Bảo Đại : le règne tumultueux du dernier empereur du Vietnam

Entre tradition et modernité

Né le 22 octobre 1913 à Hué, Bảo Đại, de son vrai nom Nguyễn Phúc Vĩnh Thụy, est le fils de l'empereur Khải Định. Élevé au sein de la cité impériale de Hué, il a été plongé dès son jeune âge dans les traditions et les rituels confucéens de la cour. Il a reçu une éducation soignée, axée sur la littérature classique chinoise, l'histoire vietnamienne et les arts martiaux. Néanmoins, son éducation a également été marquée par l'influence occidentale, notamment à travers ses études en France, où il a été exposé aux idées républicaines et nationalistes. Ce mélange d'influences, souvent contradictoires, a façonné sa vision du pouvoir et de son rôle en tant qu'empereur, oscillant entre les traditions ancestrales et les aspirations modernes.

En 1926, à la mort de son père, Bảo Đại est couronné empereur à l'âge de 13 ans, devenant ainsi le treizième et dernier souverain de la dynastie Nguyễn. Toutefois, son règne est largement symbolique, car le pouvoir réel est exercé par les autorités coloniales françaises. Pendant les premières années de son règne, il est considéré comme un simple instrument au service des intérêts français, ce qui lui vaut le mépris de nombreux nationalistes vietnamiens, notamment ceux du Việt Minh.

Pour maintenir une certaine popularité, Bảo Đại a habilement cultivé une image d'homme moderne et ouvert. Il s'est intéressé aux arts, à la littérature et aux sports, et a cherché à se présenter comme un souverain en phase avec son temps. Il a également tenté de moderniser l'administration et de développer l'économie, mais ses efforts ont souvent été limités par les contraintes du système colonial.

Bảo Đại face à la Seconde Guerre mondiale

La Seconde Guerre mondiale marque un tournant décisif dans la vie de Bảo Đại. En 1940, le Japon envahit le Vietnam, mettant fin à la domination française. Profitant de la confusion créée par l'occupation, Bảo Đại tente de se positionner comme un leader national en s'opposant symboliquement à l'autorité coloniale. Il proclame la fin du protectorat français le 11 mars 1945, une décision largement influencée par le déclin militaire du Japon. Cependant, ses actions sont perçues avec scepticisme par une partie de la population qui le considère toujours comme un instrument de la colonisation.

Cette restauration est de courte durée. En août 1945, le Japon capitule, et le mouvement nationaliste Việt Minh, dirigé par Hồ Chí Minh, profite du vide du pouvoir pour lancer une insurrection générale. Face à la montée en puissance du Việt Minh et à la popularité croissante de Hồ Chí Minh, Bảo Đại se retrouve rapidement isolé. Le 25 août, il abdique en faveur du Việt Minh, déclarant que le peuple vietnamien a le droit de choisir son destin. Cet acte, bien qu'ayant été forcé dans une certaine mesure, lui permet de préserver sa vie et de tenter de négocier une place dans le nouveau régime.

Il devient conseiller du gouvernement de Hồ Chí Minh, mais cette position est essentiellement honorifique. Il ne parvient pas à s'intégrer au nouveau régime et se sent rapidement marginalisé. Un an plus tard, il quitte le Vietnam pour la Chine, puis s'installe en France où il vit en exil.

Un pion dans le jeu colonial

En 1949, alors que la guerre d'Indochine fait rage et que le Việt Minh gagne du terrain, les Français, dans une tentative désespérée de maintenir leur emprise sur l'Indochine, décident de rétablir Bảo Đại. Les Accords de l'Élysée, signés en mars 1949, reconnaissent l'État du Vietnam, avec Bảo Đại à sa tête, tout en le maintenant dans l'Union française. Cette manœuvre est perçue comme une tentative cynique de diviser le mouvement nationaliste vietnamien et de présenter une façade d'indépendance tout en conservant le contrôle réel.

Le retour de Bảo Đại au Vietnam est accueilli avec un mélange de scepticisme et d'indifférence. Les nationalistes le considèrent comme un collaborateur de l'ennemi, un homme sans légitimité. Même une partie de la population qui avait autrefois soutenu la monarchie se montre réticente face à un retour perçu comme imposé par les Français. Les véritables décisions sont prises par le Haut-Commissaire de France et par les autorités françaises au Sud ; Bảo Đại se retrouve cantonné à un rôle protocolaire, sans réel pouvoir politique.

Ses tentatives de réformes et de rapprochement avec la population sont entravées par la situation politique instable et par la méfiance générale. Les États-Unis, qui soutiennent financièrement le gouvernement de Bảo Đại, exigent également un certain nombre de réformes économiques et sociales, ce qui renforce encore le sentiment d'impuissance du souverain. Face aux attaques du Việt Minh et à l'insurrection de certaines minorités ethniques, le régime de Bảo Đại se révèle fragile et incapable de réunir le pays.

Le destin de Bảo Đại après 1954

La guerre d'Indochine se poursuit, et en 1954, la défaite française à Điện Biên Phủ marque un tournant décisif. Les accords de Genève qui suivent divisent le Vietnam en deux, avec le Nord dirigé par le Việt Minh et le Sud sous le régime de Ngô Đình Diệm, soutenu par les États-Unis. Bảo Đại, bien que nommé chef d'État du Vietnam du Sud, se retrouve rapidement marginalisé par Ngô Đình Diệm qui concentre tous les pouvoirs entre ses mains. Son autorité est purement formelle et il est incapable de s'imposer face à un Premier ministre de plus en plus autoritaire et déterminé à instaurer un régime personnel.

En 1955, Ngô Đình Diệm organise un référendum controversé, largement manipulé, qui aboutit à la destitution de Bảo Đại et à l'instauration d'une république. Le souverain est contraint à l'exil en France, où il vit dans l'ombre, loin des affaires politiques. Son départ marque la fin d'une époque et symbolise l'échec de la restauration monarchique au Vietnam.

Exilé à Paris, Bảo Đại mène une vie retirée. Il se convertit au catholicisme en 1988, une religion qu'il avait découverte pendant ses études en France. Loin de la vie politique, il s'adonne à ses passions, notamment la peinture et la musique. Il s’éteint à Paris, le 31 juillet 1997, à l'âge de 84 ans. Il repose au cimetière parisien de Passy.

Bien que son règne ait été marqué par des échecs et par une grande passivité, Bảo Đại reste une figure complexe de l'histoire du Vietnam. Il a été un témoin privilégié des bouleversements qui ont marqué son pays au XXe siècle. Sa vie, oscillant entre tradition et modernité, reflète les contradictions d'une époque où le Vietnam cherchait à trouver sa place dans le monde.