Blade Runner 2049 est-il sans âme ?
L’androïde serait-il un miroir de l’homme ?
Ceci n’est pas une analyse ni même une critique, seulement une réflexion impromptue sous le coup de la frustration ressentie après le visionnage du film Blade Runner 2049.
La bande-annonce peu excitante (mais néanmoins primée) laissait déjà anticiper un film torturé qu’on croirait d’art et d’essai tant il cultive l’outrance et le pathos kitch à la façon du théâtre contemporain. Les fans de l’original, dont je suis, n’ont pas dû y trouver leur compte alors même que le réalisateur, Denis Villeneuve, multiplie les références et les clins d’œil à l’œuvre de Scott.
Je laisserai toutefois aux spécialistes le soin de relever les innombrables travers qui font de ce film un grand machin qui tourne à vide mais reste indigeste, un peu comme un menu de fast-food qu’on regrette d’avoir avalé dès la dernière bouchée. Les critiques suivantes [1] permettent de se figurer l’étendue du désastre :
« …Blade Runner 2049" n’est ni plus ni moins qu’un énième sequel d’exploitation qui photocopie et étire en dépit du bon sens les beaux mystères du film de Ridley Scott et du court roman de Philip K. Dick qu’il adaptait, incapable de trouver une raison valide ou un endroit original où exister. » Olivier Lamm dans Libération
« Certes, on est dans un rêve plus que dans un film d’action, certes, on se félicite que Villeneuve n’ait pas cédé aux sirènes contemporaines de la vitesse, mais à figer démesurément son intrigue, il la rend d’autant plus insignifiante qu’elle se devine vite. » Sophie Avon dans Sud Ouest
« Trop long, atone, le récit s'enferre dans une réflexion métaphysique. La déception est à la hauteur de l'attente. Mais le cinéaste ne démérite pas. » Isabelle Magnier dans Télé 7 jours
« l'impression tenace de voir un bel objet (ou film en l'occurence), mais un objet froid, qui laisse de marbre, un comble pour "Blade Runner". » Thomas Colpaert dans Télé Loisirs
« Long, bavard, hyper design, à peine agité (le comble de l’action : une bagarre dans la flotte), métaphysique et, surtout, ennuyeux jusqu’à la catalepsie. » Bernard Achour dans VSD
Intéressons-nous plutôt à la question fondamentale que le film illustre, celle des relations entre les humains et des robots qui leur sont tellement ressemblants qu’ils en sont quasiment indistinguables.
On peut penser que cette similitude est ce qui engendre notre fascination pour les androïdes car ils deviennent alors, en quelque sorte, notre reflet, notre « réplique ». Et tout comme une personne qui se découvrirait pour la première fois dans un miroir, nous sommes enclins à les observer avec toute notre attention, avec une intense curiosité. L’humain est, évidemment, leur modèle mais ils sont, à leur tour, des modèles de l’humain ou, mieux, des représentations dynamiques, agissantes, des théories de l’homme « en acte » qui se trouvent soumises à l’épreuve du réel sous notre regard scrutateur.
Ainsi, les androïdes qui, à l’instar de notre reflet dans un miroir, sont (supposés être) entièrement sous notre contrôle, nous échappent d’une certaine manière puisqu’ils nous renvoient implacablement ce que nous manquons (ou refusons) de voir en nous et, en particulier, le caractère automatique ou machinal de la plupart de nos comportements. [2]
Comme tous les phénomènes en miroir, cette confrontation des semblables devient très vite inconfortable et même insupportable ; pour en sortir, il faut d’urgence trouver une différence.
De l’âme
Dans la société de Blade Runner 2049, ce qui fonde la distinction — et la hiérarchie — entre les humains et les répliquants c’est le fait d’avoir ou non une âme.
Loin d’en faire son beurre en jouant du mystérieux qui entoure encore cette notion, le scénario fait d’emblée de cette caractéristique un facteur de ségrégation dont les (pauvres petits) robots sont victimes, de sorte que par un réflexe compassionnel bien rôdé [3] le spectateur est rapidement amené à rejeter l’âme, comme tout ce qui, par le passé, a été jugé discriminatoire.
La ficelle est un peu grosse car dans un monde post-apocalyptique manifestement dénué de toute transcendance, on voit mal comment la notion d’âme pourrait avoir acquis un tel statut alors qu’elle est déjà démonétisée à l’époque actuelle, suite à l’avènement de la science matérialiste en tant que quasi-religion d’Etat. Cette notion insaisissable et quelque peu désuète ne fonde donc la discrimination sociale absolue de la société de 2049 que pour mieux amener le spectateur à l’écarter et à constater ainsi la nudité des faits, à savoir, la parfaite ressemblance du répliquant avec son modèle humain. De fait, la distinction entre l’un et l’autre est affaire de spécialiste, elle nécessite d’administrer le long et laborieux test psychologique Voight-Kampff.
De fait, le héros du film, auquel nous sommes supposés nous identifier n’est plus un humain mais un répliquant, K, ultérieurement prénommé Joe. Avec ce seul choix, tout est dit : exit la différence humain-robots.
De l’esprit
Mais s’ils n’ont pas d’âmes, de quoi seraient alors constitués les « individus » naturels ou artificiels que nous sommes ? Réponse traditionnelle de la science matérialiste : d’un esprit et d’un corps ! Et encore le terme « esprit » est-il seulement à entendre au sens actuel de « mental » et non dans ses acceptions plus anciennes qui entretiennent une certaine proximité avec l’âme.
Dans Blade Runner 2049, le mental est appréhendé de la même manière que dans l’original : ainsi que Deckard l’apprend de la bouche du génial Tyrell, ce serait la mémoire qui fait la personne et lui donnerait ces capacités « affectives » sans lesquelles l’homme (le répliquant) ne serait pas (comme) l’homme mais un simple robot, une désespérante machine rationnelle.
Pour qui n’y prend garde, cette conception peut sembler aller de soi tant les souvenirs sont généralement perçus comme chargés d’émotion. Mais nous sommes ici victime d’une suggestion qui suscite ce que l’on appelle un « biais d’échantillonnage » : quand nous pensons à nos souvenirs, ceux qui nous reviennent en priorité sont ceux qui ont été vécus avec une charge émotionnelle plus ou moins importante, car c’est justement ce qui leur a donné une place dans notre mémoire. Les éléments de mémoire dénués d’affects ne sont pas ou mal conservés dans nos souvenirs et cela signifie qu’ils n’ont pas été vécus comme importants. Dès lors, nous les oublions. Seuls les moments fortement chargés d’affects deviennent sinon inoubliables du moins « mémorables » et c’est pourquoi les souvenirs d’enfance sont tout à la fois relativement bien conservés et nombreux.
Le tour de passe-passe consiste en somme à jouer de la confusion entre souvenir et mémoire. Nous pensons qu’il s’agit de la même chose sans voir que cette dernière relève du cognitif et ne peut donc en aucune manière engendrer la dimension affective nécessaire pour que l’on ait des souvenirs — sous-entendu chargés d’affects.
De fait, nos ordinateurs sont les rois de la mémoire, ils en regorgent mais ne présentent pourtant pas l’ombre d’un soupçon de quoi que ce soit qui puisse ressortir au champ émotionnel. Idem pour les répliquants des générations antérieures au Nexus 6 : ils n’ont peut-être pas reçus d’implants mémoriels venus de l’enfance mais ils sont dotés d’une mémoire sûrement généreuse qui, cependant, les laissent dénués d’affects.
En quoi l’implantation de mémoires enfantines pourrait changer quoi que ce soit à cela ? Cela ne serait jamais que de la mémoire disponible pour le traitement de l’information. On y chercherait en vain des affects s’ils n’y ont pas été associés auparavant.
Le problème est que Philip K. Dick [4], comme les scénaristes de Blade Runner n’ont tout simplement aucune idée de ce que peuvent être des affects. On ne saurait le leur reprocher car depuis qu’en 1886, les psychologues se sont posé la question de savoir ce qu’était une émotion, ils ont été incapables de s’accorder sur une définition. Rien de surprenant à ce que les roboticiens soient si souvent dans le grand n’importe quoi psychologique et se cantonnent, pour les plus prudents, dans le registre tellement plus sûr (car purement cognitif) de la reconnaissance des émotions chez l’humain ou de la simulation d’une réponse émotionnelle adaptée chez le robot. Celui-ci fait juste mine d’avoir des émotions mais n’est pas plus concerné par la chose que votre calculette (cf. l’excellent film Her qui atteint pourtant des sommets d’inanité sous ce rapport avec un système d’exploitation... féminin et amoureux).
Bref, l’idée originale de Blade Runner est basée sur une entourloupe mais il n’y avait pas alors — et il n’y a toujours pas — moyen de faire autrement, de sorte que, le moins que l’on puisse dire est que, tout cela a été réalisé intelligemment et efficacement.
On avait d’autant plus envie d’y croire que les répliquants étaient joués par... des humains ! Ainsi quand, dans le Blade Runner de Ridley Scott, la belle Rachel pleure sous le regard de Deckard, c’est pour nous irrésistible : tous les signaux attendus sont présents, nous ne pouvons pas ne pas reconnaître là une authentique émotion.
Je doute terriblement que même un seul d’entre nous, humains de 2017, puisse observer cela de son vivant au cours d’une interaction « naturelle » avec un androïde. La recherche en est à des années-lumière et — pour sauver la face auprès des financeurs — n’a que des simulations à proposer ; cela, pour très longtemps encore. A la vitesse où nous allons, un demi-siècle ne devrait pas suffire à changer le fait qu’il n’y a pas plus d’émotions véritables dans nos androïdes que de beurre en broche.
Mais au moins est-il possible de répliquer des émotions sur le visage d’un androïde ! On ne peut pas en dire autant...
Du corps
Il est vrai que notre héros répliquant a une compagne virtuelle, Joi, susceptible de se manifester sous la forme d’un hologramme. Mais celui-ci, bien que basé sur une simulation, n’en reste pas moins une simple image. Pour réaliser une présence corporelle qui lui permettra de s’unir à Joe, ladite compagne devra s’associer de manière un peu scabreuse à une femme humaine dotée d’un corps véritable.
Il se pourrait que la clé de l’incarnation soit à ce prix. Or, il est douteux que la technologie humaine ait jamais les moyens de se payer une réplique parfaite ou même augmentée du corps humain autrement que par une bio-ingénierie à la Frankenstein, celle employée, justement, pour les répliquants.
Cette technique part du vivant pour fabriquer un vivant « recomposé » dans lequel l’artifice humain reste, somme toute, marginal. Même une bio-ingénierie basée sur des manipulations du génome et une gestation artificielle ressortirait à cette catégorie dans laquelle l’homme est juste un apprenti sorcier et certes pas LE véritable créateur d’une entité artificielle, un robot androïde conçu de A à Z.
Le projet de conception d’un corps entièrement artificiel qui fasse parfaitement illusion au point qu’il faille faire appel à un test psychologique pour distinguer l’humain du répliquant se heurte à des difficultés que l’on peut considérer comme à tout jamais insurmontables.
En effet, si le robot n’est pas un répliquant, c’est-à-dire, ni plus ni moins qu’un clone — éventuellement augmenté — de l’homme, le distinguer de l’humain sera un jeu d’enfant : une simple palpation suffira !
Car seul le corps humain, dans le volume restreint qui est le sien, peut offrir en même temps 1) à l’œil de l’observateur la conformation et la gestuelle qu’il en attend 2) à son esprit la communication et l’intelligence qu’il en attend 3) à sa main la sensation de chair vivante qu’elle en attend [5]. Comme disait Tatcher, il n’y a pas d’alternative.
Ainsi, par exemple, les Terminator resteront à tout jamais une fiction car la chair plaquée sur leur structure robotique n’est que de la viande sans fonctionnalité — la mobilité du Terminator n’en dépend absolument pas, elle reste entière même quand toute chair a disparu. Or, c’est la fonction qui crée l’organe : un muscle qui ne fonctionne pas disparaît. Comme on dit si bien : il fond. Aucun robot construit sur cette base ne pourra jamais faire illusion à l’œil. Quant à tromper la main, ce n’est même pas la peine d’y penser.
L’histoire d’amour entre Rachel et Deckard n’est donc envisageable qu’avec l’option Frankenstein, c’est-à-dire, avec des répliquants produits par une bio-ingénierie travaillant un matériau vivant toujours-déjà issu du vivant.
De l’amour
Dans ce cas, la question de savoir si une relation amoureuse peut exister entre un humain et une répliquante a à peine besoin d’être posée tant il est évident que le vivant, même bidouillé par l’humain, reste du vivant et, incidemment, de l’humain, même si c’est sur le versant Frankenstein. Dès lors, qu’est-ce qui, dans leur nature respective, proprement indistinguable, pourrait faire obstacle à leur amour ? [6]
Les croyants pourraient à nouveau se poser la question de l’âme et se demander si du vivant traficoté et recomposé reste susceptible d’en accueillir une mais ce serait de la scholastique et non pas de la science. Actons, si vous le voulez bien, le fait que le mot amour s’écrit sans accent circonflexe et laissons pour le moment l’âme hors de la problématique des états amoureux. [7] Il n’y a pas de raison a priori de penser que la répliquante Rachel doive rester étrangère à ce sentiment hormis peut-être le fait qu’un désir amoureux ou un simple besoin de compagnie est logiquement incongru chez un robot dont toutes les fonctions sont supposées avoir leur utilité.
En effet, pour quel motif le concepteur d’un répliquant chercherait à le doter d’un besoin affectif, d’un désir, en particulier sexuel alors qu’ils ne sont même pas indispensables à l’existence humaine ? Ces tendances peuvent très bien rester latentes et ne jamais se manifester. C’est pourquoi nombre d’autistes protestent contre cette norme sociale qui voudrait qu’une vie accomplie passe nécessairement par la voie d’une relation de couple réalisée notamment au plan sexuel. Il serait insensé pour une industrie de créer des agents présentant de tels besoins sachant les problèmes qu’ils engendrent déjà dans la sphère humaine.
La seule véritable raison d’avancer dans cette direction serait, évidemment, d’y rechercher un moyen de satisfaire des besoins proprement humains. Sachant la place que tient l’industrie du porno sur Internet et, d’ores et déjà, dans le domaine de la réalité virtuelle, il ne serait pas surprenant de la voir investir la robotique humanoïde.
La tentation sera d’autant plus grande qu’il semble devenir de plus en plus difficile de s’inscrire dans une relation de couple véritable. La tolérance à la frustration s’évapore avec les opportunités grandissantes de zapping relationnel. Mais au lieu d’aller de conquêtes en conquêtes tel Don Juan, le célibataire post-moderne, triste migrant des cœurs cosmopolites, se voit plutôt aller d’échecs en échecs et pourra donc difficilement rester insensible à la perspective de vivre enfin une relation « idéale » avec un être tout aussi « idéal ».
Sauf que, comme cela, a été dit, il n’y a pas, en ce qui concerne l’idéal, d’alternative à l’option Frankenstein. Or, on ne voit pas trop bien au final en quoi des (super) clones humains tels que Rachel — si tant est qu’ils existent un jour — pourraient changer la donne car soit 1) le répliquant est identifié à un humain, avec tout le respect qui lui est dû, notamment celui de sa liberté, soit 2) il est considéré comme n’ayant pas le statut d’humain et se voit alors relégué à celui d’esclave, qui n’est certes pas une nouveauté dans l’histoire humaine. Nous savons depuis longtemps qu’il ne peut offrir une solution satisfaisante à la relation amoureuse car celle-ci est supposée intervenir entre pairs, entre semblables — d’où l’idée de trouver l’âme-sœur. Ainsi, par exemple, un monarque qui est réellement amoureux d’une de ses esclaves ne peut manquer de voir en elle « sa moitié », sa « future » et donc, son « égale ». S’il veut vivre cet amour dans toute sa plénitude, il sait qu’il devra l’affranchir puis l’ennoblir pour en faire son égale. Car ce que veut tout « maître », c’est être désiré par un être plein, authentique, libre, égal à lui-même et non par un(e) esclave qui n’est pas censé(e) avoir des désirs ou des volontés propres et qui ne peut donc être sincère dès lors qu’il/elle a un devoir de soumission sous peine de vie ou de mort.
Bref, il n’y a rien à espérer des répliquants pour les cœurs solitaires car, au final, l’option Frankenstein ne peut servir aux relations amoureuses que si elle produit des êtres libres et non pas des esclaves. Par conséquent, elle n’aidera en rien concernant le problème n°1 des relations de couple, à savoir, la discorde des désirs et des volontés entre partenaires. Un répliquant au statut d’humain est, en effet, aussi libre que ce dernier d’agir selon son « cœur » et donc, susceptible à tout moment de dissidence avec les désirs du conjoint. Au désespoir de l’un et de l’autre, la discorde et l’usure s’installera dans le couple répliquant-humain exactement comme elle l’a toujours fait dans les couples humains.
Cette analyse pourrait toutefois sembler un peu radicale et surtout hâtive sur la question de l’esclavage. Car admettre que nul n’a pour idéal de vivre avec un(e) esclave ne permet pas d’écarter le fait que bon nombre d’humains s’accommoderaient bien de vivre avec un(e) quasi-esclave, c’est-à-dire, un être libre, incontestablement doté d’une personnalité — avec donc des intentions et des volontés propres — mais fondamentalement enclin à se soumettre aux désirs de l’autre jusqu’à, parfois, même les devancer.
C’est justement l’exemple que nous offre Rachel qui, d’abord, tue le méchant répliquant qui allait tuer Deckard et qui, ensuite, se soumet complètement lorsque Deckard lui demande de déclarer qu’elle a envie de lui. Cette prise de contrôle par Deckard de la parole et du désir de Rachel est complètement « inappropriée » (pour parler politiquement correct) et serait même une violence à l’égard d’une personne humaine dont les actes et les paroles n’ont de valeur qu’à la condition d’être libres. Toutefois, combien d’entre nous resteraient insensibles à une telle possibilité d’emprise ? Qui n’a, au moins secrètement, désiré que son conjoint se conforme à telle ou telle attente, telle ou telle fantaisie (et je ne parle pas même pas de fantasmes) ? On pourrait même se demander combien de couples fonctionnent actuellement sur ce schéma de la soumission librement consentie ? Les religions n’ont-elles pas institué depuis des millénaires une domination de la femme par la volonté de l’homme, l’installant de fait dans ce statut de quasi-esclave que laisse entrevoir le répliquant ?
Ainsi, on pourrait penser que l’intérêt d’une robotique humanoïde pourrait être, au niveau des rapports amoureux, de procurer le sentiment de contrôle, de réussite et/ou de « puissance » dont les humains se privent mutuellement faute de savoir gérer intelligemment et pacifiquement la conflictualité de leurs désirs.
Sauf que, bien sûr, cela serait une complète fiction qui, en dépit de sa puissance onirique et érotique, ne sera jamais qu’une forme de masturbation sophistiquée.
Car un quasi-esclave, même bien « réglé », n’est pas une personne, c’est juste un esclave qui joue le rôle d’une personne et permet d’avoir un temps l’illusion de vivre avec. Si, de surcroît, ce sex-toy-humanoïde-de-compagnie, est apte à faire la cuisine et le ménage, le succès est garanti. Mais, d’un point de vue véritablement humain, cela sera un immense désastre, avec une solitude formidable que le progrès technologique viendra seulement adoucir en la rendant plus confortable.
Est-ce un hasard si les japonais, qui ont une vie sexuelle absolument épouvantable tant ils peinent à résoudre l’équation du couple, sont les plus investis dans le domaine de la robotique humanoïde, des relations hommes-machines et de la pornographie en réalité virtuelle ?
Quand on voit à quels constats il nous mène, on pourrait penser que, décidément, Blade Runner 2049 est vraiment un film sans âme. Sa seule vertu serait peut-être de nous avoir fait perdre nos illusions.
Toutefois, si nous faisons attention au bon côté des choses, notre conclusion pourrait aussi être que la femme restera à tout jamais l’avenir de l’homme, et réciproquement. La robotique sera à tout jamais un intrus, un artefact, un « fake. » Comment ne pas s’en réjouir ? Le transhumanisme, la singularité et toutes ces sortes de mélange des genres entre homme et machine peuvent aller se rhabiller !
Enfin, je voudrais quand même souligner le fait que l’impossibilité pour les robots humanoïdes d’égaler la parfaite adaptation du corps et de l’esprit humain aux rapports humains ne les rend pas inintéressants pour autant car comme suggéré au début, ils peuvent constituer d’excellents miroirs de l’humain susceptibles de nous éclairer sur nos propres fonctionnements. En effet, qu’ils soient évolués ou pas, ils permettent, d’ores et déjà, de tester nos modèles psychologiques. Pour le moment nous en sommes à un niveau très rudimentaire, infrahumain et même infra-vertébrés, mais, les progrès venant, les choses pourraient rapidement se complexifier. Bref, on peut penser que grâce à la robotique, la psychologie synthétique a de l’avenir.
Mais, me direz-vous qu’est-ce-que la psychologie synthétique ? Justement ce que je m’efforcerai de préciser dans un prochain article...
[2] Voir par exemple les fameux travaux sur l’automaticité de John Bargh que j’évoquais déjà dans cet article sur l’habitude.
[3] Notamment dans nos sociétés occidentales où le ressentiment victimaire s’affiche partout dans les médias et dans les esprits comme fondateur de la parole la plus légitime et la plus « écoutable » qui soit.
[4] L’auteur de « Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » dont le scénario des Blade Runner est inspiré.
[5] Hormis peut-être les dispositifs de réalité virtuelle qui ne sont pas soumis aux contraintes de la réalité tout court et peuvent se donner tous les moyens de tromper la sensorialité humaine.
[6] Ce faisant, je me distancie de la réflexion que j’avais déjà menée sur ce thème et qui m’avait laissé un sentiment d’inabouti.
[7] Même si je crois pour ma part qu’un lien existe, il se trouve en dehors du domaine de la science, il est donc inutile de s’y attarder pour le moment.
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