Cargos de nuit (vague 16)
Les cargos, mais pas seulement eux. Pendant que les chars circulent par voie d’eau, et se font parfois arrêter par des pirates, dans les airs, les Kalachnikovs volent beaucoup plus tranquillement dans des avions-cargos bien anodins. Car le trafic dans la Corne de l’Afrique utilise depuis toujours les deux moyens de transport, maritime et terrestre. Grâce à de vieilles connaissances d’Agoravox, dont notre fameux maître de guerre, qui attend toujours qu’on veuille bien prendre une décision sur son sort : les Etats-Unis ont réclamé son extradition, mais la Thaïlande, visiblement traîne des pieds. Peut-être pour faire baisser des tarifs, qui sait : Bout est un vieil allié des russes, et la baisse de prix obtenue le 5 février dernier pour des hélicoptères Mi-17 n’est peut-être pas étrangère à la non-extradiction de Victor Bout. L’armada des avions de Victor Bout ont aussi bien servi à transporter des armes que de l’aide humanitaire. En faisant des rotations entre l’afrique du Sud, les Emirats Arabes Unis et.... le Soudan ou le Yemen. Place aux avions de la mort, qui n’ont pas, eux, de pirates pour les arrêter. Et place aussi aux opérations détournées, comme cette incroyable histoire de sauvegarde de gorilles congolais devenus pompes à fric des livraisons d’armes.

Sur un aéroport des émirats, on trouve donc logiquement des cartons d’USAID, manipulés par des soldats américains, pour être chargés à bord d’un drôle d’avion : un Ilyushin 76 d’Air Almaty, du nom de la capitale du Kazakhstan. Un avion conçu spécialement pour transporter...des chars. Sous son autre nom d’Irbis Air, on trouvait des avions d’Air Almaty, en réalité des avions de Victor Bout, dont les hangars (à Almaty !) jouxtent ceux de la firme nationale. Lui se promenait alors en Ouganda sous le nom d’Air Cess avec ses Ilyushin Il-18Gr, souvent aperçus à Djibouti. Bout faisait aussi souvent voler des vieux 727 Cargos, comme le UN-B2702, discrètement ciglé "cargo-cargo" et souvent aperçu à Sharjah, sa base de départ. C’était bel et bien un cargo appartenant à Victor Bout. Dont les avions ont donc aussi souvent véhiculé de l’USAID... pour cela, Bout va créer British Gulf, une énième compagnie... qui va beaucoup s’activer pour fournir en Irak des armes, mais à l’armée américaine : "Now, Viktor Bout seems to be back at work in Iraq. According to several sources, his planes, flying under the name of an airline company, British Gulf, likely to disappear as fast as it was created, are assuring "transport of materiel" for the American army. The company’s advantage, one specialist in arms trafficking reveals, relates to the nature of the Russian merchant’s crews and planes : "They’re accustomed to land in any kind of war zone without having a fit. And if one of their planes is shot down, there’s no risk of American pilots’ bodies being dragged through the streets." En échange de quoi Bout négocie son... aministie.
Chez USAID, on est en effet assez intelligent pour ménager la chêvre et le chou. Les fils d’Abou Abbas en savent quelque chose : "Abbas’s son Yasser, who owns the Falcon Electro Mechanical Contracting Company and Sky Advertising Company, won U.S. contracts through “full and open” bidding, USAID said. His brother Tarak is general manager of the advertising firm" nous apprend une dépêche d’agence de Reuters. Et une fois encore, les faits indiscutables sont là : il y a bien ingérence politique via une aide dite humanitaire : "documents obtained by Reuters showed that after elections, the U.S. promoted a strategy “of providing targeted, discreet support to emerging leaders, independent media, and selected civil society efforts." Tout s’achète, tout se vend, y compris l’attitude des dirigeants politiques. Arafat a détourné pendant des années l’aide européenne... et s’est fait livrer des armements d’Europe centrale, cela nous le savons. Par avions, puis après, ou en même temps, par cargos... car les deux modes sont liés, comme le démontre cette étonnante découverte de 2004, où un armateur de la Liberian Shipping Register (LISCR) avait accordé 925 000 dollars, payés en deux mois, à un obscur directeur de ligne aérienne, la San Air General Trading dirigée par un texan, Richard Chichakli. Qui a positionné ces avions à...Sharjah (aux Emirats Arabes Unis). Quelques semaines plus tard, ce sont 697 980 dollars qui étaient à nouveau versés... On découvrira plus tard le donateur : le ministre Ouzbek de la défense en personne. Selon les observateurs, les sommes correspondraient à un chargement de fusils destinés à Charles Taylor, en provenance de Bulgarie, et qui auraient dû être livrés par Centrafricain, une autre firme paravent de Victor Bout. L’affaire avait été révélée par les congressistes américains, enquêtant sur les trafics d’armes. Entre temps, Bout avait déjà fait disparaître Air Cess, rebaptisé Air Bas, qu’on retrouve aussi au Congo. Finis les Ilyushin 18, bonjour l’Antonov 12 UN-11007. Rassurez-vous, ce n’est pas un avion de l’ONU : non, UN ce sont bien les deux lettres du Kazakhstan ! L’avion finira sa carrière en s’écrasant... au Yemen, le 31 mai 2005 à Al-Mukalla. Ce jour-là, il y avait 7 tonnes de poisson à bord. Enfin, officiellement. Parfumés à l’opium ou la coke, on ne sait pas. Les Antonov ou les Illyushin, qui tombent comme des mouches faute d’entretien, ont des réputations de camions à munitions.
Parmi ces voyages et ces opérations douteuses, une très belle opération médiatique d’USAID : après les gens, les animaux. "Sauvons les gorilles du Congo" crient les belles âmes. Des millions de dollars sont donc débloqués par les congressistes américains (à partir aussi de dons de particuliers !) qui versent une larme sur ces animaux bien pacifiques. Les pauvres gorilles ne verront jamais la couleur des billets verts qui leur étaient destinés : "But investigations in Eastern Congo reported by these authors over the past six months indicate that USAID “conservation” funds—millions of taxpayer’s dollars—have been misappropriated, misdirected and disappeared. Evidence suggests that ongoing guerrilla warfare in Central Africa is receiving clandestine financial support in AID-for-ARMS type financial transfers". Les audits sur la fameuse Dian Fossey Gorilla Fund-International (DFGFI) révèlent que l’argent s’est littéralement évaporé. "A Freedom of Information Act request determined that DFGFI has not filed audits for more than two years, while they received a total of at least $4,693,384 from USAID between September 24, 2001 and September 29, 2004". "In September of 2005, US Congressman James Oberstar was contacted by a constituent who claimed that the Dian Fossey Gorilla Fund International had failed to file federally mandated audits (Form A-133) after receiving millions of dollars in grants from USAID". Ou est donc passé l’argent des gorilles ? Dans les kalachnikovs ! En septembre 2007, le scandale éclate : "on Wednesday September 19, 2007 the U.S. State Department and United States Agency for International Development (USAID) announced the provision of $496,000 of new funds for wildlife conservation in the Virunga National Park in eastern Democratic Republic of the Congo. According to a State Department press release, poaching, armed conflict and “demographic pressures” are justification for the grant". Parmi les dons, des particuliers... fort particuliers : "sponsors and friends listed in DFGFI documents for January to December of 2003, in the $25,000 and above category included, Dr. and Mrs. Nick Faust and CNN, and certain mining and intelligence connected interests". Or ce docteur Faust, au nom prédestiné n’est pas un inconnu : "Dr Nicholas Faust has deep connection to the U.S. Central Intelligence Agency and the Department of Defense." C’est l’un des responsables de l’ESRI, l’Environmental Systems Research Institut de Redland, dont le travail essentiel est la cartographie “the world leader in GIS (geographic information system) modeling and mapping software and technology.” Or cette cartographie est avant tout au service de l’armée US : "ESRI is a key contractor for the U.S. Department of Defense and Intelligence sector, providing battle theatre GIS mapping and support technologies used, for example, for “a defense-wide infrastructure, supporting fighting missions, command and control, installation management, and strategic intelligence.” Et voilà pourquoi dans ce bas monde les gorilles n’ont aucune chance de survivre, et les trafiquants d’armes de faire fortune avec leur peau.
Notre fameux 11007 n’a pas toujours été nommé ainsi.. il était employé auparavant par la firme GST. Regardez-bien, c’est à aussi du grand art de maquillage de registre d’aviation (désolé c’est un peu long et en anglais) : "During a visit to the airport in Abéché, Chad, the Panel observed cargo being unloaded from an AN-12 aircraft (registration No. UN-11006). The Panel believed the cargo to be arms and ammunition (...) Weapons arriving in Abéché have a great potential to enter Darfur, as there is no border control in the area. On 22 June 2007, a letter was sent by the Panel to the Republic of Kazakhstan, the country of registry. Correspondence received in response to that letter on 21 August 2007 from the Government of Kazakhstan stated that GST Aero had ceased its activities as of 30 November 2006 and no longer appeared in the list of active airlines of the Republic of Kazakhstan. Ownership of the AN-12 with State registration and identification mark UN-11006 was transferred to the company Aviakom of the Russian Federation. Aviakom re-registered the aircraft on 11 December 2006, and it was given the registration and identification mark UN-11007". (United Nations, Security Council, Report of the Panel of Experts Pursuant to Resolution 1591 (2005) concerning Sudan prepared in accordance with paragraph 2 of resolution 1713 (2006), S/2007/584, 3 Oct. 2007, para. 135). En résumé, la Compagnie russe East Wing a fait voler pendant un an au moins un avion sous un faux numéro. Et tout le monde, y compris les Nations Unies, s’en doutait. L’avion avait aussi volé en prime pour la Lybie, sous le registre de Buraq Air Services. GST Aero étant l’une des dernières compagnies à faire voler des BAC-111, comme celui dans lequel on avait harnaché sur chaque siège des caisses de Kalachnikovs.
En 2003 encore, les avions de GST faisaient la route régulière Afrique du Sud... Rwanda.... avec à bord certainement pas de l’aide humanitaire. Le plus souvent, sans même avoir l’autorisation de voler : "‘On 9 December 2003, an unauthorised flight was made from Johannesburg, South Africa, to Kigali by a company involved in military transport operations . . . According to the South Africa Department of Transport, the plane was operated by GST Aero and a Volga Atlantic call sign was used for the 9 December 2003 flight, but “neither Volga Atlantic nor GST Aero had permission to operate this flight.”’ (Amnesty International, ‘Democratic Republic of Congo : arming the east’, AFR 62/006/2005, 5 July 2005, p. 41.). L’illégalité la plus totale. En 2005 toujours, ils clament faire dans l’humanitaire sur leur site internet, grâce à leurs Illushyn 76 : "According to Kosmas Air’s own website, in January 2005 it obtained two further Ilyushin 76TD cargo planes and according to aviation sources these appear to have been leased from the GST Aero Air company of Kazakstan which operates from the United Arab Emirates. However, the website was substantially altered in February 2006 and this information was removed. The company says it carries out air cargo freighting and the transport of humanitarian aid relief in the regions of Europe, Middle East, Asia and Africa. The company claims to have special authorization for the worldwide air transport of dangerous goods." (Amnesty International, Dead on Time : Arms Transportation, Brokering and the Threat to Human Rights (Amnesty International : London, May 2006), p. 122). Le 22 novembre 2007 un autre Illyushin d’Azza Air Transport, immatriculé ST-APS est photographié en train de décharger des caisses de munition au Congo. Azza Air n’est autre qu’une compagnie... soudanaise, reperée comme "dangereuse" par les Nations-Unies. Enfin, le 30 juin 2008, un Ilyushin 76 s’écrase au décollage à Khartoum, il était en partance pour le port de Juba. Il appartient à Ababeel Aviation, soupçonnée elle aussi de trafic d’armes : "at the time of the crash, the Ilyushin 76 was operated by Ababeel Aviation. A 2008 United Nations Security Council report called for a member states to ban Ababeel Aviation for violations of the UN arms embargo on Darfur, Sudan. Prior to Ababeel, the aircraft had been operated by Tomislav Damnjanovic, named in UN and New York Times reports as involved in arms trafficking". Ababeel, installé à ... Sharjah ! N’en jetez plus la cour est pleine !
Le texan nommé comme ayant reçu des fonds, également neveu de l’ancien président de la Syrie, à un beau cursus universitaire, ou plutôt de drôles d’amis à Sharjah : "from 1979 to 1986, Chichakli lived most of the time in Saudi Arabia, first studying at Riyadh University, and later working for a variety of businesses. During his university days, he told the International Consortium of Investigative Journalists that he used to "sit around and eat sandwiches and sing songs" with Osama bin Laden and his siblings, back when "Osama was OK." Notre texan a des connaissances et des relations : "He added that he probably knew about 40 bin Laden family members and that most of them were nice people. In the aftermath of the Sept. 11, 2001, terrorist attacks on the United States, Chichakli claims he was contacted by the Federal Bureau of Investigation to assist bin Laden family members living in the United States. "FBI acted absolutely wonderfully," avait-il conclu. Nous revoilà au Pakistan ! Ce monde est trop petit ! En fait, notre homme était un des bras droits de Victor Bout : "Chichakli has held several senior positions in companies owned by Bout, U.N. documents say, including chief financial manager with responsibilities such as accounting, financial and reporting activities, and overall responsibility for the financial systems". Le soir, à Sharjah, c’est fou ce qu’on rencontre comme avions cargos...
L’enjeu, au fond, au Soudan, était bien pétrolier, et Condoleezza Rice simple représentante de commerce de Chevron : "Les majors pétrolières US connaissaient la richesse pétrolière du Soudan depuis le début des années 1970. En 1979, le président Jafaar Nimeiry, rompait avec les Soviétiques et invitait Chevron à venir exploiter le pétrole du Soudan. Ce fut peut-être une erreur fatale. L’Ambassadeur auprès des Nations unies George H.W. Bush avait personnellement parlé à Nimeiry des photos satellites indiquant des gisements pétroliers au Soudan. Nimeiry a mordu à l’hameçon. La conséquence en ont été les guerres pour le pétrole. Chevron trouva de grandes réserves pétrolières au sud-Soudan. Elle dépensa 1,2 milliard de $ 1.2 milliards en forages et en essais. C’est ce pétrole qui a déclenché ce qu’on a appelé la seconde guerre civile du Soudan en 1983. Cible d’attaques répétées et de tueries, Chevron suspendit son projet en 1984. En 1992, elle vendait ses concessions de pétrole soudanaises. En 1999, la Chine commençait à exploiter les champs abandonnés par Chevron avec des résultats remarquables".
C’est pourquoi ce n’est pas demain la veille que les armes arrêteront de circuler dans cette région du monde, des armes achetées avec les revenus de la drogue, dont le plus grand pays pourvoyeur est celui le plus aidé par l’administration américaine, qui, depuis l’ère Kennedy, a pris la désagréable habitude de mélanger aide humanitaire et espionnite aigüe. Des cargos ou des avions bourrés d’armements risquent encore de circuler pendant des années : en ce sens, les pirates somaliens sont des gens fort embarrassants, effectivement. Ils empêchent de faire comme si de rien n’était, en définitive. Comme on a toujours fait, sans que ça se sache. Sans qu’on fasse rien pour que ça change. Au final, et c’est malheureux à dire, ces fameux pirates, ce ne sont peut-être pas eux les pires. Pendant ce temps, Victor Bout, autrefois si poseur, ronge son frein en Thaïlande, mais j’ai comme d’avis qu’il ne va ni y rester, ni être extradé aux Etats-Unis : cet homme en sait trop. Il est l’enjeu d’un pouvoir, et pas prêt à se laisser faire semble-t-il. Ni à se faire aider à disparaître.
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