C’est arrivé pas très loin de chez moi
Cela devait bien m’arriver un jour.
Le retour de Karma. Paf dans la gueule, comme un boomerang ayant mis quelques années à retrouver son lanceur, lanceur qui en aurait presque oublié son geste initial, perdu dans des années de massacre consciencieux et à la tronçonneuse de ce qui lui restait d’humanité.

A l’instar d’un héros américain pour qui rien n’arrive jamais par hasard, je comprends soudain devant ma voiture latéralement ébréchée ce que justice divine veut dire pour peu qu’il existât un Dieu que le sort d’un homme aussi pathétique que ma pomme puisse intéresser. Mon estime de moi est bizarrement parti au caniveau des sentiments positifs, mon égo jeté aux égouts parmi les quelques morceaux de verre qui n’ont su rester en équilibre autour de cette béance autorisant l’accès à tout un chacun dans l’intimité de mon carrosse, carrosse dont je pensais avoir la jouissance exclusive et solitaire, même si je n’ai jamais rechigné à véhiculer quelques autostoppeuses en détresse ostentatoire. Je ne parle pas des cartons de pizza vides qui font de très mauvais compagnon de voyage. Etre perturbé à ce point par un bris de glace me renvoie de facto à ma condition d’être humain – si basiquement humain –, pathétiquement attaché aux biens matériels qu’il a durement accumulés et plus que souvent convoités.
Etrange sensation que celle de se faire cambrioler sa caisse à la griffe tigrée – moi une telle démonstration de puissance, ça m’aurait flanqué une frousse de tous les diables. Non pas que le porte-clefs offert par ma fille et la représentant arborant la mine des jours de ciel bleu va me manquer plus que ca, c'est plus l'idée que quelqu’un va le jeter à la poubelle en se rendant compte de l'absurdité de son larcin qui me questionne. De même pour "Rape of the Earth" de Patrick Rondat, la valeur sentimentale de ce CD n'atteindra certes jamais celle du porte-clefs sus cité mais je doute que le contrevenant, probablement à l’heure qu’il est en fuite lente car non contrainte, puisse le convertir d'une quelconque manière en espèces sonnantes et pourquoi pas trébuchantes, seule ma petite personne ayant la connaissance des plages non rayées et encore audibles, pour peu que ce terme s'applique à une galette instrumentale des années ‘90.
Mais laissons-là ces quelques menues pertes pour un effort de mémoire aussi utile et nécessaire qu’un Sudoku un jour de TGV.
Ça avait pourtant bien débuté. L’idée que lorsque l’on est bloqué dans le trafic, ce n’est pas un bouchon qui vous congestionne mais une « file », dans le jargon local, me faisait presque passer ce moment statique de manière agréable. Je n’atteignais pas encore mon but pourtant peu éloigné géographiquement, cependant, j’étais d’humeur vagabonde, je voyais la vie en rose – en flamand rose même –, j’avais le myocarde de plume.
Las, cela n’a point duré.
C’est un week-end où j’ai finalement manqué de chance. J’étais venu paré de l’esprit conquérant de l’écrivain se croyant en terrain vierge de ma plume mais qui ne demandait qu’à être noirci, cependant que je n’avais pas flairé le danger qui rôdait – car le danger est du genre rôdeur, qu’on se le dise, il est partout, tapi dans l’ombre et n’attend que la première occasion pour frapper, il faut croire que, ce week-end, j’avais enfilé ma tronche de victime.
J’aurais dû me méfier lorsqu’une bonne âme, devant mon empressement à me repaître de moules et de frites de qualité – je ne me sentais pas de réclamer des mollusques de la veille –, m’indiqua un bistrot nécessitant un bon tiers de tour de cadran et quelques kilomètres de bitumes à moyennement amuser. Lorsqu’une fois arrivé, la tenancière m’indiqua qu’elle était en rupture de moules, j’aurais dû comprendre que la mienne allait me manquer. Je me rabattais sur un américain – équivalent belge (ou barbare, c’est selon) d’un triple tartare, le champ entier de laitues en prime –, et peinais à en engloutir le quart lorsque la fatigue se rappela à mon corps quasi quarantenaire. Il était temps de m’enfoncer dans un sommeil qui ne verrait d’autres câlins que celui de mon oreiller trop moelleux et pas assez féminin (d’ailleurs on dit « un » coussin).
Lorsque je me réveillai, écarter les brumes de l’oubli pour me remémorer l’emplacement où j’avais stationné mon véhicule ne fut pas exercice facile et c’est presque joyeux, car victorieux dans ce combat livré à ma mémoire, que j’attaquai la poignée du coffre afin d’y loger les seuls effets personnels que j’avais cru bon d’apporter en mon logis d’une nuit.
C’est la vision d’une ville après le passage d’un ouragan que tentait d’imiter l’intérieur de l’habitacle qui me fit prendre conscience subitement de l’irruption d’une certaine forme de lose avérée dans cette fin de semaine bruxelloise.
Soyons francs. Ma voiture n'a pas de chance tout de même. A peine remise de sa perte de l'oreille gauche au miroir informatif, la voici perdant son déflecteur passager sur un coup de tête (ou de poing plus probablement) d'un cambrioleur en mal d'inspiration. Je suis sûr qu'elle m’en veut d’ailleurs (« pourquoi ne m’a-t-il point stationné au parking de l'hôtel ? » ; « N'aurait il pas pu demander à cette prostituée tapinant aux alentours de me surveiller ? »).
C’est en arrivant à la foire du livre et en essayant d’écouler mes exemplaires restant (les cambrioleurs avaient préféré voler des livres appartenant à mon éditrice, mais pondu par d’autres auteurs vénérables) que j’ai définitivement acquis la certitude de la disparition temporaire de mon ange gardien. A l’instar du nuage toxique de Tchernobyl, son influence se sera arrêtée à la frontière française.
Heureusement, quelques collègues sympathiques – petit coucou à Grégoire Delacourt, Amédée Mallock, Eric Neyrinck, Pascal Marmet, Elisabeth Laffont, à mon éditrice Cécile et tant d’autres – m’enduisirent quelque baume aux environs du myocarde, sans quoi je frôlais l’allergie belge, équivalent moral de la turista mexicaine.
Le désastre ne se révéla donc pas total, même s’il en demeura mollement inconvenant (pub).
Le reste ne fut que balade dans les couloirs de la foire au livre, pour constater la popularité d’une Pancol ou Nothomb, la désertion de certains stands pourtant appétissants et surtout pour voir que la crise est européenne, voire mondiale, avant d’être française (ce qu’on peut être chauvin tout de même – même pas besoin d’aimer regarder les JO pour ça).
Lors de quelques tentatives maladroites d’aborder le chaland, j’essuyai un certain nombre de refus polis, ce qui ne semble pas illogique compte tenu du fait que je venais de réparer mon véhicule avec les moyens du bord : je panse donc j’essuie.
Peu de ventes sur ce salon par conséquent, mais quelques belles rencontres et une furieuse envie de m’en retourner.
C’est donc cheveux au vent et corps au frais, allégé d’une caisse de livres, d’une photo de ma fille, d’une paire de lunettes décathlon (5 euros), de quelques CDs rayés et d’une protection vitrée, que je rentrais chez moi, avec l’idée exotique que finalement, on n’est pas si mal chez soi.
Etait-il besoin de faire 600 kms aller retour pour cela ? Probablement pas.
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