Un jour de 1929, un riche contrebandier du nom de Joseph Kennedy (père du futur président des États-Unis) se faisait cirer les chaussures par son cireur habituel. À un moment, le bonhomme leva la tête et lui dit : « M. Kennedy, j’ai un tuyau remarquable à vous donner, sur une action... » Kennedy écoute l’homme mais se dit immédiatement que si les cireurs de chaussures se mettaient à boursicoter, alors il était temps de tout vendre. Le marché était arrivé à son plus haut niveau. Kennedy vendit ses actions juste avant le krach, et devint l’un des hommes les plus riches de l’Amérique des années 1930.
Le bitcoin présente les mêmes symptômes. La frénésie gagne nos contrées rongées par la crise économique, provoquant partout des sécrétions collectives de dopamine et de sérotine, depuis la veuve de Carpentras jusqu’au retraité au comptoir du café de Darien, au fond du Connecticut.
Cette « crypto-monnaie » suscite une grande agitation dans l’ensemble de la presse financière et des médias, face à son envolée spectaculaire ; en effet, alors qu’elle ne valait que quelques cents à sa création, en 2009, son prix était en août dernier de 4 000 dollars, pour atteindre près de 20 000 à la mi-décembre ! Et, alors que la Chine, le Maroc et la Corée du Sud ont mis en place des mesures pour l’interdire, le Japon l’a légalisé et les institutions financières internationales en font la promotion. Aux États-Unis, la Bourse de Chicago a inauguré le 10 décembre le premier marché à terme sur le bitcoin. Le 7 décembre, la banque Goldman Sachs s’est dite prête à servir d’interface entre acheteurs et vendeurs de produits financiers liés à la monnaie virtuelle. Et on s’attend déjà à son introduction au Nasdaq en 2018.
Alors, s’agit-il d’une bonne idée de cadeau de noël pour votre grand-mère ?
Crimes, fantasmes et cupidité
Dans le monde orwellien d’aujourd’hui, où l’on parvient à faire croire que le noir est blanc, ou que l’injustice est juste, de la même façon on a fait croire que le bitcoin (ainsi que d’autres crypto-monnaies) représentait une alternative au « système », alors qu’il n’en est qu’une des expressions les plus extrêmes et les plus perverses. Il est tout à fait cohérent avec le projet libertarien inspiré par l’un des concepteurs de l’ultra-libéralisme moderne, Friedrich von Hayek, promoteur des monnaies « privées » indépendantes de tout État. Faire des crypto-monnaies l’alternative à un système dans lequel les monnaies ont justement été retirées du contrôle des États, pour passer entre les mains des « faux-monnayeurs » des banques centrales et des banques privés, c’est quand même un comble !
De plus, le bitcoin n’a aucune base réelle. Une équipe de chercheurs australiens vient de réaliser une étude, intitulée « Sex, Drugs and Bitcoin », montrant que près de la moitié des transactions en bitcoin sont associées à l’achat ou la vente de biens et services illégaux, dont les drogues, les armes et les logiciels piratés ; et que, d’un autre côté, la grande majorité des utilisateurs légaux ne font qu’acheter et garder le bitcoin, attendant que son cours monte, comme le cireur de chaussures de Joseph Kennedy.
Des militants de Solidarité & Progrès se sont rendus la semaine dernière au 35, rue du Caire, à Paris, devant la Maison du Bitcoin, et avons pu prendre la mesure de la fièvre de cupidité que la « monnaie magique » crée chez le quidam moyen. « Le tout, c’est de se retirer au bon moment ! » entend-on ici. « Le bitcoin, c’est déjà has been, investissez dans la monnaie Ripple », entend-on là. « Je suis envoyé par le gestionnaire de fortune de ma patronne qui est une vieille dame ; je viens prendre des infos », nous explique quelqu’un. Un trentenaire ayant investi dans le bitcoin, alors qu’il ne valait encore que quelques centimes, venait tout retirer ce jour-là, devenant millionnaire. À la question « Êtes-vous cupide ? », il a répondu : « bien sûr, et c’est grâce aux naïfs [les derniers arrivants] que les initiés comme moi empochent le magot ! »
Le détonateur du grand krach ?
Avec une valeur suivant de près la course folle de la bulle des tulipes de 1637 en Hollande, les analystes évoquent de plus en plus de la possibilité d’un krach. Et ce krach pourrait déclencher une crise de l’ensemble du système. Car, comme Ambrose Evans-Pritchard l’écrit dans le Daily Telegraph le 14 décembre, « la bulle globale [« the everything bubble »] est sur le point d’exploser ».
Les solutions existent, et il ne tient qu’aux citoyens de s’en emparer. Ne faisons pas la même erreur que Jean-Luc Mélenchon qui, sur le plateau de l’Émission politique de France 2, a bien évoqué le fait qu’il allait y avoir « une nouvelle crise parce que la bulle financière va de nouveau exploser », mais rate l’occasion d’apporter les remèdes.
Notre mobilisation se poursuit auprès des députés et sénateurs, afin d’ouvrir un débat sur la si nécessaire séparation bancaire (Glass-Steagall) ; en ce moment-même, plusieurs centaines de citoyens vont au contact de leur élu pour le pousser à agir, avec en main notre proposition de loi de « moralisation de la vie bancaire ». Joignez-vous à eux !
Source : Solidarité & Progrès