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Accueil du site > Tribune Libre > Bettencourt, Renault, FFF : faut-il interdire l’information extorquée (...)

Bettencourt, Renault, FFF : faut-il interdire l’information extorquée ?

Le savoir scolastique dont il est un des chantres sur France Culture, laisse Raphaël Enthoven bien démuni devant la complexité de la relation d’information. L’article virulent qu’il vient de signer dans l’Express contre l’information sur Internet (1) - et auquel Edwy Plenel a répliqué vertement (2) - , montre que l’appareil conceptuel approprié lui fait défaut : il fait de l’horlogerie avec une bêche et un râteau.

 Un premier article d’Edwy Plenel, paru le 7 avril dans Libération, l’a mis hors de lui, et une phrase plus particulièrement : « L'origine éventuellement illicite d'une information, lisait-on, (devient) secondaire si cette information se révèle légitime parce que d'intérêt public  ». 
 
R. Enthoven est outré : il parle d’ « antijournalisme », d’ « information aux dépens de la loi », de « culte paranoïaque de la transparence  » et de « police secrète (de) la tyrannie de la majorité  ».
 
Que propose-t-il donc en échange ? Rien sinon une incroyable contradiction : il refuse à la fois l’information extorquée obtenue par des moyens illicites et… l’apprécie néanmoins à titre exceptionnel ! Surtout, il ne voit pas le problème que pose cette profession de foi d’É. Plenel.
 
I- LA CONTRADICTION
 
1- La condamnation de l’information extorquée
 
1- L’information donnée seule autorisée
 
On croit, dans un premier temps, qu’il rejette toute information extorquée. Il s’ensuit donc que la seule information licite est l’information donnée. Cette alternative résulte du principe qui régit la relation d’information. Puisque nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire, il existe au minimum deux variétés d’information :
 
- l’information donnée volontairement parce qu’elle sert les intérêts de l’émetteur ou du moins ne leur nuit pas,
 
- et l’information cachée qui peut au contraire leur nuire et qui excite pour cette raison la curiosité du récepteur. Or, par quels moyens y accéder ? La réunion d’un pluralisme de sources est une méthode qui n’y suffit pas toujours, tant cette information cachée peut l’être soigneusement. La ruse, comme l’écoute clandestine ou le quiproquo de l’infiltration, est alors la seule solution pour obtenir une information extorquée, à l’insu et/ou contre le gré de l’émetteur.
 
Mais, selon R. Enthoven, ces moyens illicites qui le plus souvent violent la loi, doivent être rejetés. Il condamne ainsi la publication par Médiapart des écoutes clandestines de Mme Bettencourt effectuées par son valet et qui ont révélé des soupçons de fraude et d’évasion fiscales, d’entraves à la justice, de financements politiques, et de conflits d'intérêts.
 
2- Une défense inavouée des hypocrites ?
 
R. Enthoven estime même que « l'indécence d'un propos, quel qu'il soit, est, en démocratie, moins grave que la duplicité des méthodes mises en oeuvre pour le capter. » L’information donnée devient donc la seule information « licite » dont il faille se satisfaire. Or, n’est-ce pas plaider en faveur des prédateurs hypocrites dont l’information tissée de leurres livre d’eux-mêmes une image respectable et laisse leurs proies abusées sans défense.
 
Il semble que R. Enthoven n’ait pas lu « Tartuffe » de Molière (1669) ou du moins qu’une lecture scolastique lui en ait masqué une des riches leçons. Elmire, on s’en souvient, n’en peut plus d’être pressée par Tartuffe de coucher avec lui. Son nigaud de mari, Orgon, ne veut pas la croire quand elle s’en plaint. Que lui reste-t-il à faire ? Elle cache son mari sous une table pour qu’il entende l’imposteur l’enjoindre de se donner à lui. Par cette information extorquée, « illicite » si on en croit R. Enthoven puisqu’il l’a obtenue à l’insu et contre le gré de Tartuffe, Orgon a enfin pu prendre la mesure de l’hypocrisie de celui en qui il avait toute confiance. Elmire a-t-elle eu tort ?
 
Ce sont les leurres dont l’information donnée peut-être truffée qui imposent que l’on use de moyens appropriés pour obtenir une information extorquée. Y renoncer revient à être sans défense entre les mains des imposteurs. 
 
2- L’éloge de l’information extorquée
 
Sensible sans doute malgré tout à cette contrainte, on voit alors R. Enthoven en fin d’article changer d’avis et faire même l’éloge de l’information extorquée. Il ne peut, en effet, désavouer Claude Lanzmann, auteur du film « Shoah », qui, selon lui, « pour convaincre d'anciens nazis de témoigner a usé de moyens douteux ».
 
De même il rend hommage au « courage » des journalistes du Washington Post qui, dans « l’affaire du Watergate » ont amené Nixon à la démission en août 1974 par leurs informations extorquées. Il paraît seulement ignorer qu’en fait d’investigation, ils n’ont pas eu à chercher bien loin : ils tenaient directement leurs informations des confidences du numéro 2 du FBI, Mark Felt. C’est lui-même qui a révélé en 2005 avant de mourir qu’il était l’informateur des deux journalistes sous le pseudonyme de « Gorge profonde » : il avait voulu se venger de Nixon dont il n’appréciait pas les méthodes et qui ne l’avait pas nommé, comme il l’espérait, à la tête du FBI à la mort de Hoover.
 
R. Enthoven va jusqu’à admettre même que « les politiciens corrompus méritent des journalistes indiscrets  ». Alors où est le problème puisqu’il approuve ouvertement le recours exceptionnel à « l’illicite » ?
 
En cas de litige, en effet, la justice peut être saisie par celui qui se prétend diffamé ou calomnié. La loi érige en principe la liberté d’expression sous réserve de répondre de son abus devant un tribunal. Il est vrai, cependant, que les médias violent assez systématiquement la présomption d’innocence en parlant, avant toute décision judiciaire, du « voleur, violeur ou meurtrier présumé  », au lieu du « suspect » ou de « l’agresseur soupçonné ou accusé »
.
II- LE PROBLÈME DE LA DÉFINITION DE L’INTÉRÊT PUBLIC
 
Cette contradiction qui doit suffire au repos de la conscience de R. Enthoven, s’accompagne surtout d’une myopie. La phrase de E. Plenel qui le chagrine, pose, en effet, un problème qui lui échappe : « L'origine éventuellement illicite d'une information, lit-on, (devient) secondaire si cette information se révèle légitime parce que d'intérêt public. »
 
1- Le critère de l’intérêt public variant en fonction de l’intérêt personnel
 
Or, sur quel critère É. Plenel décide-t-il qu’une information est « d’intérêt public » ? Ne dépend-il pas de l’intérêt et de l’opinion de chacun ?
 
- L’exemple des écoutes clandestines de Mme Bettencourt
 
Ainsi, É. Plenel a-il jugé d’intérêt public de diffuser les écoutes clandestines de Mme Bettencourt parce qu’elles révélaient des soupçons « de fraude et d’évasion fiscales, d’entraves à la justice, de financements politiques, et de conflits d'intérêts  » (2).
 
- Mais le ministre Woerth impliqué ou Mme Bettencourt pensaient le contraire. L’intérêt public dépend de la représentation que l’on se fait des relations sociales : le libéraliste limite l’intervention de l’État et de la loi et tente de s’y soustraire, le partisan des services publics combat au contraire le libéraliste qui cherche à les restreindre.
 
- De son côté, celui ou celle qui a transmis ces enregistrements à Médiapart, était-il animé par un souci « d’intérêt public » ? N’était-ce pas un intérêt privé qui le motivait ? N’entendait-il pas seulement montrer publiquement à quel point Mme Bettencourt était sous l’emprise d’un entourage intéressé par sa fortune pour justifier sa mise sous tutelle dans le conflit qui l’opposait à sa fille ?
 
- L’exemple du silence de Médiapart sur le livre de J.-M. Beau
 
É. Plénel a donné lui-même un exemple de cette définition arbitraire de l’information « d’intérêt public  ». Sauf erreur, à la différence d’AgoraVox, son site Médiapart n’a présenté aucune analyse du livre du Lieutenant-Colonel Jean-Michel Beau à sa parution en mars 2008. Or, celui-ci retraçait toute l’histoire de « l’affaire des Irlandais de Vincennes » et de « celle des écoutes téléphoniques de l’Élysée ». La relation par une de leurs victimes de ces affaires politico-judiciaires qui ont corrompu la vie publique française pendant un quart de siècle, n’était-elle pas une information d’intérêt public ? Il se trouve que l’auteur reprochait à Plenel, pages 547 et 548, d’avoir pris parti en justice de façon inattendue en faveur d’un des accusés qui sera néanmoins condamné définitivement, le 30 septembre 2008, par la Cour de cassation !
 
2- Le recours exceptionnel à l’illicite variant aussi en fonction de l’intérêt personnel
 
Les positions de R. Enthoven et E. Plenel ne sont en fin de compte pas si éloignées l’une de l’autre. En contradiction avec ce qu’il commence par défendre, l’un admet « le recours exceptionnel à « illicite »  » quand l’autre décide à sa convenance de ce qu’est « l’intérêt public ». La concession de l’exception par l’un ne relève-t-elle pas d’un jugement aussi personnel que la définition par l’autre de « l’intérêt public » ? 
 
La diatribe de R. Enthoven est du coup incompréhensible puisqu’il finit par approuver ce qu’il commence par condamner : sous peine d’être la proie des imposteurs, on ne peut se satisfaire, en effet, de l’information donnée qui, sans être toujours éloignée de la réalité, est souvent tissée de leurres. Quant à la défense de l’information extorquée par É. Plenel, elle paraît évidente, même si elle est soumise, elle aussi, au principe de la relation d’information : comme il l’a lui-même montré, elle ne saurait nuire aux intérêts de celui qui entend en faire usage. Paul Villach
 
(1) Raphaël Enthoven, « Sur Internet, l'antijournalisme réclame l'information aux dépens de la loi  », L’Express, 21/04/2011
(2) Edwy Plenel, « L'ignorance ne fait pas une philosophie  », L’Express, 26/04/2011.
(3) Paul Villach, « Une dignité cher payée : « L’affaire des Irlandais de Vincennes - 1982-2007 - ou l’honneur d’un gendarme »  », AgoraVox, 18 mars 2008

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12 réactions à cet article    


  • cti41 cti41 4 mai 2011 12:55

    PLENEL et Médiapart, c’est tout sauf la clarté, c’est tellement orienté qu’on ne peut avoir confiance dans de la pseudo information diffusée par ce site. L’exemple de JM BEAU est particulièrement parlant lorsqu’il s’agit de ne pas déranger les amis de l’occupant du « Château » dans les années 80.
    Christian Contini.


    • french_car 5 mai 2011 10:40

      L’histoire du père Beau ce n’est certes pas de l’information extorquée mais de l’information suppositoire que Popaul veut absolument nous administrer régulièrement alors qu’on en a rien à battre.


    • Furax Furax 4 mai 2011 13:05

      Il faut mettre Plénel sur écoutes et enregistrer toutes ses communications. Il adore ça !


      • TSS 4 mai 2011 13:41

        Einthoven devrait demander à edwy Pleinel d’enqueter sur la façon dont il fut cocufié par son

        propre père... !!


        • jfrancois94 4 mai 2011 14:10

          Les pseudos journalistes de la presse traditionnel (radio, télé, journaux) se sont transformé en simple lecteur de dépêche d’agence de presse, ne font pratiquement plus aucune investigation, répète tous la même information prédigérée sans chercher plus loin....... Se précipite avec envoyé spéciale vers le dernier fait divers bien croustillant (« Joggeuse » Disparition Nantes....)

          Encore hier, avec la mort de Ben Laden, plutôt que d’essayer de nous informer, il se précipite avec leurs caméra interviewer une Française qui a perdu son fils le 11 septembre, filmer sa réaction... c’est de l’info ça ?

          Heureusement, avec le net, on peut enfin trouver des sites qui cherchent, qui informent. Médiapart est un des meilleurs.
          Alors effectivement cela dérange l’intelligentsia journalistique ..... habitué à ronronner en lisant les dépêches de l’AFP. 
          Sans Médiapart, sans le Canard, (et d’autre heureusement) beaucoup d’affaire serait passé à la trappe. Il a fallu combien de semaine avant que TF1 ne reprenne les infos sur Woerth ?


          • antonio 4 mai 2011 15:42

            Français, maintenant , avec le « vertueux » Médiapart, vous pouvez dormir tranquilles.
            Grâce à lui et à des micros clandestins, vous pourrez connaître le contenu de n’importe quelle discussion privée, de n’importe quelle réunion de travail, du moment qu’il s’agit 
            « d’informations d’intérêt public ».
            Dormez tranquilles mais restez « bouche cousue » car qui sait si au Café du Commerce, une « brève de comptoir » n’est pas d’intérêt national ?
            Gloire aux courageux délateurs ! Le journalisme « bio » qui lave plus blanc que blanc
            est advenu !


            • french_car 5 mai 2011 10:44

              Effectivement Popaul ne saisit pas que si Enthoven demade que l’on taise les conversations de dame Bettencourt ce n’est pas parce que le contenu ne doit pas en être révélé en substance mais tout simplement parce-que certains détails inutiles à la compréhension de l’affaire se révèlent indécents et portent atteinte à l’image de cette dame en tant que personne privée.


            • antonio 4 mai 2011 16:32

              Finalement, je me demande si les « fameux plombiers » du Canard n’étaient pas des précurseurs ; ne cherchaient-ils pas des informations qui,pour ceux qui les employaient ,étaient « d’intérêt public » ?


              • MAYA 4 mai 2011 17:59

                concernant « l’affaire » FFF « l’info » frelatée émane de mohamed...qui n’a jamais rien dit concernant le clivage entre joueurs selon certains critères...(blancs, noirs, musulmans...)


                • JacquesLaMauragne JacquesLaMauragne 4 mai 2011 19:17

                  Moi j’adore ces diatribes actuelles contre M. Plenel.

                  Parce que lorsqu’il a révélé l’affaire d’Etat du Rainbow Warrior, à l’époque tout le monde l’a applaudi et sans doute nombre de ses contempteurs d’aujourd’hui !!!.............. ;

                  jf.


                  • Traroth Traroth 5 mai 2011 10:20

                    Le titre à lui seul montre bien qui sont les censeurs dans notre société !


                    • french_car 5 mai 2011 11:05

                      Popaul parle de FFF et Renault dans le titre mais que dalle dans son article, c’est un leurre d’appel de quoi ?

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