Bernard un enfant dans la guerre
6 juin 2024 80ème anniversaire du débarquement et de la bataille de Normandie. Bernard nonagénaire, ex chef de culture d'une exploitation de 200 hectares, "26 ans avec la même bonne patronne", comme il dit, après avoir "fait" une Ecole d'Agriculture "par plaisir", se souvient, avant ce jour de commémoration, de son enfance dans la guerre : il avait 7 ans au tout début de la 2ème guerre mondiale.
Petit village du nord de la France, famille de 7 enfants ce qui explique que le père n'ait pas été mobilisé, la ferme familiale. Mai 1940 les troupes allemandes attaquent. L'armée française est en pleine débâcle. De mai à juin près de 100000 morts ou disparus, plus de 200000 blessés, près de 2 millions de prisonniers.
L'hiver très froid de 39-40, on casse la glace du seau d'eau pour se laver ; réveillé en pleine nuit, le gamin Bernard se voit obligé de quitter le lieu de vie auquel il est habitué. On l'habille de 3 culottes courtes, l'une sur l'autre. On essaie d' embarquer le maximum de linge. D'abord Stella plage puis évacuation avec une cousine dans la Peugeot 302 décapotable qui file vers Chateau-Gontier en Mayenne. 450 km parcourus. Les évacués sont nombreux sur les routes. Hôtel de Bretagne, c'est le premier hébergement.
Puis nouveau départ pour la Charente maritime à Saint Jean d'Angely dans la maison d'un oncle médecin militaire qui possède un revolver, ce qui surprend l'enfant. Il se rappelle les bains dans la rivière, la pêche, mais aussi le premier motocycliste allemand entraperçu avec son long imperméable.
Puis c'est le retour à Chateau-Gontier pour le reste de la guerre. La grand-mère à qui il a été confié, grand-mère aimante et si aimée, avec un esprit ouvert, va louer une maison qu'elle occupera avec 3 ou 4 enfants. La vie doit continuer.
Ce sera pendant cette guerre, l'inscription au Collège Saint Michel où Bernard va "voir Saturne", comme il le raconte, grâce à un professeur et à sa lunette astronomique, son télescope.
Pour sa communion sa mère fera le voyage et "descendra" du Nord pour le voir. C'est la seule visite de ses parents pendant la guerre. Et il ne se rappelle pas avoir reçu le moindre courrier de ces derniers.
Souvenir marquant, le creusement d'une tranchée couverte, pour se protéger des éventuels bombardements, refuge comme dans de nombreuses localités françaises, en dehors des caves et des souterrains du métro, quand il existe. Il voit les avions anglais qui visent le viaduc voisin.
La 2ème DB, 2ème Division Blindée, division Leclerc qui a débarqué en Normandie, qui a progressé d'Utah Beach à Coutances, puis Avranches, passe par Chateau-Gontier, un dimanche, avant de remonter vers Alençon, direction l'est et Strasbourg. Bernard sera surpris de voir un "pays", un soldat de Douai.
Après la libération, un camion loué assurera la "remontée" vers la ferme familiale de Quincy. Ce sera pour Bernard le pensionnat au collège de Douai dans des baraquements provisoires en bois, vues les destructions dans Douai, ville martyre.
Et la vie doit continuer comme si rien ne s'était passé. On ne parle pas alors de cellule d'aide psychologique pour limiter les traumatismes occasionnés. Les anciens camarades après 4 ans de séparation ont beaucoup changé !
Les réminiscences des soldats allemands en armes, manoeuvrant sur la place dans un nuage de poussière, les camions militaires brûlés, un soldat noir en jeep, tué au combat, le canon anti-char contre un char américain Sherman explosé, peuplent encore la mémoire de Bernard, avec les images du temps de guerre et du temps de la paix revenue.
C'est aussi dans l'écume de cette mémoire, une maison devant laquelle Bernard passait et cette voiture allemande d'un officier qui venait voir "une dame", qui sera tondue à la Libération.
Bernard critique la confiance des gens à l'égard du maréchal Pétain que l'on célèbre quotidiennement (alors que la France est occupée) avec ce chant "Maréchal nous voilà", que l'on apprend aux enfants à l'école. Choquant encore malgré les années passées !
L'alimentation quotidienne, pendant le conflit ou juste à la fin du conflit, est une grande préoccupation. Alors le souvenir de ce que l'on mange est gravé dans la tête : le lait battu acide, du matin, que les enfants allaient chercher à la ferme ; les mûres cueillies qui améliorent l'ordinaire, les rations de 250 grammes de pain, les pois cassés qui reviennent sans cesse dans les repas de l'après guerre.
Les femmes tondues de l'après guerre, les collabos entrevus, les résistants célébrés, peuplent encore l'imaginaire de ceux qui ont vécu ces années dramatiques. Ce garçon qui était régulièrement absent à l'école, on apprend qu'il avait rejoint la Résistance des adultes...
Et les soldats américains ont laissé des traces vives dans de nombreuses jeunes têtes brunes ou blondes ; ces combattants venus d'outre-atlantique, ces Alliés, libérateurs, arrivent aussi avec leurs boites de rations, qu'ils partagent avec les habitants, les chewing-gums, les cigarettes distribués aux mômes dans un climat jubilatoire de liberté retrouvée après ... 6 ans de conflit, de privation.
Ainsi, alors que officiels, non officiels, survivants, parents de combattants vont se recueillir et célébrer cet évènement du débarquement en Normandie, unique dans l'histoire, la parole mémorielle de Bernard, un gosse dans la guerre, nous fait toucher du doigt ce que fut la vie de milliers d'enfants confrontés trop tôt au monde des adultes en pleine conflagration. Tout le monde sait que ce que l'on vit dans sa prime jeunesse, reste gravé à tout jamais et forge une personnalité qui ne peut dans sa vie d'adulte qu'être marqué, conditionné par ce qu'il a vécu...
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