2. … C’était à n’y comprendre rien

« Nos pensées », écrivait Nietzsche, « sont les ombres de nos sentiments, toujours plus obscures, plus vides, plus simples que ceux-ci ». Ainsi, dire n’importe quoi, et, à fortiori, le répéter, est la preuve d’une confusion des sentiments, ou pire, d’un désert sentimental, d’une perte des sens et du sens. La peur, l’anxiété, l’effroi, émotions sensées passagères, finissent par s’installer de manière permanente, perturbant les sentiments, et donc la raison.
Paul Ekman dans sa Nature de l’émotion, indiquait que celles - ci sont toutes liées les unes aux autres mais, à force de stimuler l’une d’elles, on finit par nécroser toutes les autres, à handicaper raison et entendement, à fabriquer de l’obsession caractérielle. Il parlait de cas cliniques ; mais bien avant lui, William Reich dans La psychologie de masse du fascisme, décortiquait l’articulation entre un pouvoir simplifiant tout pour ne laisser que peur et adoration comme seules expressions du désir, et les masses privées de tout entendement complexe, finissant par ne ressentir qu’un monde imaginaire, celui de la propagande nazie. Ce processus, visait la destruction de tout lien social, de tout lien familial, de toute reproduction du savoir au nom d’un concept mythique, celui d’un peuple inaltérable et figé, voyageant à travers le temps. Il n’avait comme seul moteur que la peur de l’autre, unique élément historique altérant l’existence de cet ensemble pur et immuable. Ce peuple – concept niait toute différence, et désavouait la nature même qui, elle, multiplie à l’infini formes et caractéristiques en constante évolution.
Transformer un peuple en victime frileuse, c’est l’infantiliser. C’est lui nier toute responsabilité, tout choix, toute envie, tout désir ; c’est installer en lui la certitude de sa conformité, par nature.
L’Etat, les partis, qui agissent comme des Procruste modernes invitent chaque individu à se coucher sur un lit l’amputant de tout ce qui dépasse ou l’étirant pour arriver aux dimensions désirées. Si un mythe grec raconte l’horreur que procure la diversité au pouvoir c’est bien celui-ci. Car Procruste, en découpant ou en allongeant les individus pour atteindre un standard idéalisé, en fait les tue. Ainsi l’individu ne désire plus qu’une seule chose : être conforme. Non pas à lui-même (ce qu’il sent), ni aux autres (ce qu’il apprend), mais à un standard arbitraire, idéalisé et incontestable.
Le conformisme historique implique ainsi que le citoyen se transforme en individu désirant une seule chose, sentant une seule chose, ne voulant qu’une seule chose : disparaître dans un ensemble préfabriqué, seul garant de sa survie. Pour arriver à cet état, il décide de ne plus penser, de ne plus douter, c’est à dire, pour paraphraser Descartes, à ne plus être.
Dans sa complexité en apparence libertaire, la société moderne et ses élites dirigeantes agissent pourtant en Procruste : dès lors que nul ne peut contester l’unicité inébranlable du système économique qui nous régit sous peine d’être considéré comme hérétique naïf ; dès lors que nul ne peut émettre l’hypothèse que l’immigration massive est une bonne chose sous peine d’être considéré comme un traitre à la « nation » (le trait est volontairement exagéré pour indiquer que tout bornage en nous reste castrant), dès lors que l’on ne peut pas dire que les révolutions arabo – islamiques sont une bonne chose sans ajouter un mais, impliquant un effort ou une anxiété pour nous, dès lors que nous ne pouvons pas penser que les statistiques doivent comporter des informations quant à l’identité géographique, ethnique, culturelle sous peine d’être accusés de racistes, dès lors que, plus généralement, la pensée et les sentiments doivent être émis au sein d’un cadre, nous sommes dans un processus de régression cognitive simplificatrice. Pire, comme le prévoyait Baudrillard, dans la disparition du monde réel.
A suivre…
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