Black Friday : le spot qui dérange
Un nouveau personnage a fait, ces jours-ci, son apparition dans le champ publicitaire : le dévendeur. Bémol nécessaire à la frénésie consumériste du Black Friday, il suscite déjà beaucoup de controverses.
C'est un constat banal mais implacable : la plupart de nos contemporains sont excités comme des enfants à Noël lorsqu'arrivent les périodes de soldes et son ultime avatar en date, le Black Friday. Dans les rues commerçantes, devant l'entrée des boutiques de mode, c'est la cohue. Celui-là veut la chemise qui ira avec le costume qu'il ne mettra qu'une seule fois, à la prochaine Saint-Sylvestre. Celle-là veut la montre connectée que ses copines ont déjà ou le body qui soulignera ses formes pour le cours de gym-tonic qu'elle peine pourtant à suivre. On pourrait poursuivre à l'infini la liste de leurs envies. Partout les jeunes fétichisent les marques, ce mana de la société moderne. Et, dans cette fièvre acheteuse, tous dépassent souvent le budget qu'ils s'étaient fixé, oublient qu'ils avaient déjà tout en double dans leurs armoires.
La perspective de faire de bonnes affaires déclenche toujours, chez les acheteurs, des comportements compulsifs et parfaitement irrationnels. Les commerçants le savent bien, eux qui vont jusqu'à faire croire que certains articles – les plus chers en général – sont en voie d'épuisement pour mieux ferrer les clients potentiels. Ce n'est pas pour rien que Mercure, dans la Rome antique, passait pour être à la fois le dieu des marchands et des voleurs. Reste que si cette frénésie fait les choux gras des grandes enseignes, elle a aussi un coût pour la planète – matériaux polluants, émissions de gaz carbonique lors des transports – et il est de plus en plus exorbitant. Car le commerce, dans sa dimension mondialisée, est un crime, tant contre l'humain que contre la nature. Sous l'angle de l'écologie environnementale, le Black Friday porte bien son nom.
C'est pour rappeler les gens à plus de sobriété que l'Ademe, avec le soutien de Christophe Béchu, ministre de la Transition Ecologique, a lancé, ces jours derniers, des spots court-circuitant le discours publicitaire habituel. On y voit, non pas des vendeurs, mais des dé-vendeurs qui, au lieu d'inciter les clients à l'achat, leur font l'apologie de l'abstinence et du recyclage vestimentaires. En somme une sorte d'éducation à la consommation ; puisqu'il faut sans cesse débiter des lieux communs en cette époque où le bon sens est devenu – pauvre Descartes ! - la chose la moins bien partagée au monde.
Evidemment cet humour pédagogique n'a pas du tout été apprécié par les principales associations de commerçants qui régissent ce secteur. C'est ainsi que l'Alliance du Commerce, l'Union des Industries Textiles et l'Union française des industries Mode et Habillement ont demandé le retrait immédiat de ces spots litigieux, sous peine d'envisager « une action en justice pour dénigrement commercial ». Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, a jugé que cette campagne était « maladroite et pas très sympa pour les vendeurs et le commerce physique ». Opinion également partagée par la première ministre. Mais Christophe Béchu ne s'est pas laissé impressionner et, tout en nuançant ses propos, il a refusé de céder aux menaces de ses détracteurs, estimant que les cinquante trois diffusions quotidiennes de ses spots ne représentaient que 0,2% du temps d'antenne consacré à la publicité.
Un « Green Day » viendra-t-il bientôt concurrencer le Black Friday, comme il l'appelle de ses vœux dans une tribune parue dans Le Monde ? Nous l'espérons sans trop y croire. Mais on voit déjà à quelles impasses peut mener cette politique du « en même temps » si elle est poussée à son terme. On ne peut pas toujours ménager la chèvre et le chou et, entre l'écologie et l'économie, il faudra faire sans tarder le bon choix.
Jacques LUCCHESI
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