Cameroun : la barbarie populaire comme réponse à l’insécurité urbaine
Des habitants d’un quartier de Yaoundé « capturent » un présumé bandit et le battent(presque)à mort. Sonel-Mimboman, un quartier où l’électricité est dans l’air et où les bandes de jeunes se divisent leur territoire à la Harlem.
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Mimboman, à quelques mètres de l’agence Aes-Sonel du coin, vendredi 15 septembre 2006. Al’entrée d’une ruelle conduisant vers les tréfonds du quartier qui s’étale sur deux vallées, du lieu « Liberté bar » à la vallée de Nkolmesseng, une centaine de personnes font concurrence aux interminables rangs d’usagers venus payer leurs factures d’électricité à l’agence Aes-Sonel du coin, l’entreprise nationale privatisée de distribution de l’énergie électrique.
Au milieu de la foule compacte et curieuse, le corps dépenaillé et poussiéreux d’un jeune homme, recroquevillé sur le sol, et qui vomit du sang. Près de lui, morceaux de pierres et de bois qui ont servi à la population furibonde pour l’assommer et le blesser. Le visage et les lèvres sont gonflés, il remue encore ses yeux boursouflés de sang.
Autour de lui, c’est un brouhaha de voix et d’exclamations. Une personne à quelques pas de la foule s’indigne de l’injustice subie par l’infortuné qui a commis le crime de sortir de chez sa petite amie aux environs de trois heures du matin, une heure où tous les chats sont gris, où tout passant est un présumé bandit.
Mais la majorité des commentaires des habitants du coin et passants disent que celui dont le nom est Mengue sur sa carte nationale d’identité est en fait un jeune du quarter réputé pour son agressivité notoire. Il s’appellerait "Petit René" dans le milieu, 23 ans.
Dans la nuit du 14 au 15 février, il aurait poignardé une femme dans le quartier, avant de s’en prendre vers trois heures du matin à un chauffeur de taxi à son domicile, lequel va sonner l’alerte. Entre-temps, le 117, les équipes spéciales d’intervention rapide (Esir) appelées vont demander si l’agresseur est armé, sans autre forme... d’intervention.
Dans la foule, c’est à la fois le contentement et l’exaspération face à la criminalité incontrôlable dans le coin. Fabrice, un étudiant habitant dans le quartier, à quelques minutes de là, lance, exaspéré : « Même à 21 heures, les agressions se font déjà ! ».
Eric, un autre jeune du coin, pour restituer les circonstances de la capture de celui qu’on appelle « petit René » et évoquer la criminalité dans le quartier, nous demande de nous écarter du théâtre de la scène macabre. Quelques pâtés de maisons et ruelles plus loin, il raconte :
« Ici, à plus de 23 heures, on ne peut plus être dehors... Ce jeune gars, Petit René, avait une réputation de très grand agresseur. Au départ, il était d’abord fou, marchait nu, c’est un fils unique, un de mes voisins à l’époque.
Sa maman s’est battue pour qu’il guérisse, et quand il a repris les formes, il a commencé à agresser. Il a agressé une voisine cette nuit, il l’a poignardée entre 1 h et 1h30. Quand la voisine a crié et que les voisins sont sortis, lui et ses deux compagnons n’étaient plus là. Il sont allés ensuite tenter une autre personne, un taximan (chauffeur de taxi), c’est à ce moment que certains courageux sont sortis et l’ont arrêté, alors que les deux autres disparaissaient dans la nuit. Donc dans le même quartier, il a fait deux agressions au cours de la même nuit. »
« Habituellement, poursuit un autre jeune, les gens ne sortent pas toujours quand ils entendent "au voleur !", mais aujourd’hui, il y a eu des courageux ! »
Les gangs de jeunes font la loi.
Dans ce quartier de la ville de Yaoundé, bâti entre deux vallées, les jeunes ont établi leurs territoires comme dans la banlieue new-yorkaise de Harlem.
Fabrice poursuit : « Ici c’est "Bordeaux", c’est mon fief ; je suis chez moi ici, rien ne peut m’arriver ! »
Quelques dizaines de mètres plus bas en allant vers la route goudronnée, "c’est la zone des porteurs de fer", dit-il en montrant du doigt, un sourire en coin.
Il précise : « Ils ont tous de gros bras, là-bas ! »
Fabrice se dit autochtone du coin, et même s’il est longiligne, c’est un « dur » de son coin. Un coin chaud, très chaud. Il y a deux semaines, une femme se faisait arracher son sac à ... six heures du matin, il pleuvait ; la police est repartie avec les voleurs.
Dans le quartier, à une certaine heure, il vaut mieux être du bon côté, sinon, impossible de traverser le coin des « porteurs de fer » sans courir le risque de se retrouver une machette ou un couteau à la gorge. Certains évitent même de s’aventurer dans le coupe-gorge et préfèrent dormir chez un ami au lieu de traverser la ligne rouge des « porteurs de fer » à une certaine heure de la soirée.
« Petit René », le jeune homme arrêté et battu à presque mort, venait de l’autre côte de la rue goudronnée, derrière l’agence Aes-Sonel. Presque mort, car, à la mi-journée, il sera transporté à l’hôpital central de Yaoundé par les Sapeurs-pompiers dont la caserne est située à 500 mètres de là sur la route goudronnée.
A Yaoundé, dans certains quartiers populaires, les jeunes s’organisent en « comités d’autodéfense ».
Mais il s’agit bien souvent de jeunes désœuvrés qui passent leurs journées entre petits larcins et jeu de cartes (poker), et leurs nuits à agresser dans les rues et domiciles.
Ils s’engagent après à protéger les habitants du quartier qui rentrent à des heures tardives, ainsi que les domiciles, contre un « salaire » payé de la poche des habitants.
Beaucoup d’habitants s’accommodent du rançonnement de ces jeunes qui allument le feu pour venir après si bien jouer les pompiers.
C’est que bien souvent, c’est le dernier recours d’une population abandonnée aux malfrats.
Comme ce fut le cas au cours de la nuit du 14 au 15 septembre, dans ce quartier de Yaoundé, bien souvent, le 117 ou le 113 de police-secours traîne les pieds, ou n’arrive jamais. A la guerre comme à la guerre !
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