C’est le social qu’on assassine !
Le social n’a plus le vent en poupe. Le terme est désuet, pour ne pas dire ringard, et l’on préfère, à chaque fois qu’il est possible traiter le social sous l’angle de l’économie (exemple : le RSA) ou du développement durable. Ce nouveau concept est l’un des fossoyeurs du social traditionnel. Le développement durable repose sur trois piliers : écologie, économique et social. Ces trois domaines ont des intersections et des liens, sauf que l’on veut nous faire croire que le social dépend du développement durable selon un lien de subordination.

Nous sommes en des temps où le social a non seulement perdu ses lettres de noblesse mais se voit reléguer à chaque fois que c’est possible.
L’approche économique du Revenu de solidarité active le montre bien
Il ne s’agit plus de solidarité, mais de "solidarité active". Cela n’a plus le même sens : ce n’est pas du social, c’est de l’économique puisque l’on parle d’activité et, en priorité, d’activité sous forme d’emploi. Quoi de plus étonnant que le principe de financement sur la base de la solidarité nationale ait été écarté (exemption de la part des bénéficiaires du bouclier fiscal qui disposent de très hauts revenus) ? Cela est dans la logique du gouvernement dont l’approche économique de l’aide apportée prend le pas sur l’approche traditionnelle de l’aide sociale. Allons plus loin et disons-le : l’Etat gère le pays comme une entreprise et définit les mesures en fonction des besoins des entreprises avant tout. L’aspect social est purement ignoré. Si l’on fait du social, ce sera du traitement social, rien de plus.
Avec le développement durable, les choses se font plus perverses
C’est avec les meilleures intentions du monde et dans le quasi-consensus que l’on fait passer les actions sociales sous l’étiquette de "développement durable". Familièrement appelé DD : Dédé ! L’emballage est plus séduisant et l’on peut faire voter plus facilement les crédits que s’il s’agissait de verser dans ce puits sans fonds qu’est l’aide sociale avec les vieux clichés qu’elle traîne et son côté impopulaire à droite. Plus motivante est l’action menée dans le cadre du développement durable, puisque l’on se flatte de propager des valeurs nobles telles que la protection de l’environnement, le commerce équitable, le bien-être des personnes âgées ou des personnes handicapées. De plus, on ne saurait plus vous soupçonner de faire du clientélisme de gauche.
Bien sûr, les réalisations menées sont utiles et englobent le développement humain, ce qui est plus large et plus ambitieux que le simple traitement de l’urgence sociale. On retrouve les volets connus des politiques sociales. Volet insertion : on assiste par exemple à l’essor des jardins biologiques : c’est du DD ! La politique du logement découvre les bienfaits des normes environnementales. Les assistantes sociales vont pouvoir continuer à conseiller les familles dans la gestion de leur budget, mais sur la base de la notion, ô combien plus planétaire, du respect de la nature par la réduction de la consommation d’énergie. Les travailleurs handicapés en établissements protégés vont entretenir les mêmes espaces verts qu’avant, mais en intégrant les nouvelles normes écologiques. Les maisons de retraite sont appelées à économiser, mais c’est pour la bonne cause, toujours la même, la seule, la pensée unique : le développement durable ! On parle de "transversalité, de "faire sens", de "plus-value", de "dispositif pérenne", d’"observatoire", d’évaluation, de "diagnostic partagé"...
Verbiage, langue de bois, conceptualisation à l’extrême, le DD est prétexte à tous les excès, jusqu’à faire oublier l’humain que le social aidait aussi bien avant, et même parfois mieux, puisque l’on ne se grisait pas de tous ces concepts enivrants :
Voir cet exemple édifiant d’un handicapé qui, ne pouvant accéder à un autobus, tombe de son fauteuil : la scène a été diffusée sur Dailymotion.
[Légende : Un homme, handicapé en fauteuil roulant électrique, essaye de monter dans un bus, rue de Siam, à Brest, à partir d’une rampe d’accès. Il s’élance, monte, peine, insiste. Le fauteuil se retourne et se renverse. C’est la chute. Ordre avait été donné aux chauffeurs, par la régie des autobus, de ne pas abaisser le véhicule pour les handicapés. Résultat : une pente de 30 degrés !]
Ce qui tue le social, c’est son oubli au profit du seul impératif utilitaire, c’est aussi tout le verbiage pompeux de tous ceux qui s’improvisent experts du développement durable.
Pour finir, ce qui tuera le social à coup sûr, c’est la détérioration programmée du fameux "lien social"
La France, perçue comme une vaste entreprise, est quadrillée par des politiques axées sur la seule utilité économique des individus. La seule relation au monde du travail est valorisée au détriment de toutes autres formes de lien social. Exit la police de proximité (qui n’était pas sans défauts), le tissu associatif, les relations culturelles, le service public, la solidarité ! Tout ce qui est vivant doit être consacré à un seul but : le développement du travail pour le plus grand bénéfice d’une minorité. Cette minorité est choyée. Que survienne une crise, le gouvernement n’en a cure si elle ne frappe pas de plein fouet la caste des privilégiés qu’il représente. Crise du logement ? Crise de l’emploi ? Crise du pouvoir d’achat ? Crise de l’Europe ? Le gouvernement réagit mollement. Très mollement même. Mais que survienne la crise des boursicoteurs et des spéculateurs et, vite, il vole à leur secours, réunit des sommets, mobilise des sommes d’argent considérables.
Et nous en sommes là : il n’y a plus de social. Les travailleurs sociaux craquent parce qu’ils perdent le sens de leur action, les gens prennent de plus en plus peur. Alors que fait-on ? C’est très simple et c’est stupide de n’y avoir pas pensé plus tôt : on a recours à la religion ! La laïcité positive, voilà le remède à tout ! On a détruit le social, bouffé le budget de l’Etat et même la dette des futures générations. Mais soyez rassurés, le gouvernement agit avec le Vatican et les autres cultes pour ranimer l’idée de Dieu dans notre société, répandre la foi dans les cœurs souffrants. Fini le social, cherchons notre salut ! Comme disait Rimbaud, "Il faut être absolument modernes" !
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