'élève devrait connaître quels sont les objectifs à atteindre dans un temps imparti, comment va-t-on y parvenir et comment et quand va-t-on évaluer la maîtrise des connaissances et des aptitudes assignées à ces objectifs. Pour que dans chaque matière les objectifs à atteindre ne soient pas trop nombreux il est nécessaire de définir un cycle de formation relativement court. L’enseignement organisé en niveau de la durée d’une année scolaire de 36 semaines est trop long ; il ne permet pas de poser clairement les objectifs et de mettre en place des stratégies de remédiation. Organiser les cours en niveau d’une durée de 13 semaines - 12 semaines de cours et une semaine d’évaluation permettrait de mieux définir les enjeux. Les stratégies,pour atteindre les objectifs définis par les programmes nationaux, dépendent de la situation réelle des élèves de l'établissement, de leurs difficultés, des aptitudes acquises antérieurement et de leurs conditions sociales et familiales . Les dispositifs d'apprentissage à mettre en oeuvre par les enseignants doivent intégrer cette réalité de la classe, différente suivant les établissements et les années. Dans le cadre de la classe au cours du trimestre on doit pouvoir évaluer les capacités d'attention et de travail des élèves, cerner par des évaluations ponctuelles les difficultés de chacun des élèves et mettre en place, dans l'établissement, les dispositifs de remédiation et d'accompagnement individuels. L'objectif étant de faire que tous les élèves, indépendamment de leur situation familiale et sociale, maîtrisent, en fin de cycle trimestriel, les objectifs assignés par la nation à l'école. Au cours de la phase d'apprentissage, la note comme élément d'appréciation et d'évaluation n'est pas très pertinente, en revanche un bilan hebdomadaire individuel et qualitatif des avancées et des difficultés de l'élève devrait être tenu à jour. Véritable "carnet de santé" individuel en matière d'éducation, il accompagne l'élève dans son parcours jusqu'à l'examen terminal.
En fin de trimestre une évaluation terminale des connaissances acquises dans chaque matière dont les critères respectent des standards nationaux ( sujets et barèmes de notation commun) serait organisée dans l'établissement pour l'ensemble d'un niveau. Les copies seraient réparties de manière aléatoire à l'ensemble des enseignants correcteurs du niveau et corrigées en préservant l'anonymat. Ces évaluations, notées en fonction de critères nationaux connues des élèves, en préservant l'anonymat social et scolaire de l'élève s'affranchiraient ainsi des spécificités mises en oeuvre dans la phase de l'apprentissage (difficultés rencontrées, dispositif personnel de soutien mis en place ).
Ainsi le bilan du trimestre transmis aux familles devrait comporter deux volets. Le premier pour retranscrire le résumé de l'historique de l'apprentissage de l'élève avec les difficultés de tout ordre rencontrées, matière par matière. Ce volet personnel et confidentiel ne devrait en aucun cas être un élément de sélection ou d'orientation des élèves. Le deuxième volet, élément constitutif d'un dossier de sélection ou d'orientation, rassemblerait les notes obtenues pour chaque épreuve nationale à l'examen terminal trimestriel, avec la note médiane (50 % des élèves ont plus que la note médiane ), la note minimale et maximale obtenues dans l'établissement.
A la fin de l'école fondamentale qui devrait être la fin de la troisième au collège, un examen final devrait pouvoir vérifier les connaissances et les aptitudes que tous les citoyens devraient pouvoir partager pour la maîtrise de la langue et du calcul et la connaissance de l'histoire et des institutions du pays. Ce brevet du collège, organisé autour d'épreuves obligatoires nationales, avec l'ensemble des résultats trimestriels aux évaluations nationales, obtenus matière par matière au cours de sa scolarité, seraient les éléments constitutifs de tout dossier d'orientation et de sélection.
LE BAC : VERS UN EXAMEN PLUS SIMPLE, PLUS JUSTE ET MIEUX POSITIONNÉ.
Aujourd'hui, le baccalauréat est un examen beaucoup trop long qui s'étale sur plus d'un an, du mois de mars de la classe de première avec l'épreuve de travaux personnels encadrés (TPE) , les épreuves anticipées en fin de première, jusqu'à la fin juin de la classe terminale, mais dont les résultats arrivent trop tard pour être intégrés au dispositif d'orientation post-bac. Avec le jeu des coefficients, le poids des épreuves facultatives, le nombre élevé d'épreuves, la signification du résultat global est rendu difficilement interprétable. Ainsi avec une note médiocre en Mathématiques on peut obtenir une mention " Très bien " au baccalauréat de la série S. Bref le baccalauréat, examen d'entrée à l'université, est devenu une usine à gaz , inutile, perturbateur et coûteux pour les finances publiques. Devant ce constat accablant faut-il envisager sa suppression ?
Voici quelques suggestions pour à la fois revaloriser le rôle du baccalauréat dans la procédure d'orientation, de sélection et d'affectation en enseignement supérieur tout en simplifiant ses modalités.
Avec des évaluations trimestrielles nationales dans chaque matière, depuis la classe de seconde, on pourrait limiter à 4 épreuves écrites obligatoires, de même coefficient et de même durée ( 4 heures ) : trois dominantes suivant les séries et une épreuve commune ( culture générale regroupant le français, la philosophie et l'Histoire-géographie), organisées sur 2 jours à la fin du 2ème trimestre. Une fois les épreuves corrigées, les résultats seraient intégrés dès le début mai à la procédure pots-baccalauréat avec les résultats trimestriels dans toutes les matières suivies par l'élève depuis la seconde. Les épreuves facultatives seraient supprimées. Au cours des mois de mai et juin , les cours continueraient pour tous les élèves. Les élèves des classes terminales, pendant que la procédure d'orientation et de sélection se déroule, prépareraient une épreuve de synthèse avec les travaux personnels encadrés ou un projet terminal pour le baccalauréat professionnel, sur un thème qui est en rapport avec les études supérieures choisies ou le métier préparé. Une soutenance devant un jury, à la fin juin, donnerait lieu à une évaluation complémentaire.
Ces quelques mesures simples à mettre en œuvre,en redevenant un outil majeur dans l'évaluation , tout en étant économe des deniers de l’État et en contribuant à une meilleure orientation des bacheliers, redonneraient à cet examen national toute sa valeur.
Distinguer évaluation formatrice en classe et évaluation terminale mutualisée en fin de cycle, en préservant l'anonymat de la correction avec des barèmes de notation nationaux fournis avec les sujets, présenter en début d'année ou de séquence les attentes du professeur, proscrire les évaluations surprises, réserver à des examens nationaux de fin de cycle ( Brevet de collège et baccalauréat) l'évaluation des connaissances et aptitudes transversales à un cycle ou une filière de formation, tels sont quelques éléments que toute réforme devrait prendre en compte pour en finir avec un système complexe et inique. (voir l'article suivant )
Je crains que la "bienveillance" du ministre ne relève plus de la démission devant la difficulté qu'a notre société à donner à tous l'instruction élémentaire et fondamentale pour aborder une vie sociale, familiale et professionnelle à armes égales. Dans ce domaine aussi la "double pensée" sévit : Aux discours institutionnels sur "le collège unique pour tous" ou " l'accès à l'Université pour tous les bacheliers" s'opposent les objectifs cachés mais bien réels d'un système éducatif inique qui au lieu d'élever , s'adapte aux réalités du terrain, et qui, au fil du temps, est devenu une formidable machine à trier , en réduisant, de manière "bienveillante" mais pas moins méprisante, ses ambitions pour le plus grand nombre . Ainsi pendant que tous s’activent dans une "agitation créatrice bienveillante" dans la classe, en dehors des murs de l’école publique, dans la sphère privée, la sélection se prépare et l’élite se reproduit avec force cours particuliers et activités culturelles.
Cette année, le traitement qu'ont réservé certains candidats au baccalauréat de français au poème de Victor Hugo, " ce bel enfoiré avec son Crépuscule à la con" (lien), est aussi révélateur du fossé qui ne cesse de s'élargir entre l'institution scolaire et un nombre important de ceux qu'elle est censée élever.
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