Bienvenue à l’Ukraine !
Second degré, d'un bout à l'autre. (Mieux vaut prévenir). Toute vérité importune qui se serait glissée dans ce texte est peut-être indépendante de la volonté de son auteur.
D'abord je n'ai pas compris la volonté des Ukrainiens. Après tout, Ianoukovytch est-il plus tyrannique que la Troïka ? Plus légitime que Barroso ? Plus obstiné que Van Rompuy ? Moins charismatique que Lady Ashton ? Sont-ils donc si pressés de rejoindre nos 26,6 millions de chômeurs (déclarés et comptabilisés) ? Notre économie poussive à croissance anémique ? Si enthousiastes à l'idée de renflouer des banquiers incompétents et cupides avec l'argent des retraites, des écoles, des hôpitaux et services publics et de l'épargne des travailleurs ?
Les souvenirs du soviétisme se sont-ils à ce point estompés qu'ils ne craignent plus la bureaucratie paralysante ? l'administration aussi indolente que tracassière ? la multiplication infinies de lois et règlements stupides empêchant toute initiative en bas tout en laissant les coudées les plus franches en haut ? l'arrogance imbécile d'un pouvoir non élu ?
Puis j'ai pensé que leur long contentieux historique avec la Russie les poussait sans doute à prendre systématiquement parti pour ses adversaires, quels qu'ils soient et parfois sans discernement. Comme ils l'ont tenté, regrettablement et à leurs dépens, voici presque trois quart de siècle.
Mais je viens de changer d'avis. Notre presse libre, courageuse et unanime à raison. Je viens de comprendre la vertu de leur combat, et quelle chance ils seraient pour l'Europe. Jusqu'ici surtout connus pour leur exportation de blondes callipyges, callimastes, rigolotes et peu frileuses, voici qu'ils se découvrent : ardents révolutionnaires, prêts à tout et jusqu'à la mort pour défendre leur liberté, refusant de fléchir face à la hargne meurtrière des forces de l'ordre déchaînées. Quel contraste rafraichissant avec nos peuples enchainés par la consommation, abrutis par la télé, mesmérisés par les jeux vidéos, hébétés par le choix entre chômage et misère ou travail d'esclave harassant et sous-payé.
Oh ! de notre côté, il y eut bien quelques luttes, quelques manifs, quelque résistance héroïque vite réprimées par des zombies en armure, leurs matraques, leur gaz poivre, leurs lacrymos et leurs coups de bottes. Et si cela ne suffisait pas, par des arrestations aléatoires de protestataires, pacifiques ou non, suivies de garde à vue, d'amendes carabinées et de mois de prison ferme. Puis les gens, à l'usure, se sont résignés à rentrer chez eux tête basse, vaincus, soumis et dégoûtés.
Et puis, il y eut l'Ukraine. Ses héros. Sa bravoure et son combat lumineux.
Ukrainiens, l'Europe a besoin de vous ! Nous avons besoin de vous. En Espagne, où un projet de loi anti-manifs, anti-protestation, tiens, même anti-opinion-sur-facebbok vous rappellerons l'air de votre pays natal. (même l'Express en parle.(1) C'est dire !) En Grèce, où des flics aussi bienveillants que les vôtres ont transformé une bourgade entière en zone de guerre occupée, pour laisser à une multinationale canadienne le loisir de saccager une forêt parmi les plus belles d'Europe.(2) Besoin de vous en Irlande, au Portugal, en Italie, dans tous nos pays d'Europe, un par un ruinés, puis écrasés, et qui sait quel sera le prochain à tomber sous les souliers vernis des banquiers et les bottes cloutées de leurs nervis.
Venez en masse, entrez en Europe. Aucun dépaysement à craindre. Tout y sera comme chez vous : pauvreté, répression, arbitraire, nomenklatura olympienne et population écrasée. En échange, amenez-nous votre révolte, réveillez nos peuples, réapprenez-nous à lutter pour la liberté, aidez-nous à virer la dictature troïkesque, à traiter ses bureaucrates comme vous traitez les sbires de votre despote. Votre combat sera le nôtre.
Oh ! J'entends déjà quelques esprits chagrins murmurer çà et là que parmi vous, nobles manifestants ukrainiens, se seraient glissés quelques provocateurs fascistes. Que renverser un tyran qui vous empêche de venir goûter avec nous la merveilleuse prospérité européenne, c'est très bien, mais que la violence, tout de même, c'est mal. Surtout si finalement vous la rejoignez, l'Europe, et que vous risquez de devenir un danger pour leurs fesses, aussi. Bah ! Propagande insane. Ne craignez rien. Nous-mêmes européens avons nos partis, et même nos députés, fascistes, parfaitement tolérés. L'Aube Dorée, par exemple, a pu semer la terreur dans les rues grecques plusieurs années durant, avant que l'on s'aperçoive qu'ils étaient un petit peu dangereux. Alors vous voyez bien !
(2) https://www.okeanews.fr/20130405-skouries-une-foret-ancienne-devient-la-derniere-bataille-de-grece
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