C’est quoi, le pire ?
« Entre inquiétude et espérance, seuls éviteront le pire ceux qui sauront que la catastrophe est possible. » La phrase figure dans une tribune de M. Plewel parue sur Médiapart le 4 juin 2014. Et il cite la phrase devenue proverbiale : « le pire n’est pas toujours sûr »... Encore faut-il s’interroger sur ce qui est « le pire ».

Il est évident que le pire ne devient acceptable qu’au fur et à mesure des renoncements : ceux de la classe politique, ceux des citoyens eux-mêmes. En la matière, si l’extrême droite accède au pouvoir, il n’y aura pas plus de catastrophe que de divine surprise, mais un enchaînement d’abandons, d’accoutumances, de lâchetés… Plus qu’à un renversement, nous assistons donc à un processus de décomposition subi, voire accepté. En l’occurrence, l’exemple des années 30 reste pertinent, entre l'hypnotisation provoquée par le fascisme, le dégoût pour la démocratie et l'esprit munichois de capitulation.
Et cependant, on ne peut ignorer qu’une grande partie des citoyens considèrent aujourd’hui que la situation actuelle est si dégradée qu’avec l’arrivée au pouvoir du FN, ça ne peut pas être « pire ». Faut-il s’en tenir à l’effroi que provoque cette réaction ? Peut-on en rester à la référence toujours ressassée de la bête immonde et du risque de dictature ? Peut-on éviter de poser la question : qui est l’adversaire ? Qu’est-ce qui est le pire ?
Le projet qui est en train de se réaliser à l’échelle européenne n’est pas celui d’un transfert de souveraineté, c’est celui de son anéantissement. La question de l’échelle n’est d’ailleurs pas principale : ce projet a lieu au niveau mondial, et il peut aussi bien se réaliser au niveau national. Passons sur la question de l’Etat-nation, de son obsolescence sous la forme que nous connaissons, de son caractère autoritaire, militariste, paternaliste, centraliste et colonialiste dans le cas de la France. Passons sur l’inachèvement que constitue la démocratie représentative en terme de démocratie. Ce qui est aujourd’hui en danger, c’est le projet même de l’Etat moderne : arbitrer entre les conflits d’intérêts, en faire émerger le progrès social. Permettre que s’exprime l’idéal de partage et de justice sans lequel la vie en société n’est pas tenable.
Voici le pire. Qui le veut ? Les grands intérêts privés qui font aujourd’hui jeu égal avec les Etats et attendent de pouvoir substituer au Droit leur propres règles. Qui le soutient ? La classe politique européiste par conviction, par intérêt ou par lâcheté. Qui le combat ?
Sans doute pas le FN. Les poses martiales, les coups de mentons, les insultes et les roulements de tambour ne font pas un programme économique. L’autoritarisme, le musellement et l’arbitraire constituent bien un programme, mais il n’a rien à voir avec la restauration de l’Etat. Ouvrons les yeux : ce programme-là est déjà à l’œuvre depuis des années dans une démocratie comme Israël depuis que ce pays n’a plus de gauche, ou comme les Etats-Unis après le Patriot Act. L’accession de Marine Le Pen à la présidence ne sera pas une catastrophe au sens premier : « évènement soudain ayant des conséquences désastreuses ». Il ne mettra pas fin au projet de destruction de l’Etat. Il lui donnera sans doute une nouvelle vigueur.
Qu’est-ce qui pourrait concrètement empêcher le FN d’accéder au pouvoir par les voies légales ? Un sursaut des partis traditionnels ? Rien n’est moins sûr. L’autodestruction d’une extrême-droite qui, dans le fond, n’a jamais désiré le pouvoir ? C’est sans doute dépassé. Le véto de Bruxelles, de Washington, de New-York ? Mais ils ne sont pas menacés !
Une dernière question : si le FN n’accède pas au pouvoir, le pire sera-t-il pour autant évité ?
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