[Billet d’humeur] Mes couilles, au féminin
Le langage n'est pas la propriété des académies ; c'est l'usage collectif, au sein d'une profondeur qui s'apparente, par analogie avec un des marqueurs du 20ème siècle, à un inconscient collectif à l'oeuvre. Structures sociales et culturelles plutôt, qui s'organisent en-deça et au-delà des individus. Mais trêve de structuralisme : nous sommes des libéraux qui devont cesser d'être modernes pour devenir contemporains. Un truc dans le genre.
La langue entretient des rapports intimes avec les homme.e.s. Que veut dire qu'elle est une construction du sens ? Que signifie qu'elle est un des fondamentaux du commun ? Quelle opération s'effectue quand la langue se divise ?
Questions stupides certainement. Il faudra réapprendre sans cesse à parler à nos contemporain.e.s. Après le langage SMS qui préfigurait, voici la langue acronyme... de vous.e et moi. Au XXIème siècle, on progresse.
Ne boudons pas notre plaisir. Soyons en marche. Quelle joie de recevoir de belles lettres des diverses institutions d'avenir.
Che.è.r.e.s client.e.s,
C'est peut-être parce que peu s'en moquent qu'ils.elles ne s'adresseront jamais à vous en commençant par cher ami ou chère amie, surtout dans le désordre, malgré la somme gigantesque de services qu'ils.elles entendent vous rendre au quotidien. C'est curieux, une langue. J'en pleurerais.
Et puis il restera toujours une marque de personnalisation, votre matricule d'identification, ce souci de votre humanité dont témoigne de façon si charmante cette magnifique machine-système. A propos de machine, si le féminin est péjoratif, peut-on l'enlever ? Ou peut-être peut-on le garder avec patience, tant on ne ferait ce faisant qu'ôter un masculin. Vous suivez ? Pardon, vous.e suivez.
Soyons concre.è.t.es. Nous.e avons désormais besoin d'une langue technique. Qui s'adresse à tous.tes, avec marque de différenciation. Cela traduirait-il le fait que nous.e sommes incapables de faire autrement ? Notre... genre d'attachement ? Codifié. Mécanique. Irréprochable.
"Moi vouloir toi", comme disait mon prof de français au Lycée il y a déjà longtemps, pour résumer. En plus simple.
Ne soyons.e pas conservateurs.rices. Combien faciliterions.es-nous.e ainsi la tâche des algorithmes. Et quelle économie nous.e pourrions ainsi réaliser. En cas de revendication égalitaire, ne changeons rien : une simple concaténation avec une variable de type string et la technologie, "so sexy" avec ses anglicismes, pourrait nous apparaître merveilleuse dans le traitement quotidien de nos besoins, rêves et désirs. Et avec un peu chance, nous serions peut-être débarrassé.e.s d'un certain féminisme, qui ferait mieux de lire Bourdieu comme on est heureux de voir Mme Autain se défendre si bien.
Rassurez-vous, ce n'est rien qu'une faiblesse de la langue, attaquée qu'elle est par la communication et le marketing. Une technique pour pauvres. "La jeune Parque" de Paul Valéry ne sera pas traduite. La chance de goûter cette naissance au monde que les hommes disent bien naturellement au féminin. Avant que celles et ceux qui "réussissent" ne nous assènent d'images de la femme objet permanent du marché. Ce pour quoi il me paraît convenable de conserver couille au féminin, avant qu'un de mes clones (en plus fréquentable) ne finisse en publicité, le jour où le reste sera du marché.
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