C’est loin l’Amérique ? (2)
Souvent, ce qui se passe aux États-Unis d’Amérique (ÉUA) arrive quelque temps plus tard en Europe. D’où la question : Faut-il s’attendre à des résultats semblables à ceux de l’élection présidentielle étasunienne, lors des consultations importantes qui vont avoir lieu dans les mois qui viennent : référendum en décembre en Italie, élections au printemps en France et aux Pays-Bas, en septembre en Allemagne.
En réalité, cette fois, c’est plutôt dans les pays européens que les choses ont commencé.
La tornade libérale qui a envahi le monde est partie du Royaume-Uni sous l’impulsion de Margaret Thatcher suivie aux ÉUA de Ronald Reagan avant de se répandre dans les autres pays.
C’est la même antériorité du Royaume-Uni que Donald Trump a reconnue en promettant de faire de l’élection présidentielle aux ÉUA un Brexit puissance trois ! Promesse tenue !
Mais au Royaume-Uni, la dynamique est partie en dehors des deux grands partis de gouvernement qui en ont été ébranlés.
Un rejet des gouvernements des États et de l’UE parcourt toute l’Europe. Ce rejet a, jusqu’ici, été maîtrisé par des astuces juridiques, des immixtions politiques, des pressions financières. De véritables dénis de démocratie. Ce qui entraîne la formation et la croissance de mouvements et de partis qui s’attaquent de plus en plus, au-delà des gouvernements, à des principes démocratiques que l’on croyait définitivement installés.
Les premières atteintes à la démocratie, dans son esprit, sont venues des gouvernements dans la construction de l’UE. Ils ont contesté le résultat des référendums dans plusieurs pays.
Les peuples ont ainsi appris qu’il y avait une seule réponse possible lors des référendums. Si la réponse n’était pas satisfaisante pour ceux qui la posaient, un second référendum était organisé. Ou le peuple était déchargé de sa responsabilité, trop grande pour lui, en faveur de ses représentants qu’il avait désavoués.
Dans ces occasions, comme lors des résultats du référendum sur le Brexit ou lors de l’élection présidentielle aux États-Unis, l’énorme majorité des compétents sont stupéfaits de voir que les peuples peuvent avoir un avis autonome. D’où un mépris affiché avant, pendant et après la consultation : le peuple n’a rien compris. Seule autocritique possible, les compétents n’avaient pas suffisamment expliqué les bienfaits qu’il fallait attendre des solutions proposées. Malgré la quasi-unanimité des médias.
Leur intelligence était dés lors toute mobilisée pour voir comment contourner cette volonté populaire aberrante.
Un pas de plus vient d’être franchi. L'Accord économique et commercial global (AEGC) ou Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada, signé le 30 octobre par les 28 gouvernements européens et le gouvernement canadien, sera appliqué, provisoirement, avant que les parlements ne l’aient adopté. Quelle pudeur, provisoirement !
Même les parlements vont être court-circuités ! Que se passera-t-il si un ou plusieurs pays de l’UE refusent de l’entériner quand il sera en application depuis une ou plusieurs années…
Que va devenir l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE, mis, provisoirement, au réfrigérateur mais non annulé, depuis son rejet par référendum aux Pays-Bas ?
Pendant ce temps, du fait de la politique suivie, la faille entre les riches et les pauvres ne cesse de grandir, y compris dans les pays dits exemplaires qui ont inventé les jobs, ein euro ou les zero contracts !
Inutile de revenir sur les péripéties de la politique sociale et économique imposée au peuple grec et à son gouvernement légal, malgré élection et référendum… Politique imposée par Wolfgang Schäuble avec le soutien des autres États et de la troïka ; ou sur la résistance du gouvernement de Matteo Renzi face à la Commission européenne (CE).
Certains en viennent à remettre en question la pratique du référendum comme Nicolas Sarkozy qui n’a pas provoqué un nouveau référendum pour le texte modifié du projet de Constitution européenne mais l’a fait adopter par le parlement dont l’immense majorité approuvait le texte avant sa modification. Succès assuré. Il n’a pas respecté le peuple souverain.
Par contre, le même Nicolas Sarkozy est plein de respect pour le peuple souverain qui vient d’élire Donald Trump parce qu’il espère gagner avec des méthodes proches, promettant tout et son contraire suivant les circonstances.
Il aurait pourtant du se rendre à l‘évidence : il est plus facile d’analyser collectivement un texte aussi complexe soit-il que de savoir ce qui se passe dans la tête d’un président nouvellement élu.
Beaucoup se posent aujourd’hui la question à propos de Ronald Trump dont les propos de campagne n’ont pas toujours respecté les canons de la logique. Mais qui avait prévu, adversaire ou partisan, ce que ferait François Hollande de sa présidence ?
Ne serait-il pas plus judicieux que tous les démocrates se posent la question de la mise en place d’une assemblée nationale constituante par élection de ses membres ou tirage au sort ? Pour remplacer la constitution de la Vième République qui a instauré une présidence pratiquement sans contre pouvoir et dont on peut constater les inconvénients.
Donald Trump n’est pas le premier à gagner une élection grâce à sa fortune personnelle. Silvio Berlusconi l’a précédé depuis longtemps dans cette voie. L’un est devenu célèbre, par sa fortune dans l’immobilier et son émission de télé-réalité The Apprentice, l’autre tout aussi chef d’entreprise et surtout patron de chaînes de télévision. Tous deux étaient déjà bien connus avant leur engagement politique.
Coté fortune, Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen ne sont à plaindre.
Donald Trump a probablement gagné les élections par le mépris affiché des convenances dont il a fait preuve. Silvio Berlusconi a, ici aussi, montré l’exemple et a fait une longue carrière (terminée ?) avec ses plaisanteries douteuses, poursuivi du mépris de ses collègues au niveau international.
Donald Trump a prononcé des phrases, discutées par ses partisans et ses adversaires au pont de devenir centrales. En France, Nicolas Sarkozy, une proposition par jour, et Jan-Marie Le Pen spécialiste des suggestions racistes répétées, ont construit une bonne partie de leur popularité sur cette technique d’occupation de l’espace médiatique en permanence.
Jean-Marie Le Pen est probablement le père de la technique. Mêlant patience et provocations, il a réussi à se hisser au second tour de l’élection présidentielle de 2002. C’est un véritable virtuose en matière de racisme antisémite avec un succès indiscutable. Lançant une phrase douteuse mais qui touchait une partie de la population et qui était renforcée par les explications de ses adversaires donnant à voir leur sens caché et se faisant ainsi interprète et porte-parole inconscients. Se plaçant toujours sur le terrain qu’il avait choisi au lieu d’avancer des propositions constructives.De même, pour son racisme anti-immigrés, avançant des chiffres ou des propositions contestables et amenant ses adversaires à les discuter et donc à les valider par cette prise en considération.
Il suffit de voir tous les argumentaires publiés pour dénoncer ses affirmations. Qui tournent depuis 40 ans autour des mêmes questions. Et qui contestent Jean-Marie Le Pen avec des propos rationnels pour personnes convaincues. Le seul fait d’expliquer ou de dénoncer ces mensonge les renforce.
Donald Trump a pu avoir des mots encore plus méprisants contre les Noirs, les femmes, les Latinos, qui étaient largement repris par les médias et ne risquaient pas de le conduire devant un tribunal pour le délit de racisme qui n’existe pas aux ÉUA ?
Les Français dans leur immense majorité ne sont pas racistes même si certains tiennent des propos racistes et si quelques uns vont jusqu’à l’acte. Mais les sondages de la Commission nationale consultative de défense des droits de l’homme permettent de constater que la tolérance a progressé. Et même après les graves événements de ces derniers mois, il n’y a pas eu la dérive dangereuse que beaucoup craignaient.
Mais qui a pris le temps de s’adresser au cœur de ces Français au lieu de les traiter, avec suffisance, de beauf, d’imbéciles ou de racistes. Est-ce ainsi qu’on veut les faire changer ?
Donald Trump a porté la technique de Jean-Marie Le Pen à l’échelle étasunienne. Avec les médias numériques, peu importe ce qui est dit : ce qui compte, c’est le nombre de clics ! Comme ses déclarations ont choqué et augmenté l’audience des chaînes d’information, elles lui ont proposé de s’expliquer, poussant des opposant à réfuter ses arguments… Et CNN aurait gagné environ 100 millions de dollars de plus que prévu pendant le cycle électoral. En grande partie grâce à Trump (Courrier international 10-16/11/16).
En France les Le Pen, père et fille, n’ont pas beaucoup à se plaindre de leur place dans les médias. Mais la plupart de leurs adversaires n’ont guère de propositions à avancer en dehors de la politique suivie depuis des lustres et qu’ils se proposent d’accentuer. Et qui aboutissent à enfoncer les plus faibles dans la pauvreté, la culpabilité et le mépris.
La révolte sourde a été rendue visible au Royaume-Uni par le Brexit, aux ÉUA par l’élection de Donald Trump, en France avec la montée du Front national qui ne date pas d’hier mais qui peut franchir une nouvelle étape. Elle se voit aussi dans des pays, autrefois au dessus de tout soupçon : Belgique avec le Vlam Belang (Intérêt flamand), Pays-Bas avec le Parti pour la liberté (PVV), Allemagne avec l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), Italie avec la Ligue du Nord et le Mouvement cinq étoiles, Hongrie avec Viktor Orbán et encore plus à droite le Jobbik (Alliance des jeunes de droite - Mouvement pour une meilleure Hongrie), Roumanie avec le Parti de la Grande Roumanie, Autriche avec le FPÖ (Parti de la liberté d'Autriche), Norvège avec le Parti du progrès ou Danemark avec le Parti populaire (Mediapart 10/11/16).
Dans les faits, le premier parti des pauvres est celui des abstentionnistes. A chaque fois qu’ils ont eu un début d’espoir, ils se sont, au moins partiellement, mobilisés et n’ont pas tardé à être déçus. Ils ne se sont pas sentis abandonnés, comme on le lit partout, ils ont été abandonnés et trahis. Certains ont même théorisé cet abandon : les questions sociétales, qu’il ne faut pas négliger, sont plus importantes que les questions sociales qui sont négligées
Reste à espérer est-ce réaliste ? que ceux qui ne se trompent pas d’adversaire et qui essaient de redonner un espoir et un sens à la révolte sauront les motiver : Podemos en Espagne, Die Linke en Allemagne, Syriza en Grèce malgré ses échecs, Bloc des gauches au Portugal, France insoumise, travaillistes de Jeremy Corbyn, électeurs de Bernie Sanders….
Aux élections étasuniennes on a vu que les abandonnés, les jeunes pouvaient se mobiliser avec Sanders, mais non avec ceux ceux qui les enfoncent à l’occasion de la crise la plus importante depuis 1929, qui dure maintenant depuis près de 10 ans et risque de tourner à la catastrophe…
Plus que tous, ils ont intérêt à renverser la table.
Papa, c’est loin l’Amérique ? Ne te laisse pas faire ! Ne te laisse pas mener par le bout du nez ! Pense par toi-même, agis, parle, vote !
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