Barbie et Rambo : sexes, nature et culture
Bien que les faits ne soient pas définitivement établis, il est bien vu de présenter l’interaction entre l’inné et l’acquis, autrement dit entre la nature et la culture, comme la principale caractéristique du genre humain. Cette caractéristique nous différencierait définitivement de nos cousins chimpanzés avec qui nous partageons 99% du patrimoine génétique, mais qui n’ont développé ni le langage, ni l’expression artistique picturale ou musicale, ni le code civil, et dont le comportement « social », immuable depuis des dizaines de milliers d'années, serait essentiellement explicable par leurs flux hormonaux.
La conséquence de ce postulat est vérifiable dans la variabilité des fonctions sociales attribuées à l’un ou l’autre sexe (le genre humain étant binaire sur ce plan) d’une société à l’autre, dans l’espace et dans le temps, la géographie et l’histoire.
Contrairement à la tradition chez les chimpanzés, donc, qui ont décidé que le sexe des individus était chez eux déterminé par leur anatomie et leur physiologie (avec un pourcentage faible de cas ambigus), la coutume chez les humains est d’introduire dans cette différenciation des aspects psychologiques, sociaux, culturels et comportementaux associées au fait d'être une femme ou un homme (et pas seulement mâle ou femelle).
Encore faut-il que l’être humain concerné reconnaisse la catégorie qui lui a été attribuée sur des considérations biologiques et psychosociales, et qu’il ait intériorisé cette classification dans son identité personnelle. La manière dont il a été élevé peut provoquer des rejets de la part de l’intéressé concernant le rôle que ses parents/éducateurs entendent lui faire jouer, que ce soit celui de guerrier invincible (Rambo), celui d’objet de désir (Barbie), ou toute autre projection des attributs manipulatoires utilisés depuis des générations pour formater les larves de la ruche et les préparer à remplir leurs obligations sans rechigner.
Les injonctions les plus fortes dans la société européenne, relayées par les contes de fées, la poésie, la littérature puis le cinéma depuis la fin du moyen-âge, sont claires :
- "Les femmes sont le sexe faible et ont besoin d'être protégées."
- "Les grands garçons ne pleurent pas."
- "Les femmes et les hommes sont différents (mais égaux !), et chacun a un rôle spécifique dans la société."
Le plus souvent, un observateur adulte, même occasionnel, est capable d’identifier le sexe d'un autre adulte humain : les femmes ont tendance à s'habiller et à agir d'une certaine manière et les hommes ont tendance à s'habiller et à agir autrement. Il existe des exceptions : certains individus peuvent être androgynes et présenter des caractéristiques à la fois féminines et masculines. D'un point de vue biologique, les individus nés avec des organes sexuels féminins et masculins sont appelés « hermaphrodites ». Loin d’être « contre nature », ces cas sont des exceptions à la règle comme toute probabilité en connait, entre hasard et nécessité. Mais, si le sexe est de nature biologique et détermine notre destin biologique (comme la capacité de porter ou d'engendrer des enfants), il a toujours déterminé également notre rôle dans la société, et les mutations des rapports sociaux provoquent des changements et des résistances aux changements ou des revendications de réformes concernant l’attribution des rôles pour les représentants de l’un et l’autre sexe qui vit plus ou moins confortablement sa condition.
Les repères se troublent quand la signification culturelle des sexes devient floue, car les implications sociales et culturelles du « fatum » de la nature sont une partition qui est interprétée par les membres d'une société structurée comme un orchestre symphonique, et quand les exécutants acceptent d’être relégués au troisième pupitre pour remplir la gamelle alors qu’ils prennent leur pied à faire le bœuf sans rémunération à la troisième mi-temps, il leur prend des envies de jouer les rôles de soliste ou de maestro.
En effet, les grandes œuvres classiques à vocation universelles que sont les idéologies laïques ou religieuses ont donné naissance à des stéréotypes, à des modèles culturellement définis d'attitudes et de comportements attendus qui sont considérés appropriés pour un sexe mais pas pour l’autre, tout comme on attend des violonistes qu’ils utilisent un archet pour produire un son, exceptionnellement les doigts pour les pizzicati, mais jamais les dents comme le faisait Jimmy Hendrix avec sa guitare. Les stéréotypes attribués à chacun des sexes du genre humain, quelle que soit la société, sont toujours simplistes et se fondent non pas sur les caractéristiques ou les aptitudes de l'individu, mais sur des traditions perçues comme des règles morales. Cette formulation est d’ailleurs une tautologie puisque la morale n’est rien d’autre que la codification des mœurs regroupées en un ensemble baptisé « traditions » et intégrant des « valeurs ». Or, le glissement des activités lié aux mutations technologiques peut provoquer des distorsions entre les stéréotypes et le vécu. Par exemple, le stéréotype sexuel traditionnel dans les classes sociales modestes selon lequel les femmes doivent rester à la maison pour faire le ménage et élever la famille tandis que les hommes sortent et travaillent continue à exister alors que les femmes travaillent en effectuent les mêmes tâches que les hommes dans la vie professionnelle. Et c’est encore souvent ce stéréotype qui distribue les rôles ménagers dans les familles qui sont des structures sociales résilientes dont la vitesse d’évolution est différente de celle du milieu professionnel.
Cet impératif catégorique d’ « élevage » de la progéniture diffusé dans les consciences des classes sociales modestes pendant les prêches et les sermons sous l’ancien régime, puis pendant les leçons de morale dans l’école laïque et républicaine ne s’appliquait d’ailleurs pas aux classes dominantes qui confiaient, contre rétribution, le rôle d’allaitement à des nourrices au détriment des enfants de ces dernières puis l’éducation à des précepteurs. Les aristocrates puis les bourgeoises achetaient ces privilèges comme les conscrits riches tirés au sort achetaient leur aux exemptés pauvres (qui partaient se faire tuer à leur place) la possibilité d’échapper à la boucherie napoléonienne.
Les rôles attribués à chacun des deux sexes sont biologiquement fondés, et ce sont toujours actuellement les femmes qui assurent la gestation et portent les jeunes de l'espèce, même si aujourd’hui, des femmes modestes vont jusqu’à porter un enfant pour le compte d’une femme plus aisée (mais jamais bénévolement et jamais dans l’autre sens). Cela n'induit pas pour autant qu'il soit "naturel" que ce soit la femme qui prenne soin de l'enfant après sa naissance, et la tradition subit de plus en plus de renversements à travers le phénomène qui s’amplifie des pères au foyer qui nourrissent l'enfant pendant que la mère retourne au travail.
Mais si l’appartenance à l’un des deux sexes a bien un fondement biologique dans les différences physiologiques entre les femmes et les hommes, la manière dont les rôles sont interprétés diffère d'une culture à l'autre, et même d'un individu à l'autre. Par exemple, certaines sociétés sont patriarcales, le mâle est le chef de la famille, la « lignée » est établie de père en fils dans les généalogies (à partir de « patronymes ») et les hommes ont le pouvoir sur les femmes, et d'autres sociétés sont matriarcales : les femmes occupent ces rôles et non les hommes.
Les philosophes, les psychologues et les anthropologues débattent toujours du poids de la nature (hérédité et facteurs constitutionnels) et de la culture (facteurs socioculturels et environnementaux) dans le développement humain et de la mesure dans laquelle ces ensembles de facteurs affectent la personnalité des individus, capacités et autres caractéristiques. Un aspect de cette question concerne la faculté pour chaque personne d’assumer ou non son sexe en fonction des caractéristiques biologiques et des facteurs psychosociaux tels que l’éducation.
Il serait trop simple d’opérer la différenciation des mâles et des femelles humains par les organes sexuels et leur comportements respectifs par une programmation hormonale, car la socialisation prend ensuite le relais et valide (ou non) ces dispositions biologiques. En outre l'interaction entre la nature et la culture en ce qui concerne le sexe et la sexualité passent par l’appartenance à une classe sociale. Les rapports sociaux liés aux rapports de production dans la société ont pour conséquence que les rôles attribués à chacun des deux sexes sont le résultat d'interactions de plus en plus complexes entre les forces biologiques et sociales. Cette interaction explique pourquoi toutes les petites filles ne deviennent pas une mère au foyer ou Barbie et tous les petits garçons ne deviennent pas Rambo.
Ces quelques considérations de bon sens, mais pas pour autant les mieux partagées, n’ont comme ambition que de faire ressortir deux observations à propos de discours idéologiques largement répandus dans la presse depuis plusieurs années :
Première observation : les chercheurs n’ont pas attendu l’apparition outre-atlantique de la « théorie du genre » pour découvrir que la différenciation des sexes dans le genre humain était déterminée par des considérations sociales autant que par la biologie. Par contre, admettre cette réalité n’autorise pas pour autant comme le font le LGBT et ses satellites transfrontaliers à justifier les mutilations subies par des victimes de mouvements aux rituels et aux slogans assimilables à des sectes. Qu’une personne ait envie de jouer un autre rôle que celui que la société lui a donné et se livre à tel ou tel simulacre en se travestissant ou tel penchant sexuel est recevable et légitime. Que ces personnes constituent des lobbies influents et exercent des pressions sur des individus fragiles et les amènent à des décisions irrémédiables est par contre inacceptable.
Deuxième observation : les rôles attribués aux mâles et aux femelles dans les couples sont induits par la société et véhiculés massivement pas la publicité. Ce ne sont pas les maris qui décident à chaque génération de ne pas passer l’aspirateur, mais les segmentations opérées par les stratégies marketing des industriels qui enjoignent aux uns et aux autres le comportement que l’on attend d’eux et qui les conditionnent. Les revendications des mouvements féministes sont légitimes, mais, trop souvent, ces organisations se trompent de cible. Ce ne sont pas les mâles, leurs ennemis, ce sont les structures sociales qui déterminent la répartition des rôles dans la société et donnent lieu à des manipulations. Mettre au jour ces manipulations est le premier pas à accomplir. Gober les fables servies par l’idéologie dominante, c’est stagner ou régresser. On n'a pas besoin d'être noir pour être contre le racisme. On n'a pas besoin d'être féministe pour penser à une société égalitaire.
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