Bien entendu, Madame Bettencourt...
Les affaires sont loin d’être terminées. Et les médias, dont beaucoup dépendent de la prodigalité du groupe L’Oréal, ne se passionnent pas trop sur le passé trouble de la première fortune de France.
Eugène Schueller, le père de la dame, disait lui-même : « La publicité est un moyen qui s’impose à la Civilisation pour se défendre contre la paresse des consommateurs. » Diantre, se défendre contre la paresse ? D’autres parlaient plus récemment de « temps de cerveau disponible ».
De manière plus prosaïque, les messieurs-dames de la presse se disent certainement : parce que nos emplois le valent bien.
Certes, personne ne peut être tenu pour responsable des agissements passés de sa famille.
Cependant, il est à noter que la seule expression de langue étrangère employée par Liliane Bettencourt lors de son interview avec Claire Chazal soit « Raus ! » (« dehors » en allemand), mot prononcée dédaigneusement pour qualifier l’affaire.
Mettons cela sur le compte d’une légitime indignation.
Le père de la milliardaire, Eugène Schueller, a contribué à créer le CSAR (Comité Secret d’Action Révolutionnaire) plus connu sous le joli nom de Cagoule, groupuscule d’extrême droite, franchement nazi.
Son mari, André Bettencourt a dirigé la revue « La terre française », ouvrage pour le moins pétainiste et antisémite. L’Humanité du 14 février 1995 rappellera quelques propos insupportables tenus par Bettencourt dans sa feuille de chou (lire).
Puis, imitant en cela nombre de Français, et disons par pragmatisme, il se décidera à entrer ensuite dans la Résistance, à partir de 1944, l’année du débarquement.
Comme le disait un certain François Mitterrand, durant une petite année salarié de L’Oréal en tant que président-directeur général des éditions du Rond-Point et directeur du magazine Votre Beauté : " En politique, il n’est jamais trop tard".
Mais enfin, tous ces gens-là ont eu un parcours classique, au regard de ce qui se pratiquait dans cette France si courageuse, celle qui s’auto-congratulât le 18 juin 2010.
La famille Schueller-Bettencourt s’est enrichie durant la guerre. Elle n’est pas la seule. L’Oréal est la première fortune de France et un des fleurons industriels de notre pays.
A tel point que la multinationale acheta une belle demeure pour son siège social en Allemagne au numéro 19 de la Wendstrasse, à Karlsruhe.
Sans doute est-ce un hasard si cette maison fait encore partie des biens des familles juives spoliées (lire sur Primo "L’Oréal m’a pris ma maison", 2006). Monica Waitzfelder attend toujours qu’on lui rende sa demeure de famille.
Feuilleton de l’été
Tous les ingrédients d’un bon feuilleton télé sont là, pour éviter l’ennui, aux longues et lourdes soirées de chaleur, écrasés de langueur dans la digestion approximative d’un petit pastis décidément un peu trop chargé.
Il n’est donc pas étonnant que le monde politico-médiatique se passionne pour cette histoire d’héritage détourné, d’amis opportunistes, de fille trahie, de cocus douloureux, d’écoutes anonymes et de politiques corrompus.
S’il passe par des moments bien cruels, Eric Woerth, en ce moment, ne peut s’en prendre qu’à lui-même.
Luc Rozensweig, sur l’indispensable site Causeur, a trouvé les mots justes pour décrire l’attitude incompréhensible du ministre et trésorier du principal parti de la majorité.
Mais plusieurs points titillent tout de même l’esprit chagrin.
Un régime corrompu ?
Une présidente de région part en guerre, et toute auréolée d’un éphémère succès industrialo-automobilesque, se refait une virginité médiatique. Sa rivale à la tête du PS, affime que "le pouvoir en place qui abîme notre démocratie".
Les caciques du PS ne poussent pas le bouchon trop loin. Ils savent qu’une affaire peut en cacher une autre. Les officines fonctionnent à plein régime. Le retour de bâton peut être dangereux.
Ces histoires d’amitié et de copinage ne sont pas l’apanage des partis de droite. Et la gauche le sait bien.
Les grands cadres du Parti Socialiste utilisent eux aussi les avions privés mis chaleureusement à leur disposition par quelques industriels de l’agro-alimentaire en mal de contrats.
Il peut arriver, à l’occasion, qu’un rejeton soit préféré à un autre candidat pour une mission ou une sinécure rémunératrice en région.
14 ans de pouvoir mitterrandien ont bien laissé quelques cadavres dans les placards.
Et s’il faut descendre au niveau des collectivités territoriales, on pourrait parler des petits fromages locaux qui se distribuent, eux aussi, par collusion d’intérêt. Cela n’atteint certes pas le niveau de l’EPAD ou du groupe L’Oréal.
Il faudrait entendre les baronnets et baronnettes de province qui font la pluie et le beau temps, des postes qui se libèrent miraculeusement pour quelques obligés dont le mandat électif arrive à terme. Ils n’ont pas à faire un rapport sur la mondialisation pour bénéficier de quelques avantages.
Tout le monde en croque, même des syndicalistes qui pantouflent à la tête de grandes mutuelles d’assurances.
Cumul de mandat ?
Députés, conseillers généraux et régionaux, sénateurs s’approprient des postes au petit bonheur la grande chance.
Présidence de régie d’électricité et de syndicats des eaux, société d’HLM, Conseils Economiques et Sociaux Régionaux (CESR), sociétés d’économie mixtes dont la plus value reste parfois à démontrer, tous ces petits à-côtés finissent par former des rivières dans lesquelles viennent s’abreuver nos élus locaux.
Chacun trouve là le moyen d’arrondir un peu sa retraite ou de garder un petit pouvoir local, d’autant plus nuisible qu’il est discret.
La corruption n’est pas uniquement parisienne. La France des régions, également, souffre également de ces prébendes qui finissent par contrecarrer toute initiative.
Surtout si l’on songe au fameux principe de Peter sur les limites de la compétence. Un bon député peut être un très mauvais gestionnaire. Et vice-versa.
La défoliation hiérarchique qui se produit inévitablement a pour résultat l’appauvrissement des idées, un incompétent chassant toute personne susceptible de mieux gérer son poste mais ne disposant d’aucun appui politique.
Le monde médiatique.
Irréel également, ce petit monde des journalistes et animateurs dont le statut est si imbriqué et qui interroge le politique sur ses mandats "pluriels". Eux parlent de cachet. Mais ils cumulent également.
Ils vont et viennent, d’une radio à une télé, de la presse parisienne à la PQR (presse quotidienne régionale) avec autant d’allant que nos politiques. Avec, à chaque fois, une petite rétribution pour quelques lignes d’un éditorial dans lequel ils ne font le plus souvent que copier-coller leur chronique radio de la veille.
Ils collationnent la présidence d’une TV parlementaire, la présentation d’une émission et la production d’une matinale sur une radio privée.
Parlons aussi de ces comiques laborieux, excellents à la radio et qui se créent leur propre show TV le samedi soir, sous prétexte qu’on est pas couchés, producteurs-animateurs s’autoglorifiant sous les sunlights.
Le public est obligé d’applaudir à leur moindre saillie sous les yeux terrifiants du chauffeur de salle.
Ils y vont à la manœuvre, nos princes médiatiques, et touchent des ménages que veulent bien leur confier les entreprises, amies du pouvoir ou de l’opposition, selon les alternances.
Internet, ce média parallèle et désormais concurrent, vient parfois restreindre le train de vie de ces éditorialistes et animateurs.
Heureusement, il y a l’ADAMI. Le grand public ignore que les animateurs d’émissions radio et télé, même les plus nullissimes, font œuvre de création audiovisuelle. Ce système permet de toucher des compléments de salaire tout à fait appréciables.
Ainsi, selon le temps qu’ils passent à l’antenne, ils perçoivent un petit pourcentage des droits collectés par l’ADAMI. Même Stéphane Guillon !
Plus ils parlent, plus ils touchent.
D’ici qu’il vienne à l’idée du pékin moyen que c’est pour cette raison qu’ils interrompent sans cesse leurs invités lors des interviews, il y a un pas qu’il n’est pas fatalement indispensable de franchir. Certes non !
Le blocage d’une société par ses propres élites n’est pas corruption. Mais il y mène, aussi certainement que les privilèges de l’Ancien régime.
Alors, bien entendu, l’affaire Bettencourt !
La démission de quelques ministres ne suffira pas à rétablir l’honneur des mandats politiques. L’effet est catastrophique pour les élus des petites communes qui se battent au quotidien, contre une allocation dérisoire, pour le bien-être de leurs citoyens.
Reste que, pour quelques milliards de moins, combien de petites affaires de tous les jours viennent rompre le tissu social, le « vivre ensemble » et surtout la crédibilité de ceux qui nous gouvernent, politiquement ou médiatiquement ?
Comme disait Desproges : Dommage qu’on n’ait jamais rien trouvé de mieux que les drapeaux rouges ou les chemises noires pour en venir à bout.
Il est vrai que, de la part d’un pays qui a, pour première fortune, l’actionnaire principale d’une entreprise qui vend de la teinture pour cheveux, on peut s’attendre à tout.
Paul Lémand
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