Beethoven, 900 euros pour une ode à la haine
On a beaucoup parlé de Beethoven ces temps-ci, vous savez, ce boîtier vendu pour 900 euros générant des fréquences que seuls entendent les jeunes et qui est utilisé pour éloigner cette faune de certains lieux où ils ont été jugés indésirables. Beethoven est en fait la marque déposée en France de ce boîtier fabriqué (je ne dis pas inventé, ce serait salir les inventeurs) en Grande-Bretagne où il est commercialisé sous le nom de Mosquito. On reconnaît là la sémantique précise des Anglo-Saxons. Il s’agit de faire fuir les jeunes qu’on traite comme des moustiques, insectes peu appréciés pour lesquels il existe des répulsifs efficaces à moins qu’on ne préfère la jouer bio et user de la citronnelle, ce remède de grand-mère. Ah ces Français, quelle classe, Beethoven, allusion au compositeur germanique devenu sourd sur le tard et, donc, un mot parfaitement ajusté pour désigner un appareil à ultrasons face auquel les jeunes sont sensibles, mais pas les vieux de plus de 25 ans, paraît-il. Et puis Beethoven, c’est aussi le nom d’un chien dans un film, allusion à un clébard qui, on pourrait l’imaginer, aboierait sélectivement contre les ados. Mais faut pas rêver. On peut dresser un chien pour renifler de la drogue, pour récupérer un gibier tiré par le chasseur, mais, jusqu’à preuve du contraire, on ne peut en faire un chien d’attaque ciblant une tranche d’âge. A moins qu’un jeune dégage une odeur particulière, distincte et signant son âge biologique, une odeur que les vieux n’ont pas. Physiologiquement, c’est impossible, mais, pourtant, dans l’esprit de quelques-uns, c’est ce qui se passe. La vue d’un attroupement de jeunes déclenche une réaction spéciale. Ces jeunes ne sont pas en odeur de sainteté. Cette formule est une vue de l’esprit et, d’ailleurs, c’est bien l’esprit rétréci de quelques-uns qui réagit de cette manière et juge ces jeunes comme étant « sales ». Ce qui nous rappelle qu’il y a encore des gens désignés comme « sales » Arabes et il y a un siècle des « sales » juifs et maintenant, les « sales » jeunes. Le répulsif sonore Beethoven s’inscrit dans un contexte de chasse à l’homme, complétant le dispositif du malodore, ce répulsif chimique que quelques élus et syndics d’immeubles aimeraient utiliser pour écarter les SDF de certains lieux précis, notamment les centres-villes avec leurs commerces.
Le ciblage est de mise. Ce qui crée quelques situations cocasses car ce sont justement des commerçants qui, dans une localité bretonne, Pléneuf, sont allés débusquer un de ces boîtiers mis en place par un particulier agacé par une vitalité excessive dans une rue commerçante qui a vu sa fréquentation baisser. Alors que des témoignages de jeunes adultes attestent d’effets physiologiques après être passés près du domicile de ce cadre supérieur qui, du reste, n’est qu’un résident secondaire. Des maux de tête. Une atteinte à l’intégrité physique, comme si un sniper avait tiré sur les jeunes cerveaux comme on le fait dans un ball-trap de foire. Qu’est-ce qui peut pousser un homme apparemment très inséré dans la société à se comporter de cette manière ? On y verrait sans doute les types psychiques décrits dans la trilogie d’Hermann Broch, ces cadres, ces notables aux valeurs délitées et à l’âme détraquée, annonçant la décomposition du monde germanique avant les deux grandes guerres.
Cette affaire minable a été révélée dans la presse le 10 avril 2008. Mais, deux jours auparavant, le répulsif Beethoven a été évoqué par les invités de l’émission Ce soir ou jamais. On y a vu quelques intellos désinvoltes et repus prendre à la légère ce phénomène de société et s’amuser de ce qui, pour eux, semblait être une affaire de clocher ou de bizutage. Après tout, rien de bien grave, si ça peut titiller les tympans de nos jeunes, c’est quand même pas une affaire d’Etat. Il y a tant de choses plus importantes et puis nos jeunes iront s’amuser ailleurs. Ainsi raisonnèrent les invités de Taddei et notamment la journaliste Christine Clerc. Ce soir, ça ne m’amusait pas, malgré la bonhomie affichée par les protagonistes. Cette affaire est grave du point de vue symbolique. Si elle fait sourire, c’est qu’on a là le résultat d’une banalisation de la chasse à l’homme, les uns diront lepénisation des esprits, les autres, nazification. Mais, le plus grave, c’est que le mal touche maintenant les élites intellectuelles. Qui certainement n’auront jamais à employer ce répulsif dans leur résidence sécurisée de luxe. Les bons bourgeois allemands n’y étaient pour rien dans la nuit de cristal, ils étaient loin de tout cela. Et Finkielkraut, si habile à parler de l’antisémitisme à bas bruit, évoquera-t-il aussi ce qui ressemble à une nazification à bas bruit ? En France, mais surtout en Belgique et en Grande-Bretagne. Qu’attend l’Europe pour interdire ce boîtier ?
Comment Christine Clerc, représentante du genre féminin et géniteur, peut-elle traiter avec désinvolture ce symbole de l’ostracisme et de la chasse à un type d’humanité, en une Europe où être juif était suspect et, maintenant, où accuser un âge inférieur à la vingtaine peut justifier qu’on utilise un répulsif pour les éloigner, non sans créer des dommages à la santé. C’est une authentique saloperie que ce gadget, aux dégâts physiologiques avérés, mais il y a pire si on prend en compte l’effet symbolique. Les gens ne pensent plus ? Sont-ils devenus crétins. Une affiche contre les Ch’tis est une affaire d’Etat, mais rien de tel pour ce boîtier infâme dont l’usage désigne un racisme anti-jeune qui n’a rien d’une plaisanterie. Et, bien plus sérieux que cette banderole sur un stade du PSG qui semble bien anecdotique et dont les poursuites montrent la bonne conscience des élites, les mêmes qui seraient disposées à ignorer Beethoven. Quoique, et c’est tout à son honneur, Christine Boutin a réagi. Comme quoi, le monde de la politique a encore quelques fondamentaux. Pas comme l’autre Christine, Clerc, émanée de ce monde des journalistes qui vire à la putréfaction parfois. Christine Clerc, une (....), oui, le mot me plaît. Et Jean-Luc Mélanchon, pour respecter la parité, je le considère aussi comme une (...) après la banalisation de la répression suite à ses propos sur la Chine. Il aurait mieux fait de se taire. Mélanchon, un garçon avec tant de talents qui s’est tiré une balle dans le pied, comme Christine Clerc qui n’a pas su entendre quelle musique des siècles se dégage de Beethoven. Une dame pourtant, qui aurait dû défendre le jeune et faire honneur à ces merveilleuses mères russes pleurant leurs gosses massacrés dans des guerres nationales, enrôlés dans l’armée. Il y a quelque chose relevant de la profanation quand on touche à ce symbole universel. L’égalité des hommes. Les Lumières se sont éteintes cette semaine. Des journalistes, des intellectuels, des politiques ont été en délicatesse avec notre Histoire et nos valeurs cette semaine.
L’Ode à la joie de Schiller, mis en musique par Beethoven, sonne d’un goût amer. Quelques-uns parmi les élites en Europe ont décidé d’une ode à la haine, de désigner une tranche d’âge comme indésirable en certains lieux. Attentat au symbole. Alors la résistance veille et ose arborer un autre symbole, celui du nazisme, pour vous, qui usez et tolérez l’emploi de ce répulsif sonore qui traite une partie de l’humanité comme des cafards qu’il faut éloigner. Mais les cafards, n’est-ce pas vous, élites imprudentes, qui, en vérité, fuyez la Lumière, celle qui encore luit de tout son éclat en Europe et qui, je n’en doute pas, suscitera non pas des Guy Môquet en pleurs, mais des Jean Moulin en herbe pour régler les comptes de l’Histoire ?
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