Bienvenue à l’encyclique de Benoît XVI
Quelles coïncidences ! Le mardi 7 juillet, jour des obsèques de Michaël Jackson et veille de la réunion d’un G8 délaissé précipitamment par le chef d’Etat chinois, a été publiée la dernière encyclique papale, celle écrite par le chef suprême de l’Eglise en poste actuellement, autrement dit, Benoît XVI. Les encycliques ont été nombreuses, portant sur différents sujets et pas seulement des questions d’ordre théologique. Certaines sont catégorisées comme sociales parce que justement, elles portent une attention précise au cours du monde, de l’économie, de la société, des rapports humains et de la gouvernance. Et en effet, tous ces sujets sont abordés par Caritas in veritas, la toute nouvelle encyclique qu’on peut lire en ligne sur Internet.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH250/B16-61a7f.jpg)
Pourquoi devrions-nous porter un intérêt particulier à ce texte dont les médias ne vont que très peu parler ? Un livre écrit par un vieux gâteux autiste qui ne cesse de dire des bêtises sur le préservatif ! Allons bons, le lecteur français mérite mieux et doit suivre les recommandations des médias, qui livrent un avis très inspiré par la vérité. N’ont-il pas abondamment parlé de cet essai formidable que tout Français avec ou sans le bac devrait avoir lu, American Vertigo de BHL, et pas plus tard qu’en pleine rentrée littéraire de 2008, nous pouvions lire avec ferveur cette incroyable correspondance épistolaire sur le Net entre ce même BHL et Michel Houellebecq, un livre essentiel pour comprendre l’époque et former la jeunesse. Après ça, on peut jeter ses vieux livres de Goethe, Hugo et Sartre. Et on peut se passer de l’encyclique papale, car le dernier Marc Lévy se prête bien mieux à une lecture sur la plage. Et pour les plus intellos, rien ne vaut les mauvaises pensées d’Onfray, le Guy Descartes de la pensée hédoniste.
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Ne le dites pas à mes proches mais je suis un type louche, qui ne fait pas confiance aux médias, qui ne suit pas ce que disent les critiques. Cette encyclique de Benoît XVI est tout aussi instructive à lire que la dernière livraison d’Emmanuel Todd, Pierre Rosanvallon ou Bernard Stiegler. Malgré ses lubies sur le préservatif, le Pape actuel, comme la plupart de ces prédécesseurs, est un théologien autant qu’un penseur talentueux dont on ne partagera pas forcément les idées mais qui aura le mérite de faire réfléchir sur des questions importantes sur les sociétés et le devenir de notre monde. L’éditorialiste du Monde livre une analyse intéressante sur la publication des encycliques à vocation sociale dans un contexte de crise importante. Je le cite : « Chaque encyclique sociale a correspondu à un bouleversement mondial ou à une rupture : Rerum novarum de Léon XIII (1891), à l’aube du capitalisme industriel ; Quadragesimo anno de Pie XI (1931), au coeur de la Grande dépression ; Populorum progressio de Paul VI (1967), quand l’aide au développement a prolongé la décolonisation ; Centesimus annus de Jean Paul II (1991), après la chute du communisme. » Voilà de quoi méditer.
1891 : l’ascension du capitalisme industriel. Nous sommes deux ans après l’inauguration de la tour Eiffel, symbole s’il en est de la réussite industrielle française et européenne ainsi que du scientisme. Epoque qui sera suivie par une Belle époque pas si belle, des manœuvres de puissance, une triple alliance et une triple entente préfigurant la Grande Guerre. Entre temps, des tensions, une frénésie sur le temps, l’argent, notamment aux States. Ford T, fordisme, 1905, la Russie vacille puis bascule en 1917. Le fascisme arrive en Italie, nombre d’holocaustes se produisent de part le monde. Chinois massacrés à deux reprises par les Japonais, Arméniens liquidés par les Turcs. Moins connu mais tout aussi dévastateur, l’Holomodor, famine organisée par l’URSS afin de prendre le contrôle des terres cultivées par les koulaks en Ukraine. Entre 4 et 8 millions de morts. Pratiquement ignoré, le premier cas de génocide moderne, en 1904, perpétré par les militaires allemands contre les Hereros, peuplade de l’Afrique de l’Ouest. Autant dire que pressentant ces désastres liés à plusieurs causes et notamment un capitalisme effréné allié aux nationalismes et autres colonialisme, fabricant d’instruments de mort, le pape Léon XIII, en humaniste qu’il fut, se fendit d’une encyclique sociale intitulée Des choses nouvelles. Celle-ci dénonçait notamment la pauvreté, la condition misérable offerte aux ouvriers et bien évidemment les travers de l’athéisme et du socialisme athée. Rappelons que si l’Histoire retient le côté spectaculaire des génocides, il y eut une féroce répression exercée par les polices contre les mouvements et autres contestations des ouvriers aux portes des usines.
Des choses nouvelles, autrement dit Rerum novarum, est une encyclique emblématique symbolisant et refondant la doctrine sociale de l’Eglise depuis plus d’un siècle. Elle a inspiré ses héritières, celles livrées par Pie XI en 1931, Paul VI en 1967, Jean Paul II en 1991 sans oublier Léon XIII en 1961. L’éditorialiste du Monde ne s’est pas trompé en associant les dates de ces encycliques sociales à des événements important affectant le capitalisme. Sans doute des coïncidences puisque trois d’entre elles ont été publiées pour les 40, 70 et 100 ans signant les anniversaires de Rerum novarum qui du reste les a inspirées. Déjà en 1931, Pie XI mettait en avant le principe de subsidiarité, qu’on retrouve en 2009 chez Benoît XVI. Paul VI insiste, comme ses successeurs, sur la dimension planétaire des problèmes sociaux. Lire ces cinq encycliques devrait nous convaincre que les problèmes humains liés au développement capitaliste des sociétés sont restés pratiquement les mêmes. Le capitalisme et son pendant matérialiste sont opposés à l’humanisme qui doit s’élever au-dessus des valeurs matérielles ainsi que des aspirations bassement hédonistes. Un plaidoyer s’exprime en faveur du développement spirituel (intégral) de l’homme, associé à la mise en place de sociétés traversées par le souci de solidarité. Et une chose assez récente, le souci de la planète, clairement explicité dans les encycliques de Jean-Paul II et Benoît XVI.
Le développement du capitalisme fut accompagné de périodes optimistes, certains vivant leur œuvre avec euphorie, alors que des drames, guerres, répressions et holocaustes se sont produits à l’échelle planétaire. Dans Le monde d’hier, Stephan Zweig raconte le virage pris par les populations à l’égard des gouvernants. Naguères pris d’une infantile naïveté, ils approuvaient les dirigeants avant la Grande Guerre, leur accordant une grande confiance. Mais en 1939, finie cette dévotion à l’égard des puissants. Les peuples se méfient de tout, notamment de la diplomatie. Ils ne perçoivent plus les gouvernants comme des gens honnêtes. La crise économique de 1930 fut surtout une crise politique, soldée par un conflit national. Puis les sociétés se sont reconstruites sur de nouvelles bases. Les encycliques sociales de 1961 et 1967 s’inscrivent surtout dans un contexte de crise de la foi, de mutations culturelles et de guerre froide. Mais celle de 1991 suit la chute du mur. Et la mélancolie, le désenchantement.
Osons un modeste parallèle. Naïveté à l’égard des politiques en 1910, disait Zweig. 70 ans plus tard, sans parler de naïveté, disons que les gens avaient quelque confiance dans le système malgré la crise de 1974. Une espérance envers les gouvernements à tendance socialisante, notamment en France, pays qui semble incarner un pouls mondial. La plus belle des naïvetés reste tout de même celle du culte de l’argent, la réussite, l’entreprise. Voilà ce qui signe les années 1980 et son emblématique héraut, Bernard Tapie, dont on se souvient des incantations et autres exhortations à vivre dans et de l’entreprise et comme le proclamait Yves Montand, vive la crise, vive ceux qui font de l’avant. Le poilu de 1914 a été remplacé par le travailleur (au sens de Jünger) et l’entrepreneur. Mais quelles désillusions dix ans après. Grève de 1995. Et sur le plan politique, la guerre de 1991 en Irak, les massacres au Rwanda et dans les Balkans. Finies les illusions. 11 septembre, guerre en Afghanistan, en Irak, et maintenant, au Pakistan, et l’Iran dans le collimateur. La violence israélienne à l’égard des Palestiniens a atteint des sommets après l’intervention de 2008 à Gaza. Et bien évidemment, plus aucune confiance des peuples, ni dans le système capitaliste, avec ses scandales à répétition et cette bulle de la finance, ni dans le système politique, avec la méfiance à l’égard de l’Europe, la défiance à l’égard des dirigeants qui, non contents de reconduire le pédaleur en chef dans la semoule du protocole de Lisbonne qu’est Barroso, ont refilé en douce le traité refusé en 2005 en le modifiant et bientôt les Irlandais revotent. Cela ne va pas s’arranger avec la raréfaction des ressources sous l’effet de la planétarisation de l’industrie, Chine en tête. Des problèmes sociaux en perspective, liés aux différences de niveau matériels parfois associé à des communautés. Puis les retraites dans les pays développés. Et la faim galopante, sur fond d’illettrisme. Baisse généralisées des niveaux culturels. Fétichisme des jeux, des gadgets et bien évidemment, l’infantilisme se déplace vers le culte des vedettes.
Bref, on est au bord du naufrage. Alors, autant souhaiter la bienvenue à cette nouvelle encyclique. Elle a toute sa place dans le contexte idéologique social et politique qu’on connaît, même si elle ne servira pas à grand-chose. Car les tendances sont trop lourdes. Et le monde difficile à gérer, Gaza, Ouïgours, Balkans, Caucase et j’en passe. De plus, cette énième encyclique sociale risque de taper à côté, autant des responsables laïques qui ne voient pas d’un bon œil cette ingérence dans les affaires politiques d’un Pape refusant un humanisme sans Dieu, que des chrétiens dont le souci devient de plus en plus personnel que social. C’est peut-être la dernière encyclique sociale émanant de la papauté. Une sorte d’avertissement avant la débâcle du système. La prochaine pourrait bien être un évangile révolutionnaire !
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