Ça me file le bourdon
L’essaim siège
Le dard en main, un petit homme butine de ci de là pour essaimer à qui mieux mieux ayant l’intention d’établir sa ruche dans le plus grand des Palais. Il ne cesse de virevolter, de bourdonner, de fondre sur tout ce qui peut entraver sa fulgurante ascension. Il bat de l’aile, pique, use d’arguments aussi frappants que contondants pour se faire une place au soleil dans cette monarchie qui ne cesse d’abolir l’héritage des Lumières.
Il a le profil idoine pour lorgner sur la place depuis que la nation a choisi les êtres de petite taille pour assurer la fonction. Petit, Énervé, Teigneux, Excité, Spécieux, Empressé et Cupide, le portrait-robot du Pète Sec de service pour tenir la nation sous le joug une fois en place. Tout comme les précédents, il ne fera pas son miel de la Démocratie : vague prétexte pour conquérir les voix avant d’ignorer souverainement le peuple par la suite.
« Le dard ou la matraque » constitue son ouvrage de référence qui lui a permis de se construire une voie royale pour parvenir à ses fins. Du dard, nous ne dirons rien, risquant de tomber sous le coup de la diffamation en tentant de qualifier des pratiques pour lesquelles, la justice toujours indulgente avec les Don Juan du Cénacle, ferme les yeux honteusement. De la matraque, il sera prudent de taire son impact sur sa fulgurante progression, les arguments les plus assommants risquant fort de vous placer sur la liste des ennemis de la nation.
Toute voix se dressant contre le bourdon en quête du pouvoir suprême risque en effet de tomber sous le coup d’accusations extrêmes, de censure et de mise au ban de la société. S’opposer à ce personnage c’est se mettre à dos le bras séculier, la justice et les médias. C’est encore devenir un ennemi de la Démocratie, incarné par ce curieux citoyen au-dessus de tous soupçons.
L’oligarchie a besoin de tête d’affiche incontestable, non pas des êtres vertueux comme le proposait Aristote, mais tout au contraire, des individus vils, retors, pervers, hautains n’ayant pas la moindre empathie pour ses sujets qu’il convient de mener à la baguette et sous la coupe. En ce sens, ce postulant est le meilleur des pires, le candidat idéal pour prendre la suite de l’actuel détenteur du trône.
Nous franchirons alors une nouvelle étape décisive dans l’abolition du peuple. Du trône monarchique à l’essaim siège, pourvu que ce dernier soit oint de l’huile sainte, nous pourrons alors changer d’ère et inaugurer un nouveau régime. Tant qu’à faire, son passage à l’intérieur lui mettra le pied à l’étrier pour passer sans nuance de l’arrêt public à l’état martial. Les droits humains abolis, la violence pour unique forme de règlement des désaccords, la suite risque fort de prendre des allures de promenade de santé.
Laissons donc ce futur grand tourmenteur pour nous pencher sur le portrait de celui qui serait digne de gouverner chez La Bruyère… Nous pouvons mesurer combien nous sommes loin du compte en ce moment dans cette classe politique misérable et haïssable.
Que de dons du ciel ne faut-il pas pour bien régner !
Une naissance auguste, un air d’empire et d’autorité, un visage qui remplisse la curiosité des peuples empressés de voir le prince, et qui conserve le respect dans le courtisan ; une parfaite égalité d’humeur ; un grand éloignement pour la raillerie piquante, ou assez de raison pour ne se la permettre point ; ne faire jamais ni menaces ni reproches ; ne point céder à la colère, et être toujours obéi ; l’esprit facile, insinuant ; le cœur ouvert, sincère, et dont on croit voir le fond, et ainsi très propre à se faire des amis, des créatures et des alliés ; être secret toutefois, profond et impénétrable dans ses motifs et dans ses projets ; du sérieux et de la gravité dans le public ; de la brièveté, jointe à beaucoup de justesse et de dignité, soit dans les réponses aux ambassadeurs des princes, soit dans les conseils ; une manière de faire des grâces qui est comme un second bienfait ; le choix des personnes que l’on gratifie ; le discernement des esprits, des talents et des complexions pour la distribution des postes et des emplois ; le choix des généraux et des ministres ; un jugement ferme, solide, décisif dans les affaires, qui fait que l’on connaît le meilleur parti et le plus juste ; un esprit de droiture et d’équité qui fait qu’on le suit jusques à prononcer quelquefois contre soi-même en faveur du peuple, des alliés, des ennemis ; une mémoire heureuse et très présente, qui rappelle les besoins des sujets, leurs visages, leurs noms, leurs requêtes ; une vaste capacité, qui s’étende non seulement aux affaires de dehors, au commerce, aux maximes d’Etat, aux vues de la politique, au reculement des frontières par la conquête de nouvelles provinces, et à leur sûreté par un grand nombre de forteresses inaccessibles ; mais qui sache aussi se renfermer au dedans, et comme dans les détails de tout un royaume ; qui en bannisse un culte faux, suspect et ennemi de la souveraineté, s’il s’y rencontre ; qui abolisse des usages cruels et impies, s’ils y règnent ; qui réforme les lois et les coutumes, si elles étaient remplies d’abus ; qui donne aux villes plus de sûreté et plus de commodités par le renouvellement d’une exacte police, plus d’éclat et plus de majesté par des édifices somptueux ; punir sévèrement les vices scandaleux ; donner par son autorité et par son exemple du crédit à la piété et à la vertu ; protéger l’Eglise, ses ministres, ses droits, ses libertés, ménager ses peuples comme ses enfants ; être toujours occupé de la pensée de les soulager, de rendre les subsides légers, et tels qu’ils se lèvent sur les provinces sans les appauvrir ; de grands talents pour la guerre ; être vigilant, appliqué, laborieux ; avoir des armées nombreuses, les commander en personne ; être froid dans le péril, ne ménager sa vie que pour le bien de son Etat ; aimer le bien de son Etat et sa gloire plus que sa vie ; une puissance très absolue, qui ne laisse point d’occasion aux brigues, à l’intrigue et à la cabale ; qui ôte cette distance infinie qui est quelquefois entre les grands et les petits, qui les rapproche, et sous laquelle tous plient également ; une étendue de connaissance qui fait que le prince voit tout par ses yeux, qu’il agit immédiatement et par lui-même, que ses généraux ne sont, quoique éloignés de lui, que ses lieutenants, et les ministres que ses ministres ; une profonde sagesse, qui sait déclarer la guerre, qui sait vaincre et user de la victoire ; qui sait faire la paix, qui sait la rompre ; qui sait quelquefois, et selon les divers intérêts, contraindre les ennemis à la recevoir ; qui donne des règles à une vaste ambition, et sait jusque où l’on doit conquérir ; au milieu d’ennemis couverts ou déclarés, se procurer le loisir des jeux, des fêtes, des spectacles ; cultiver les arts et les sciences ; former et exécuter des projets d’édifices surprenants ; un génie enfin supérieur et puissant, qui se fait aimer et révérer des siens, craindre des étrangers ; qui fait d’une cour, et même de tout un royaume, comme une seule famille, unie parfaitement sous un même chef, dont l’union et la bonne intelligence est redoutable au reste du monde : ces admirables vertus me semblent refermées dans l’idée du souverain ; il est vrai qu’il est rare de les voir réunies dans un même sujet : il faut que trop de choses concourent à la fois, l’esprit, le cœur, les dehors, le tempérament ; et il me paraît qu’un monarque qui les rassemble toutes en sa personne est bien digne du nom de Grand.
À contre-trait.
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