Bonjour Détresse
On pourrait croire à des appels de détresse. Répétés, insistants, têtus, et pourtant considérés dans le Pays comme des événements mineurs. Des événements en tout cas auxquels nous sommes accoutumés, c’est comme ça, on n’y peut rien. De sondages en sondages se retrouve le même résultat, étonnant, aberrant, incompréhensible. Les Français, ce peuple figurant parmi les plus riches du monde, dépassés seulement par les pays à rente pétrolière ou bancaire, et dont les richesses sont les moins inégalement partagées, les Français sont les plus pessimistes de tous les peuples de la terre ! Ils broient du noir, un noir plus noir que celui qu’expriment tous les autres peuples, les riches comme les pauvres, les « développés » comme les « sous-développés » et les « émergents ».
Pourquoi ? Comment est-ce possible ?
Pour tenter d’élucider cet extraordinaire mystère, il peut être utile de chercher depuis quand ce sentiment pernicieux a commencé d’envahir nos esprits. Remontons vers une époque dont les traces médiatiques nous sont encore accessibles. L’entre-deux guerres. Pas de télé, peu de radio, pas d’internet, mais de nombreux journaux et magazines. Et puis les souvenirs évoqués par nos grands-parents, et quelques lettres de ce temps. Que nous disent toutes ces traces ?
On y décèle une foule de choses. Un fort sentiment patriotique mêlé au souvenir de la grande guerre, associé à la crainte de plus en plus prégnante au fil des années de voir le conflit reprendre avec sa multitude de morts. En même temps, une joie de vivre explosive liée sans doute à la fin de guerre, la première, et à la victoire. Les chansons sur deux registres, le mode social victimaire d’une Berthe Sylva et le mode joie de vivre d’un Maurice Chevalier puis d’un Charles Trenet. Et bien d’autres. On y retrouve les années folles de nos grands-parents, suivies bientôt des années de crise, elles-mêmes laissant la place aux années d’appréhension.
Cependant à aucun moment, sur aucun journal, aucun « 78 tours », n’apparaît cette idée de pessimisme morbide non lié aux évènements. On est apitoyé devant la misère, on est pessimiste pour la guerre à venir, mais à terme on attend des jours meilleurs. Le grand soir pour certains, la paix après la nouvelle « der des der », le progrès…
Nous ne disposons d’aucun sondage, le mot ne s’appliquait pas encore à l’opinion, mais il semble bien que la société française de l’époque ne déprimait pas comme la nôtre, alors que pourtant son niveau de vie était incroyablement plus bas et que la guerre menaçait.
Puis vint la guerre, la débâcle, l’occupation, la libération. Des bouleversements si forts que les Français se retrouvaient trop préoccupés à survivre pour ressentir des états d’âme, quels qu’ils fussent.
Avec le début de la IVème république on commence à percevoir quelques signes de désarroi. La France se réveille, mais elle se réveille face à la fois à la perte de son empire et à l’affaissement de sa puissance militaire réputée une décennie plus tôt comme la première du monde. On commence à broyer du noir, d’autant que le Pays souffre de gouvernements impuissants devant le règne des partis. La guerre d’Algérie apporte le drame final.
De Gaulle une fois de plus trouve les moyens d’une résurrection. Mais le ver de l’abattement était dans le fruit. Dès de Gaulle parti….
Alors le début de ce sentiment terrible, quand peut-on le dater ? Il ne se produit pas avant la guerre, il est hors de propos pendant la guerre, il commence donc après la libération. Une première cause, on l’a vue, réside dans le changement de rang du Pays, qui passe de grande puissance à puissance moyenne. Mais n’y en n’aurait-il pas une autre ?
Une autre qui, elle aussi, intervient en 1945. Le nazisme ayant déconsidéré pour longtemps tout ce qui ressemble, même de loin, aux idées de droite, le communisme et plus globalement le « gauchisme » envahissent totalement l’avant-scène politique et médiatique. La bien-pensance est à gauche, elle y restera longtemps. Toute l’Intelligentsia se sent obligée de penser à gauche, à l’exception remarquable de Raymond Aron qui dénonce le phénomène dans son « Opium des Intellectuels » publié en 1955. Le parti communiste obtient régulièrement plus d’un quart des suffrages, les autres formations apparaissent plus modérées mais aucune ne se revendique adepte d’une société libérale. Or que prônent tous ces drogués de « gauchisme » ? Beaucoup de choses, mais l’une d’entre elles sonne agréablement aux oreilles.
L’égalité, ce noble concept inscrit sur les frontons de nos mairies. Il rappelle la nuit du 4 août 1789 au cours de laquelle les représentants de la noblesse ont proclamé l’abandon des privilèges dont ils bénéficiaient. C’était la fin des droits féodaux tels que les droits de chasse, les juridictions spéciales, les droits seigneuriaux etc. Tous les « citoyens » devenaient égaux devant la loi, décision majeure, sans doute le plus bel apport de la Révolution.
Oui, noble concept, et heureuse décision. Le problème est que ce mot d’égalité fut si bien répandu, si hautement brandi, que tout un chacun imagine maintenant qu’il s’agit, non plus d’une égalité de droit, mais d’une égalité de fait. Et bien entendu les partis de gauche laissent planer le doute. Ainsi, progressivement, les Français se sont-ils laissés persuader que l’égalité de revenu est un objectif presque raisonnable. Le résultat inéluctable, comme on trouve toujours un personnage plus riche que soi, c’est que le Pays foisonne de gens envieux, jaloux, qui se sentent injustement défavorisés par la société. Et si le personnage plus riche est de plus un patron, alors là le sentiment d’injustice ne connaît plus de borne.
C’est ainsi que ce mot d’égalité, ce beau symbole, est devenu en France un mythe empoisonné. Nombre de Français, citoyens de ce Pays prospère le plus égalitaire du monde, sont rongés par l’espérance toujours déçue d’une égalité inatteignable.
En même temps, cette seconde moitié du 20ème siècle voit s’opérer à grande vitesse une incroyable déchristianisation de la société, dont une conséquence est peut-être la substitution de l’esprit envieux à l’esprit d’amour.
Sentiment de déclassement, sentiment d’injustice, envie, comment ne pas voir l’avenir en noir ? Cette maladie ne pourra trouver sa guérison qu’avec beaucoup de temps et beaucoup de pédagogie. Ou avec l’élection d’un Président affirmant sans complexe que l’opium des intellectuels, c’est fini, que les inégalités sont bénéfiques pour diffuser les richesses, et que l’égalité est un leurre ? Alors attendez le 22e siècle…
11 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON