Ben Laden : la mort d’un has been
La mort d’Oussama Ben Laden est en fin de compte un non-événement. Il n’était plus que l’ombre de lui-même : mort depuis de nombreuses années pour certains, terré dans une grotte à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan pour d’autres. La quasi-totalité des experts d’accordaient à dire que Ben Laden n’était plus capable de mener une opération terroriste même de moyenne envergure, les différents groupes armées salafistes éparpillés dans le monde se contentant d’utiliser la franchise Al Qaida pour mieux faire parler d’eux.

Pourtant, tout le monde se souvient de son heure de gloire, un certain mardi 11 septembre 2001, lorsque les médias dévoilèrent au grand public le nom et le visage de celui que l’on estimait comme étant l’organisateur des attentats que les téléspectateurs avaient pu assister en direct. Tout le monde se rappelle de cet homme qui avait donné un visage au Mal, qu’il était très difficile de ne pas être fasciné par cet homme qui avait osé défier la superpuissance américaine, à l’aide de ses quelques ouailles armées de cutter. Qui ne s’est pas senti honteux de penser que « c’était bien fait pour leurs gueules à ces américains » ?
Le temps d’un automne, Oussama Ben Laden était devenu l’attraction médiatique et les (pseudo-) spécialistes se succédaient sur les plateaux pour nous expliquer quels étaient sa vie, les raisons de son djihad, ses soutiens, ses moyens financiers, ses possibles stratégies pour survivre et résister à l’invasion de l’Afghanistan. Les guignols de l’Info l’avaient immortalisé grâce au fameux « spice di counasses ». Sa supposée fuite en mobylette ou en burqa ne faisait qu’épaissir un mythe, qui avait fait rentrer le monde dans le vingt-et-unième siècle. Et dans une décennie où la peur de tout et de rien serait le leitmotiv de toute action politique.
Les semaines défilèrent et le mythe devait petit à petit s’étioler : les grottes de luxe n’étaient que de minables caches, il n’était pas si riche que cela (sa fortune de 300 millions de dollars était bien plus modeste ne dépassant pas les quelques millions de dollars), son rôle d’ex-agent de la CIA lors de l’invasion soviétique de l’Afghanistan ternissait son image d’anti-impérialiste intransigeant et laissait planer le doute qu’il pouvait toujours être au service de la CIA. On considérait même que les Etats-Unis ne voulaient pas l’arrêter car il deviendrait trop encombrant pour son ancien allié tant il savait sur le soutien que les Etats-Unis ont apporté au djihad en Afghanistan dans les années 1980. L’effroyable imposture de Thierry Meyssan (qui bénéficia alors d’une bienveillance certaine bien qu’ éphémère de la part des médias) devenait durant le printemps 2002 un best-seller en France, alimentant ce que l’on appellerait plus tard « la théorie du complot ».
La guerre contre le terrorisme, concept flou, mena les Etats-Unis de George Bush en Irak et l’opposition à l’impérialisme américain s’amplifiait en même temps qu’Al Qaida devenait un instrument au moins indirect de celui-ci. Toute velléité américaine était prétextée par le soutien qu’aurait pu apporter au terrorisme, notamment via des liens avec l’organisation du Saoudien. Al QaÏda devint pour la rue arabo-musulmane un faire-valoir de l’administration Bush, dont les attentats revendiqués par Zarqaoui contre les civils desservaient la cause des insurgés irakiens.
Cette rue se trouva de nouvelles idoles : en 2006, le Hezbollah réussit à mettre en échec Tsahal dans le sud-Liban. L’organisation politique et militaire dirigée par Hassan Nasrallah avait infligé une défaite davantage psychologique que militaire en brisant cette idée selon laquelle Israël avait une armée invincible. Ce front anti-impérialiste centré autour de l’Iran rejette tout lien avec l’organisation de Ben Laden et devient la bête noire de l’administration américaine reléguant Ben Laden au second rang des personnalités d’envergure dans la scène mondiale. Il disparaît du classement du Time Magazine et sa mort est sur toutes les lèvres. Son organisation est exsangue (pas plus de trois cents éléments dans les montagnes afghano-pakistanaises) et la résistance menée par les talibans contre l’OTAN en Afghanistan semble passer du soutien logistique dont il ne dispose plus.
Les révolutions dans le monde arabe, qui augure peut-être un processus de démocratisation massif des pays arabes mais plus généralement du monde musulman entérine la défaite de l’islamisme salafiste. Les islamistes y jouent un rôle mais semblent se revendiquer d’autres valeurs et acceptent que le peuple puisse se gouverner par lui-même, en ayant recours si besoin est à l’alternance des majorités gouvernementales. C’est un coup fatal pour une organisation qui est resté atone durant l’hiver 2011 et dont la succursale dans le Maghreb est bien plus porté par des motivations crapuleuses (trafic de drogues, contrebandes) que politiques.
La contestation dans le monde arabe ne se fait plus par le biais de mouvements armés mais par celui d’une mobilisation citoyenne et c’est dans ce contexte qu’Oussama Ben Laden a été tué par un commando de la CIA, ce lundi 2 mai, soit 492 ans jour pour jour après Léonard de Vinci.
Que peut-on dire de Ben Laden et de son héritage ? Il faut comprendre que l’islamisme radical dont il était le porte-drapeau se mourait à la fin des années 1990 : en Algérie, il n’avait pas réussi à renverser le régime des généraux et en Afghanistan, bien qu’il contrôlât 90 % du territoire, il n’avait pas réussi à se répandre dans les pays voisins. Le 11 septembre lui a permis de retrouver un second souffle, mais qui n’était qu’un trompe l’œil sur sa réelle capacité de séduction des masses. Ben Laden fut surtout la caution de tous ces gouvernements qui ont démesurément exagéré la menace terroriste pour faire voter des textes liberticides comme le Patriot Act au Etats-Unis, qui pourrait avoir une utilité en cas de révolte sociale. Il fut le symbole de ce climat de peur auquel nous ont acclimatés les pouvoirs. Peur qui ne se limita pas qu’au sentiment d’insécurité, et qui contribue au désarroi qui règne parmi les citoyens, rongés par l’individualisme. Sa mort dans le contexte des révolutions arabes et d’une crise mondiale qui remet en cause les équilibres nés de la fin de la guerre froide ouvre peut-être une ère nouvelle où les citoyens, de façon inéluctable, s’émanciperont des pouvoirs oligarchiques qui avaient tendance à tout s’accaparer.
Il est presque certain que sa mort, comme pour tout has been qui se respecte, va susciter une vague d’émotion parmi ses partisans (peut-être même pour ceux qui avaient perdu leurs illusions !) et donc de représailles contre les intérêts occidentaux. Mais cela se calmera rapidement et la léthargie d’Al Qaida continuera jusqu’à mort s’en suive. Le terrorisme continuera car il a existé avant Ben Laden mais aura d’autres causes, plus actualisées, peut-être d’autres méthodes. Le 11 Septembre restera une référence pour plusieurs générations de terroristes (pour l’impact profond qu’il a eu), mais on continuera en divers lieu à contester à Ben Laden la paternité de l’attentat. Tout comme on pourrait le faire avec un chanteur qui n’aurait fait dans sa vie que du play-back…
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