Bouygues Telecom : la quenelle de la discorde
Le gros de la quenelle est passé. Quels enseignements peut-on tirer de l'épisode Dieudo-Soral ? Quelle substantifique moelle en extraire ? Un paradoxe déjà. Alors que l'humoriste s'est évertué à prétendre que la liberté d'expression était bafouée, le débat public a livré la preuve du contraire. Tout le monde y a été de son petit commentaire dans les médias, sur les réseaux sociaux, chez le coiffeur, au PMU du coin. Sans entrave. Un symbole aussi, cette "quenelle" dont le sens profond semble être à géométrie variable, simple geste subversif ou évocation du salut nazi, selon qu'on se trouve dans le camp des pro-Dieudonné ou des antis.
L'affaire Dieudo-Soral s'est peu à peu muée en affaire Dieudo-Valls, le second ayant fait interdire le spectacle du premier, le premier se déchainant sur le second à longueur de vidéos YouTube. Tout y passe, du grand-père sulfureux du Premier ministre, s'étant enrichi dans le commerce colonial de l'or en Sierra Leone, à son passé pro-Palestinien, Valls militant en effet au début des années 2000 pour la création d'un état palestinien. Ces chicanes se solderont par avocats interposés, n'en doutons pas, et n'intéresseront plus très bientôt que la justice.
Mais si quelque chose devait rester de tout ce barnum médiatique, ce serait sans doute moins une phrase, une idée ou un mot qu'un geste. Un simple geste dont l'ampleur, de l'aveu même du principal intéressé, le dépasse : "Ce concept, cette formule magique ne m'appartient plus (...) Soyez subversif, désobéissez, faites chier ce système de merde !". Bref, la quenelle est devenue un symbole fourre-tout, dans lequel chacun est libre de placer ses grieffs personnels.
A quoi pensait donc ce jeune employé d'une boutique Bouygues Telecom, lorsqu'il a été immortalisé esquissant une quenelle en compagnie de collègues pour une plaquette officielle ? Manifestait-il sa haine du peuple juif, son soutien à Dieudonné, sa contrariété d'avoir mangé un sandwich avarié à midi ? Ou, plus probablement, s'agissait-il d'un geste de protestation contre la décision récente de la direction du groupe de se séparer de 2 000 collaborateurs ?
Bouygues a en effet annoncé vouloir s'adonner à un dégraissage massif de personnel après que le choix de Vivendi se soit porté sur l'offre de Numericable pour le rachat de SFR. De quoi crier au scandale quand on sait que Bouygues se portait très bien il y a encore quelques semaines, avant son annonce in extremis de vouloir lui-aussi prétendre au rachat de SFR. Ou comment le ratage d'une opération qui n'était, semble-t-il, à l'origine même pas prévue se transforme soudain en "catastrophe". Ironie du sort, la photo se trouvait, avant d'être retirée, sur le site dédié au recrutement de l'opérateur...
Bref, dans ce cas de figure précis, la quenelle prend davantage la forme d'un engagement social que politique. Le geste possède aussi des allures de défi. Défi réussi, puisque notre jeune homme est parvenu à duper le photographe, le maquettiste, le webmaster, le dircom et tout un tas d'autres intermédiaires avant mise en ligne de la photo. Ou bien ces "intermédiaires" seraient-ils eux-aussi de mèche, exaspérés par l'annonce du plan de licenciement de Bouygues et son hyporcrise sous-jacente ?
Quoi qu'il en soit, ce geste, dans ce contexte, c'est à dire bien après que l'affaire Dieudonné soit retombée, peut difficilement être interprété comme un soutien à l'humoriste, mais doit sans doute davantage être perçu comme une façon de "faire la nique" aux dirigeants de Bouygues. Il y a fort à parier qu'on le rencontre de nouveau, au détour d'une photo a priori innocente, dans les mois et années à venir.
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