Blanquer : les limites du bon élève
Si Jean-Michel Blanquer a marqué le début du quinquennat par des réformes applaudies et parfois spectaculaires, sa politique devrait rencontrer de sérieuses difficultés.
Les réformes engagées par le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer offrent un terrain intéressant pour analyser la mise en œuvre de la « révolution » promise par l’actuel Président. Elles illustrent le logiciel intellectuel du macronisme qui semble impulser l’actuel projet de réforme de l’Etat : ciblage des moyens d’interventions sur le noyau de la difficulté, évolution de la gestion des ressources humaines, large appel à l’innovation, concessions emblématiques à l’aile conservatrice de la majorité électorale en faveur du retour à quelques antiennes, considérées comme des fondamentaux de ce qui aurait « marché » jadis. Elle l’est aussi parce qu’elle est conduite par un ministre qui cumule la réflexion intellectuelle personnelle, l’expérience du très haut fonctionnaire, et une habilité reconnue. Cela suffira-t-il à mener avec succès l’une des transformations ministérielles les plus ardues ?
L’arrivée de l’ancien DGESCO (directeur général de l’enseignement scolaire) en poste au temps de Nicolas Sarkozy n’avait pas manqué d’inquiéter le corps enseignant, dont le mal-être général et la sensibilité face à toute réforme – qu’elle soit conduite par la gauche ou la droite – suscitent instinctivement une crispation face aux ambitions affichées par un nouveau ministre. Certes, il a sacrifié à quelques attentes des conservateurs – retour sur les rythmes scolaires, retour des classes bilangues et les langues anciennes qui permettent de constituer des classes de niveau favorables aux élèves issus des milieux favorisés – mais il faut reconnaître que cet aspect reste secondaire. L’action ayant marqué les esprits reste le dédoublement des classes de CP dans les écoles élémentaires dites REP + (concentrant les élèves issus des milieux les plus défavorisés). Si le déploiement de cette mesure est encore en cours, les premiers retours des enseignants sont positifs. Elle est en fait emblématique d’une conception libérale des politiques publiques : redéployer une partie de l’effort à moyens constants, en faveur de la strate la plus défavorisée d’un public, au détriment des strates supérieures considérées comme indûment servies par une politique publique trop peu ciblée. La même logique préside actuellement à la réforme de la politique du logement social. Au passage, eu égard à l’effort considérable que demande la réduction des effectifs à 12 élèves (se contenter de réduire à 16 aurait d’ailleurs pu entraîner le même effet), il a fallu déshabiller Paul pour habiller Kevin, ce qui a nourri si besoin était la grogne des élus locaux sur le détricotage du service public de l’éducation dans les zones rurales. Prélever quelques effectifs sur les écoles rurales ne suffisant pas, les collèges des zones urbaines ont été également mis à contribution, notamment dans des territoires qui auraient mérité d’être épargnés, comme la Seine-Saint Denis. Par ailleurs, il a fallu sacrifier l’essentiel des emplois attribués par le gouvernement précédent au profit de ces écoles, dans le cadre de l’opération « Plus de maîtres que d’élèves ». Enfin, les limites de la géographie prioritaire de l’éducation font que trois quart des élèves de milieu défavorisé ne s’y trouvent pas.
Mais quand bien même l’opération présente des vertus, celles-ci ne sont pleinement exploitées qu’en s’appuyant sur une évolution des méthodes, ce qui remet la formation et la gestion des enseignants au premier plan.
L’innovation pédagogique et le recours aux apports de la science en matière d’apprentissages sont caractéristiques de l’approche de l’actuel ministre, même si ses convictions en matière de neurosciences suscitent quelques controverses. Logiquement, il tente d’innerver le monde enseignant de ces avancées en développant la formation continue et en rénovant la formation initiale, suivant en cela et comme sur bien d’autres sujets les préconisations de l’OCDE. Cette réforme de la formation, annoncée à la rentrée 2018, vise une plus grande individualisation, pour accueillir des profils plus divers – y compris des candidats ayant déjà eu une expérience professionnelle significative – ; elle devra également soutenir la préparation et l’orientation d’enseignants « à profil » sur des postes spécifiques (établissements difficiles, réseaux numériques, etc.).
Il demeure que le recrutement et la gestion des enseignants souffrent d’une carence congénitale : le métier n’est pas valorisé en France. Comparé à d’autres systèmes éducatifs de pays de l’OCDE, et en particulier ceux réputés pour leur performances (Singapour, Corée du Sud, Singapour…), nos enseignants font figure de déclassés. La faiblesse des rémunérations, conjuguée à la difficulté du métier dans les zones sensibles, entraîne non seulement un absentéisme avéré et une forte vacance des postes dans ces dernières, mais aussi une crise de recrutement dans certaines discipline (mathématiques, anglais) dont les diplômés trouvent ailleurs des offres d’emploi plus attractives.
Le ministre tente de modifier cette situation et il a obtenu des finances publiques un avantage substantiel pour les enseignants des écoles REP + (prime annuelle de 3000 euros s’ajoutant aux avantages liés à ces zones et déjà en place). Toutefois, cette augmentation de rémunération reste trop modeste pour provoquer une évolution systémique. Rejoindre le niveau de vie des enseignants des pays performants obligerait à accroître leur traitement de 50 à 100 %... tout en leur imposant des exigences assez novatrices pour leur culture professionnelle. C’est sans doute une transformation globale du métier, de ses attendus, de son statut et de son mode de fonctionnement qu’il faudrait envisager. Mais même le talent du chouchou des sondages d’opinion (toutes proportions gardées : ce gouvernement connaît actuellement quelques difficultés d’image) est confronté à la redoutable alliance objective qui menace toute réforme : une défiance radicale des agents face au saut dans l’inconnu, et un refus de Bercy de considérer l’investissement massif dans l’éducation comme une option raisonnable.
En attendant, Jean-Michel Blanquer pousse son avantage et vient de présenter un projet de loi « pour une école de la confiance ». Au-delà des modifications législatives, on jugera sur les résultats. Sur ce point, il reste beaucoup à faire. Une publication récente de l’OCDE, reste sévère pour notre pays : 24 % des élèves du quartile le plus défavorisé réussissent de manière satisfaisante aux tests Pisa, lorsque ce taux atteint de 40 à 55 % dans les systèmes les plus efficaces. Le ministre ne dit pas autre chose : les dernières évaluations nationales, dont il a commenté les résultats la semaine dernière, soulignaient les difficultés d’un élève de CE1 sur 2 en calcul mental.
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