Bouleversements géopolitiques au Moyen orient
Encore une guerre bat son plein au Moyen-Orient. Israël, qui a été attaqué par l'organisation terroriste Hamas aux premières heures de samedi 7 octobre, déploie son plan militaire pour riposter. Le nombre de morts et de blessés ne cesse d'augmenter et il n'y a pratiquement aucune perspective de solution au problème palestinien. Bien sûr, le nouveau cycle de violence fait peur et crée de l’instabilité. Il pose également de nombreuses questions pour le lendemain. Même si la guerre continue, quelques premières observations peuvent déjà être faites. Avec ce qui se passe, après l'attaque du Hamas et la réponse de Tel-Aviv, les divers processus de négociations ont été bouleversés. Il est clair qu’après les derniers événements, de nouvelles données se forment, tout comme les violents bouleversements géopolitiques survenus provoquent des turbulences. D’abord, les efforts visant à normaliser les relations de Tel-Aviv avec les pays arabes ne peuvent évidemment pas aboutir dans ce contexte. Cette semaine, Israël et l'Arabie saoudite devaient signer un accord. L'attaque du Hamas a jeté le discrédit sur un tel accord, du moins pour le moment et pendant un certain temps. Cela est également vrai avec d’autres pays. Et l'Egypte a envoyé des messages - en plein conflit - à Netanyahu, dont il doit tenir compte.
Voyons d'après les dernières informations dont nous disposons les diférents enjeux politiques et géopolitiques générés par cette guerre.
1. L'énergie au centre des préoccupations
Du moins en ce qui concerne Israël, la question de l’énergie n’est pas hors de propos. Il en va de même pour l’Égypte. Cependant, ce que l’on peut dire, c’est qu’il est trop tôt pour que quiconque puisse savoir avec certitude comment le paysage politique et géopolitique évoluera. Et la question de la durée de la guerre se pose également. Dans le même temps, il est évident que la question de la coopération énergétique peut attendre, mais pas longtemps. Après tout, la crise énergétique exige de trouver des solutions. Bruxelles, après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, avait demandé l'accélération de la recherche, de l'identification et de l'utilisation des hydrocarbures, notamment en Méditerranée orientale[1].
La situation demeure instable mais Israël doit chercher des solutions pour l’exploitation de ses ressources énergétiques. Assistera-t-on à la revitalisation de la possibilité de construction d'installations de liquéfaction de gaz à Chypre, comme cela avait été évoqué lors de la visite de Netanyahu sur l'île (tripartite Grèce, Chypre, Israël, le 4 septembre 2023) ? Et l’option non rentable - mais stratégique - du gazoduc EastMed reviendra-t-elle ? Il convient de rappeler à cet égard que lors de la récente réunion tripartite de la Grèce, de la République de Chypre et d'Israël à Nicosie, l'interconnexion énergétique avec l'Arabie saoudite a été discutée, tandis que l'Inde a également été incluse dans le projet global, mais pour une date ultérieure.
La question avec l’Arabie Saoudite est actuellement gelée, tandis que l’exportation de gaz naturel d’Israël et de la Méditerranée orientale en général vers l’Europe, se posera très certainement rapidement et en tenant compte de nouvelles données générées par la guerre. L’Égypte souhaite clairement participer à cette équation et Chypre y est clairement favorable.
2. L'expansionnisme turc
La Turquie veut également jouer un rôle, et même un rôle important, dans ce qui se passe dans la région. Il est cependant clair qu’au moins à ce stade, le vieux scénario, qui revient de temps en temps, du transport du gaz israélien via des gazoducs à travers la Turquie vers l’Europe ne peut être discuté. Ce scénario ne fonctionne pas. Les discussions entre Ankara et Tel-Aviv reprenaient à peine avant l’attaque du Hamas et ni Chypre, ni le Liban n’y consentiront. Il convient de noter que jusqu'au samedi 7 octobre, les Israéliens maintenaient ce scénario, malgré les réactions de Nicosie.
D’autre part, le président turc Recep Tayyip Erdogan tente de profiter de ce qui se passe au Moyen-Orient pour commencer à normaliser les relations de son pays avec les États arabes. Cela ressort de ses premières déclarations après le début de la guerre et son attaque rhétorique contre les États-Unis rentre dans ce cadre. Cela montre néanmoins qu'Erdogan veut se démarquer de l'Occident alors qu'il se prépare au rôle de « père des musulmans » et de leader dans la région au sens large. Du Moyen-Orient aux États turcophones du Caucase.
Je ne résiste pas à l’envie de citer des extraits d’un texte lu sur AGORAVOX et signé Carlo Gallo[2]. Ce texte montre que la position d’équilibriste du président turc est de plus en plus précaire et qu’il a la mémoire courte ou sélective. Enfin, les envolées antisémites du néo-sultan sont connues de tous et il n’est pas nécessaire d’y revenir. Avec le titre : « ‘Jérusalem est notre ville’, déclare le président turc Erdoğan », l’auteur nous dit :
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a laissé entendre le 2 octobre de cette année que Jérusalem appartenait à la Turquie, en référence au fait que la ville avait été sous le contrôle de l’Empire ottoman pendant une grande partie de l’ère moderne[3]. « Dans cette ville que nous avons dû quitter en larmes pendant la Première Guerre mondiale, il est encore possible de croiser des traces de la résistance ottomane. Donc Jérusalem est notre ville, une ville qui vient de nous », a-t-il déclaré devant les députés turcs lors d’un important discours politique à Ankara. « Notre première qibla [direction de la prière en Islam] al-Aqsa et le Dôme du Rocher à Jérusalem sont les mosquées symboliques de notre foi. De plus, cette ville abrite les lieux saints du christianisme et du judaïsme. » Le président turc a la vue qui baisse ou du moins sélective. S’il jetait un coup d’œil sur le territoire turc actuel, il verrait-il les cathédrales dont Sainte-Sophie, les monuments grecs et romains, arméniens et kurdes, syriaques et arabes…la liste est longue… Cela lui viendrait-il à l’esprit qu’ils ne sont pas ottomans ces monuments ou les a-t-il baptisés ottomans et turcs ? Ou encore mieux, ces monuments étaient-ils inspirés par les turcs d’Asie avant qu’ils ne déferlent sur l’Europe et le Moyen orient ? Rien ne m’étonnerait venant de ce personnage dangéreux pour son peuple et pour le monde. De même, avec son subalterne de l’Azerbaïdjan Ilhan Aliyev, il tente de prouver que le Nakhitchevan naguère et le Haut-Karabakh aujourd’hui ont toujours été azéris malgré la présence millénaire des Arméniens dans ces lieux, comme dans une grande partie du territoire turc actuel. Mais, comme en Turquie et au Nakhitchevan il y a quelques années, le même sort attend le Haut-Karabakh dans les toutes prochaines années : après le nettoyage ethnique viendra aussi le nettoyage culturel et l’effacement de toute trace d’arménité dans cette région. Le tout dans l’indifférence totale (complice ?) d’un Occident qui préfère le gaz azéri aux principes. Mais qui dans ce bas monde se soucie encore de principes ? (…) Le néo-sultan turc rêve de reconstituer l’Empire ottoman et se rêve en khalife du monde sunnite… Enfin, et pour revenir à l’actualité explosive du Moyen orient, quelles que soient les convictions politiques de chacun, comment peut-on trouver des justifications aux viols, aux décapitations d’enfants et de vieillards, au nom d’un combat ? |
3. Les grands perdants, la population civile et le passage au second plan de l’Ukraine
Dans l’évolution de la situation au Moyen-Orient, il y a des gagnants et des perdants. Les grands perdants sont évidemment les populations civiles - Palestiniens et Israéliens. En même temps, il est évident que, plus largement, les évolutions au Moyen-Orient, concernant les acteurs internationaux, mettent la question ukrainienne au second plan. Cela facilite la tâche de Moscou...
4. La surprise d'Israël
Il est surprenant qu’un pays comme Israël puisse subir une telle attaque de la part du Hamas. Qu’il y ait eu ou non certains avertissements, le résultat montre que la partie israélienne a été prise par surprise par la frappe synchronisée. Les terroristes ont réussi à infiltrer Israël d’une manière différente que par le passé, en prenant le contrôle des camps et en kidnappant des soldats et des civils. En outre, les tirs de roquettes depuis la bande de Gaza vers Israël semblent avoir été effectués en masse avec différents lanceurs, de sorte que la possibilité de les abattre par la défense aérienne israélienne n'est pas totale.
5. Les objectifs d’Israël
Personne ne peut savoir exactement comment Israël réagira militairement à l’attaque qu’il a subie. Il semble cependant que son objectif soit de démanteler toutes les structures du Hamas, en allant plus loin que lors les opérations précédentes à Gaza. Mais, l’expérience passée montre que lorsqu’une opération militaire israélienne progresse, la pression internationale en faveur d’un cessez-le-feu augmente. Dans l’état actuel des choses, et compte tenu de ce qui s’est passé le samedi 7 octobre, Israël ne sera guère intéressé par une trêve avant d’écraser le Hamas. Bien entendu, le débat est compliqué par les citoyens israéliens kidnappés par l’organisation terroriste. Au-delà de cette question grave, qui touche émotionnellement la société israélienne et l’opinion publique mondiale, Israël semble déterminé à aller jusqu’au bout.
6. Le risque
Beaucoup parlent du « 11 septembre » israélien. Le parallèle semble logique, car il existe certaines similitudes dans les attaques organisées respectivement par al-Qaïda et le Hamas. La question est de savoir si Israël réagira de la même manière que l’Amérique a réagi en 2001 et 2003. Mais si l’Amérique a gagné militairement en Afghanistan et en Irak, elle n’a pas réussi à traduire ses victoires militaires en succès politiques. Une éventuelle opération terrestre israélienne à Gaza pourrait durer longtemps et faire de nombreuses victimes en raison de la guérilla attendue. La puissance des forces armées israéliennes est incontestable. Cependant, cela ne garantit pas la victoire politique d’Israël. Nous ne devons pas oublier que des gens ordinaires et leurs familles vivent également à Gaza…
7. Le problème Palestinien
Le problème palestinien est l’une des plus grandes épines dans les relations internationales. De nombreuses occasions de résoudre ce problème ont été manquées dans le passé. Pour cette raison, même avant les attaques terroristes du Hamas, cette question était pratiquement hors de l’agenda international. Beaucoup parlent encore d’une solution à deux États, mais cela parait de plus en plus compromis. Il faut donc avoir une discussion significative sur ce que sera le lendemain, une fois la guerre terminée. Sans une solution palestinienne, il n’y aura ni paix ni stabilité au Moyen-Orient. Même si le Hamas est complètement dissous, le problème palestinien continuera à être une des sources des problèmes dans la région. Tant qu'un équilibre ne sera pas atteint entre la sécurité d'Israël et la vie digne des Palestiniens, les cycles de violence recommenceront.
8. Le rôle des États-Unis
Pour les États-Unis, la nouvelle guerre au Moyen-Orient constitue un problème majeur. D’une part, le soutien à Israël est considéré comme acquis pour des raisons historiques et politiques. Mais d’un autre côté, ils augmentent le nombre de fronts de guerre dans lesquels l’Amérique est impliquée. Outre l’Ukraine, ce pays est désormais appelé à apporter son aide pour qu’Israël puisse réussir son opération militaire. Les États-Unis doivent donc se réengager au Moyen-Orient à un moment où ils ont décidé de se concentrer davantage sur les océans Indien et Pacifique, ainsi que sur l’Ukraine. Le pari pour le pays est de parvenir à combiner les différentes priorités.
9. La voix de la Chine
L’un des aspects les plus intéressants de la crise en cours et qui n’a pas été beaucoup discuté dans la sphère publique concerne le rôle de la Chine. Selon le Financial Times, les sénateurs américains qui ont rencontré le président Xi Jinping à Pékin cette semaine lui ont demandé de jouer un rôle. La Chine a signé un accord de coopération à long terme avec l'Iran, pays proche du Hamas et du Hezbollah. En outre, le président syrien Bachar al-Assad s'est récemment rendu dans la capitale chinoise. Tout cela montre à quel point le monde évolue mais aussi à quel point les responsabilités de la Chine augmentent à mesure que le pays se renforce. Rappelons que sur le front ukrainien, l'Union européenne a publiquement demandé au président Xi Jinping d'exercer une influence sur son homologue russe, Vladimir Poutine…
[1] https://www.philenews.com/politiki/article/1396080/geopolitikes-anatropes-me-tin-kipro-stin-exisosi/
[3] The Times of Israël , daté du 02 octobre 2023 : https://fr.timesofisrael.com/jerusalem-est-notre-ville-declare-le-president-turc-erdogan/
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