Cannes : raide carpette
Bon, ça y est, on remet la machine en marche, le maronnier en route : tapis rouge à Cannes. Red carpet. On le déroule, qu'on nous dit. Ca me fait penser qu'on ne parle jamais de ceux qui l'enroulent quand la fête est finie. Ni de l'endroit où il est stocké toute l'année, ce foutu tapis même pas volant. Festival des festivaliers. Un festival, des festi-veaux. Bref, pourquoi n'irais-je pas vous livrer quelques-unes de mes impressions (pelliculaires), dans la catégorie « un certain regard » ?
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Cannes. Ouais, les longues cannes des starlettes qui se tordent sur leurs talons hauts pour ne pas s'affaler en direct-live devant 160 papas-rassis mal-rasés et leurs télés pas très objectifs. Ceux qui sortent leurs grosses quéquettes noires et oblongues en disant « hep, toi, cocotte », « smile », « cheese » ou « gouzi-gouzi ». Et qui flashent. Même pas back. C'est dans la boite, coco.
Cannes et ses bouchons partout. Sur la Croisette, chez zézette. Embouteillages. Bouchons de Ferrari qui ronronnent, bouchons de Deutz brut qui pètent. Mieux qu'à Deauville, « la vérité si je mens ».
Embouteillages à perte de vue de vigiles à écouteurs d'oreille, gorilles et leurs guenons, serveurs à biffetons passés directement de la merguez au caviar, putes, demi-putes, quart de putes dont c'est 50% du chiffre d'affaire annuel. Ca va chauffer, « bolchoï, Caracho, vous être très beau, coco... »
V.I.P, limousines, services. Call-la-girl, on te dit. « Non mais allo, quoi.. .T'es à Cannes pour le week-end end t'as même pas de pouf sous la main ? » Prends ma carte, ça va s'arranger.
Pour vomir après, on te dira où c'est.
Yep, les longues cannes des starlettes, le sucre de canne qu'on jette dans l'expresso ristretto en terrasse à 15 euros. Ris, Streto. Mais ris-donc, le truc est fait pour ça.
Allonger ses cannes à Cannes, sur la plage du Martinez ou du Majestic, sous un ciel si bas qu'il ne passe même plus d'oies sauvages criant la mort au passage, parce que Rilke et Aragon se sont barrés depuis longtemps. Et que les oiseaux d'Hitchkock , ca fait perpète que c'est devenu pâté d'alouette.
Ouais, allonger ses cannes à Cannes, un plaisir démodé.
Parce que tout de même, Cannes, que reste-il de tes zamours, hein ? Audrey Tautou, on n'a rien contre, mais est-ce que ça le fait ? Audrey, c'est bien, mais y a-t-il de l'Hepburn dans Tautou ? Savez, ce quelque chose de Tennessee, quand la ville est endormie et que certains s'aiment à la folie...
Et puis paraît qu'Angelina n'est pas si jolie...L'eusse-tu cru ? Pasta basta.
A une époque où le dernier film français qui a vraiment attiré le public a été tourné récemment au Trocadéro avec des figurants payés à coups de lance-pierres, des intermittents du spectacle banlieusard en représentation à Paris, des effets spéciaux basiques et des fumigènes bon marché, que reste-t-il de mystérieux à Cannes ?
Je vous le demande.
Des Audrey perdues à leur tatoo, est-ce que ça fait rêver ? Et puis rêver, est-ce si bon pour la santé ?
Bon, il y a bien Daniel Auteuil dans le jury de cette année. Un garçon de qualité : ça console. Mais enfin (désolé d'y revenir) Auteuil, est-ce que ça fait un « cop » capable de faire la nique à celui de Boulogne et aux cailleras de Bobigny, cette France moderne black, blanc, beur qui nous a tant fait rêver ?
Je ne voudrais pas la jouer vieux con blasé. Vous dire qu'on se prend à rêver d'une projection privée de « la grande attoffaga » où Piccoli deviserait avec Brando tenant la main de Maria Schneider, autour d'un croissant-beur. Le « dernier tango à Paris », « Trocadéro, mon amour », que des grands films.
Refaire tourner le projo de « l'œuf du serpent », de « portier de nuit » et la sulfureuse Charlotte Rampling. Voir Dutronc en lâcher une bien sentie entre ses lèvres minces et son cigare massif, pour nous parler de son rôle inoubliable dans « l'important , c'est d'aimer » de Zulawski. Avant qu'il ne meure du Corona virus, lui aussi.
Oui, mettre le « Bad Lieutenant » Harvey Keitel nous faire un peu la police sur la Croisette et nous retrouver rapidos les deux barjots de « Fargo ». Et mettre comme huissier-chef du Protocole l'excellent Patrick Chesnais, ses yeux de cocker triste et son air désolé d'être là. Il se tiendrait, vouté et raide à fois, au sommet de l'escalier. Aux apprenties starlettes qui lui demanderaient « l'ai-je bien descendu ? », il répondrait : « Sais pas. M'en fous ».
Voilà, c'est Cannes qui repart, « sous vos applaudissements » comme disait le grand Jacques. Il partira sans moi, ce Festival. Planquez la poussière et la misère sous le tapis, et fermez les spots en partant.
Voyez-pas que tout le monde dort ?
Crédit photo : Reuters
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