Beyrouth, ville martyr
Beyrouth, cité martyre
C’est l’une des séquences les plus saisissantes que les journaux télévisés puissent programmer en continu ces dernières semaines pour les internautes qui n’auraient pas eu la sidération de découvrir, avec un instant d’hésitation, en se demandant s’il s’agirait-là d’un évènement étant survenu à Kaboul ou à Beyrouth. Même les images de mini-guérilla urbaine montrant des hordes d’adolescents gesticulant, attroupées dans une base de loisir à Etampes, de manière telle qu’on ne sache plus véritablement distinguer une bande adversaire d’une autre, ne semble provoquer qu’un haussement de sourcils face au cataclysme qui met le martyr libanais au centre des regards comme jamais depuis ces dernières semaines : un gigantesque champignon émergeant d’un incendie dans une base portuaire soulève, atomise et émiette l’horizon en quelques secondes sur des quartiers entiers, recrachant tout ce que son cyclone n’engloutit pas instantanément sur des kilomètres. La terre n’est plus qu’un tapis flottant qui se déroule sous nos pieds.
À ce niveau d’accablement, c’est la ville même qui ressent dans sa chair la souffrance de son peuple obéré par les contraintes matérielles de la crise économique, dans ce même processus de destruction/ régénération par laquelle Beyrouth pourra une énième fois se draper du statut de ville suppliciée. Les dernières bâtisses qui pouvaient encore laisser deviner un authentique patrimoine esthétique beyrouthin sont devenus méconnaissables, à l’instar des façades défigurées dans les rues du quartier touristique et branché de Gemmayzel ou encore le cimetière ornementé de Mar Mikhaël, avec son église orthodoxe aux fresques colorées, sur l’avenue montante vers la place Sassine, figurant parmi les illustres monuments balayés et terrassés par le souffle dragonesque.
S’il reste à déterminer quelle est la part de responsabilité directe de la part des autorités locales et nationales, ces dernières auraient difficilement mieux pu leur porter le coup de grâce que par le déclenchement de ce vortex orageux charriant dans ses bourrasques des projectiles en tout genre, éclats de verre, métaux et gravats avec une zone impacte aussi étendue que pour un tir d’obus. Même cette ville qui apparaissait nue dans son désœuvrement après des années de guerre civile larvée, de bombardements ou attentats infligés par à-coups lors des tensions avec Israël n’avaient à ce point en aussi peu de temps démolit des pans entiers de la capitale dont le patrimoine architectural et l’espace social étaient déjà considérablement malmenés entre autre par les projets de construction d’immeubles sur les décombres de la guerre ou la gentrification croissante des anciens quartiers populaires.
Bien que le risque de pénurie semble désormais écarté, l’explosion du port de Beyrouth annihile l’un des derniers leviers saisissables pour stabiliser une situation déjà bien entachée et même encore menacée par le risque de propagation du Covid-19. Les dirigeants politiques, avachis dans leur privilège de caste confessionnelle, n’auraient peut-être jamais pu s’imaginer mettre à ce point en danger par leur attentisme destructeur la ville dont ils avaient la charge. Cette catastrophe surgit comme un écho ravageur du Destin qui martèlerait brutalement ici-bas l’injonction à faire table rase des errements du passé pour réentrevoir un avenir plus prospère. Dans une situation pareille, les élites pourraient-elles encore considérer un périmètre de confort dont ils jouiraient abusivement, à l’abri de leurs prérogatives ? Le Liban verra-t-il là une occasion décisive de renaître de ses cendres… ?
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