Balles tragiques à Charlie Heddo : 12 morts
Est-ce que je suis Charlie ? Est-ce que Charlie était encore Charlie ?
Je crois me souvenir que Cavanna disait dans le Charlie Hebdo des années 1970 que quand il entendait tout le monde dire la même chose, il devenait sceptique et s'interrogeait.
Partout on voit le logo « je suis Charlie ». A la télé, sur les immeubles, sur les tweets, dans la bouche des plus hautes autorités de l'Etat, en France et à l'étranger, dans les entreprises de presse et les autres sociétés commerciales.
Qui est Charlie Hebdo ? C'est le faux nez de l'hebdomadaire Hara Kiri. C'est le même journal sous un autre nom.
Cavanna raconte dans un de ses livres qu'il se sentait bridé dans l'écriture de ses textes par les rédacteurs en chef des journaux et qu'il avait voulu se libérer en lançant le sien. Associé au professeur Choron, expert en vente de revues dans la rue, il lance Hara Kiri et adopte en sous-titre la critique d'un lecteur « journal bête et méchant ».
Créé en septembre 1960, le magazine évolue dans un monde totalement différent du nôtre : guerre d'Algérie, mœurs victoriennes, automobiles rares, hypermarchés inexistants, plein emploi, société dominée par les religions catholique et communiste, contraception interdite de publicité, sexualité cachée, homosexualité honnie. Le texte est sacré, l'image est infantile. Le Monde refuse les photos pour éviter les futilités. Philippe Bouvard se moque de Mireille Mathieu en lui demandant ce qu'elle lit : des illustrés ?
Cavanna raconte aussi s'être rendu plusieurs fois dans un obscur bureau administratif sous les combles pour négocier des interdictions de publication. La censure était fatale pour le moindre gros mot, contrairement à nos jours où le plus insignifiant chroniqueur télévisuel se sentirait déshonoré s'il n'atteignait pas son quota.
Mai 68 arrive avec à la traîne la révolution des mœurs. Dans la décennie qui suit, les filles portent des pantalons et ne sont plus séparées des garçons dans les résidences universitaires, la pilule est démocratisée, l'avortement est légalisé, la télévision n'est plus la voix de son maître, la circulation automobile explose et provoque plus de 10.000 morts accidentels par an. La maison près de la fontaine fait place aux HLM. Et plus tard les radios diffusent leur image, ce qui les rapproche des émissions de télévision qui ne sont que discours filmés.
Hara Kiri a-t-il toujours sa place ? Pour garder son poil à gratter, doit-il retourner sa veste et devenir bigot ?
Entre-temps, un faits-divers lui est déterminant. L’incendie criminel d'un dancing, le « Cinq-Sept », dans l'Isère tue clients et gérants le 1er novembre 1970. Les Français sont choqués et les journaux titrent sur ce « bal tragique à Saint-Laurent-du-Pont : 146 personnes ».
Le 9 novembre, De Gaulle meurt chez lui après avoir quitté le pouvoir en mai de l'année précédente. Deuil national le 12 novembre. A l'époque, un deuil national se traduit par de la musique classique sur les quelques radios existantes et la fermeture de tous les magasins. Rien à voir avec aujourd'hui. Le pays devient aussi mort qu'un village à 19 heures. Hara Kiri titre « Bal tragique à Colombey : 1 mort ». Hauts cris dans le clergé gaulliste. Le 17 novembre le journal est interdit de publication. La semaine suivante, Charlie Hebdo arrive en kiosque, créé par la même bande.
La gauche arrivée au pouvoir, la peine de mort est abolie en 1982. Que reste-t-il à défendre ? Les idées des avant-gardistes des années 1960 sont partagées le public des années 1980. Ils ne sont plus provocants, ils sont dans le vent. Leurs discours ne passent plus avec le même style. Charlie Hebdo s'éteint faute de ventes suffisantes.
En 1992, Philippe Val, Gébé, Cabu et Renaud relance le titre en créant la société par actions au titre prémonitoire « Les Éditions Kalachnikof ». Est-il toujours satirique ? Oui, mais de quelles manières ? Chaque fois que je me suis forcé à le feuilleter, je n'ai pas accroché à ses provocations et à son style parce que j'avais l'impression qu'ils tournaient en rond autour de vieilles lunes et que la fuite de lecteurs devait être rapprochée de l'absence de fidèles dans les églises et de camarades dans les cellules. Le monde avait changé tandis que leurs discours rabâchaient les mêmes clichés. Toutefois, des pics de vente apparaissaient quand ils bouffaient de l’imam et non du curé. De plus en plus confidentielle dans le public, la revue acquiert de plus en plus de notoriété dans les couches dirigeantes. Comme le petit cireur de chaussures légendaire qui sort de la misère à la force de son poignet, les petits vendeurs de revue dans la rue sortent de l'anonymat. Cavana écrit des romans accueillis par le public et la critique. Les autres sont recueillis dans les grands médias.
Alors qu'est-ce que le Charlie Hebdo d'aujourd'hui ? Est-ce le Krokodil soviétique ? Est-ce des dessins aussi consensuels que ceux de Jacques Faizant ? A mon sens, la vraie satire est exercée par Le Journal des Nuls puis par les Guignols de Canal Plus.
J'ai été surpris de voir le président de cette revue prétendument d'extrême gauche nommé PDG d'une société de service public, Radio France, par un gouvernement de droite, et son successeur avoir pour compagne une ministre de ce gouvernement de droite. ... Non démenti du frère. ... Non, démenti du démenti de l'ancienne ministre. Peu importe. La télévision a annoncé dimanche que le plus haut personnage de l'Etat connaissait personnellement les dessinateurs.
Décidément, j'ai du mal à tout comprendre. Comment peut-on passer de la critique acerbe à la fréquentation et à l'exercice du pouvoir ? Tout se passe comme si l'underground d'hier était devenue la norme aujourd'hui.
Toutefois, une hiérarchie est vite établie dans la douzaine d'assassinés. Il y a l'aristocratie, les porteurs de crayons, puis leurs gardes, puis les oubliés, comme cet agent de maintenance. Aux premiers revient la gloire pré et post mortem. Ils travaillaient pour le plaisir. Les autres travaillaient pour vivre ou pour survivre. Seuls les premiers auront une rue et une école à leur nom.
Ce journal que la cinquième république naissante condamnait est maintenant soutenue par la même république qu'on dit agonisante. Alors que les finances l'asphyxiaient, il se remet à respirer. Les 10.000 abonnés d'hier sont rejoints par une cohorte de 10.000 autres dès le jeudi, et sans doute davantage dans les jours qui viennent.
Les institutions arrivent à la rescousse. La BPI, Banque Publique d'Investissement, prend 50 abonnements. La Caisse des dépôts abonne ses directions et l'ensemble de ses représentations régionales. Le ministère de la Culture prend aussi 50 abonnements et verse 1 million d'euros.
Même à l'étranger, le Guardian Media Group décide de verser à Charlie Hebdo 100.000 livres sterling, soit 128.000 euros. Le grand méchant fonds Google doit verser entre 200.000 et 300.000 euros. En France, le fonds Presse et Pluralisme débloque dans un premier temps 100.000 euros. Comme il permet aux particuliers de faire des dons défiscalisés pour la presse, c'est une aide de l'Etat encore plus importante.
Dans les grandes marches qui ont traversées les villes ce dimanche 11 janvier, combien connaissaient la revue ? Combien l'avaient achetée ? Lue ? Etaient d'accord ?
Sûrement pas les chefs d'Etat qui déambulaient chez nous et la censuraient chez eux.
La plupart des marcheurs français aussi l'auraient laissé tomber, au propre comme au figuré, il y a quelques jours, mais au pays de Voltaire, on dit : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire. ». Sincèrement chacun s'est-il dit « Je suis Charlie ? » Non, j'ai crû entendre crier « Je ne suis pas Kalachnikof »
Et puisqu'en France tout finit par des chansons, voici un souvenir qui date de l'après mai 68 « Les coeurs purs » de Jean-Roger Caussimon :
Ils ne sont pas encore amis
Des notaires et des notables
Ils ne sont pas encore admis
A dîner, le soir, à leur table
…
Ils ne sont pas encor salis
Par les combines au jour le jour
Mais on leur dit que ça viendra
Et, bien sûr, ils ne le croient pas
Liste des assassinés dans ou devant les locaux de Charlie hebdo :
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Cabu, dessinateur
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Wolinski, dessinateur
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Charb, dessinateur
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Tignous, dessinateur
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Honoré, dessinateur
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Bernard Maris, économiste
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Elsa Cayat, chroniqueuse
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Franck Brinsolaro, membre du Service de la protection (SDLP)
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Ahmed Merabet, policier qui patrouillait dans le secteur,
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Frédéric Boisseau, agent de maintenance
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Mustapha Ourrad, correcteur
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Michel Renaud, en visite. Il était accompagné d'un autre Clermontois, qui est sorti vivant de l'attentat en se couchant à terre.
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