Bayrou voit l’Empire romain dans la France

Cette fois, François Bayrou quitte l’anti-sarkozysme systématique pour oser une comparaison entre la France et l’Empire romain. Mais rassurez-vous, Bayrou n’a pas changé. Ce n’est juste qu’une des réponses accordées aux questions du journal Le Monde. On ne pouvait attendre moins de ce féru d’Histoire, biographe de Henry IV. Pour évoquer Rome, il suffit juste de faire tourner un peu plus la machine à remonter le temps. Au bout du compte, la comparaison est-elle justifiée. Par ces temps de crise, les énigmes du présent qui galope laissent les interprètes démunis au point d’aller chercher des références dans un passé qui, s’il offre en apparence quelques similitudes formelle, ne livre certainement pas des ressorts communs car les époques ne se ressemblent pas, tant du point de vue technique que politique, culturel et spirituel. Le seul invariant qu’on peut honnêtement déceler à toutes les époques, c’est le double cheminement vers la progression des civilisations et leur déclin. Les Grecs savaient déjà cela. Ils avaient un vocabulaire pour le décrire. Hybris et dike par exemple, pour opposer la démesure conduisant au chaos et le bon ordre dans la gestion de la cité. S’agissant de Rome, le terme décadence convient pour décrire le style des mœurs en une longue époque où s’est joué le déclin de l’Empire. Un déclin qui a tout de même duré quelques siècles. Rien de commun avec la fulgurance passion qui emporta en quelques années l’Ancien Régime en 1789.
Bayrou dit ceci : « Voyez ce qui vient de se passer en quelques jours. Dans la même semaine, le gouvernement propose de subventionner les élèves pour qu’ils viennent en classe. Il livre le pactole du marché des jeux sur Internet à des intérêts privés, bookmakers et autres, au mépris des principes que la France respectait depuis 150 ans : le jeu, parce qu’il est dangereux, est organisé par l’Etat. Il annonce que le déficit de l’Etat atteint 50 % de la dépense publique ! Et le fils du président de la République se voit installé (à 23 ans et sans aucune compétence particulière) à la tête de l’établissement public d’aménagement du quartier de La Défense, un des intervenants les plus puissants dans l’aménagement au niveau européen. Tous les piliers solides sur lesquels notre pays s’était construit, en termes de principes, de décence, de raison, chancellent et s’effritent. Cela rappelle l’Empire romain. »
Bayrou n’a pas tort, notamment sur la question des jeux. La plupart de nos concitoyens connaissent un jeune, qu’il soit fils, neveu ou copain, pressé d’avoir une carte de crédit pour s’offrir le frisson du poker sur Internet. C’est inquiétant mais pas de quoi dramatiser. Jean Sarkozy, c’est vrai, constitue une insulte aux règles de bonne gestion, d’équilibre, de bon sens. On ne met pas un étudiant de seconde année de droit aux commandes d’une énorme machine. Demandons aux responsables de l’UMP s’ils monteraient dans un airbus dont le pilote n’a pour seule expérience que le vol en ULM. En plus, cette nomination est moralement contestable. A 24 ans, des millions de jeunes sont encore en CDI, au chômage, en stage, peinant à gagner le Smic, et voilà-t-il pas que Jean l’héritier se voit confié un job permettant de palper les euros par dizaines de milliers. Bon, un détail après tout. Il faudrait être naïf pour croire que nos élus sont les garants de l’ordre juste et moral sans faille. L’humain est perfectible. On note cependant d’autres signes évoquant cette légèreté de la gestion publique, ces indélicatesses avec la loi, le bon sens, la rigueur, la morale. Mitterrand par exemple, pas de quoi être fier. Je ne parle pas de la polémique des mœurs, me refusant à commenter cette affaire, mais des compétences culturelles de cet homme parvenu au pouvoir grâce à ses facultés à s’insérer dans les réseaux mondains. Que penser de la gestion de la grippe par Madame Bachelot ? Savez-vous que l’Athénée municipal, cette salle dévouée à la culture et aux débats située au centre de Bordeaux, est fermé trois mois pour servir de centre de vaccination. Et cette idée de soumettre à l’impôt les indemnités pour accidents de travail. Rien que l’idée effraie. Car elle trahit un mode de pensée inquiétant chez quelques élus de poids. Bref, la société fonctionne mal.
On lira dans le livre de Curtius, « Essai sur la France » (1932), un portait intéressant de notre pays qui se caractérise par un large tribut accordé aux institutions romaines, avec le souci de la transmission, de l’héritage, du patrimoine. En ce sens, Bayrou est un pur français de souche spirituelle. Une sorte d’anti-Moderne du 21ème siècle. Il n’a pas tort sur le fond. La France donne des signes de déclin.
Maintenant, passons à un autre constat assez étrange. Depuis presque deux ans, la France s’est accommodée aux faits et signes traduisant la réalité d’une crise de croissance, précédée par une secousse financière. Avec des conséquences sévères mais pas dramatiques pour l’instant. On peut s’attendre à ce que les responsables de la gestion publique fassent preuve de vertu, de raison, l’intelligence, de mesure, de justice, de bonne volonté, pour parvenir à maintenir le pays en bon état de fonctionnement et le « redresser », surtout dans le sens de la justice sociale. Or, on s’aperçoit que nombre de responsables aux commandes ne sont pas très compétents alors que des mesures figurant au catalogue du « grand n’importe quoi » sont décidées. La vaccination et sa campagne publicitaire débile, les incantations sur le climat, les éditos des grands quotidiens souvent rédigés au niveau de l’élève de terminale, la taxe carbone, les coûteux déplacements de la cour présidentielle, les grappillages de petits sous avec le forfait hospitaliers, l’incapacité à sortir de cette bureaucratie qui coûte cher, la réactivité économique que les analystes n’osent pas qualifier de stérile, et puis cette anomie galopante traversant toutes les couches sociales et les générations. Bref, c’est le paradoxe majeur de cette crise. Au lieu d’inciter à la vertu, elle semble incliner les gens et les gouvernants à se décomplexer et pratiquer un laisser aller sous la gouverne « d’après moi le déluge ». Comme si tout ne pouvait qu’empirer et qu’il n’y ait pas lieu de se soucier de l’avenir. Les prochaines années seront significatives. Dans une atmosphère de fin d’époque, la désinvolture face au présent engendre autant l’anomie qu’elle incite d’autres individus à aller vers la lumière et créer. Quand le péril s’accroît germe ce qui peut nous sauver disait à peu près Hölderlin.
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