Caricatures du prophète Mohammed et peinture abstraite
Deux évènements, la victoire de Hamas en Palestine et les caricatures du prophète Mohammed parues dans un journal danois, interrogent les rapports et les regards qu’entretiennent les forces politiques et les médias d’Europe et des USA avec le reste du monde.
J’emploie le pluriel des mots "rapport" et "regard" pour ne pas mettre dans le même sac tous les regards et pour ne pas tomber dans des amalgames insupportables que beaucoup reprochent aux Ayatollahs des continents cités.
Ces derniers, par ignorance ou par cynisme, triturent les faits, sondent les âmes et prononcent leurs sentences. Venons-en au fait. Tout d’abord, un point d’éclairage, pour m’épargner toute suspicion. Je considère que la liberté d’expression est une grande conquête. Elle est une variable politique qui concourt à l’épanouissement des sociétés et qui permettra à l’humanité de passer du règne de la nécessité à celui de la liberté avec un grand L. Cette liberté est précieuse, sacrée ; il faut la protéger et la choyer.
Mais que pouvons-nous répondre à tous ceux pour qui le prophète relève de l’intouchable, du sacré, et Dieu sait que le mot sacré dans la bouche des religieux a une charge explosive ? Tout ça pour dire que si les Ayatollahs de tous bords avaient une conception relative des choses, l’humanité ne serait pas en train de s’entretuer. Se cramponner à une vision absolue des choses, alors qu’il n’y a que le continent Éternité, (jusqu’à preuve de contraire inconnue des humains), qui est absolu. Tous ça pour dire à tous les croyants du sacré, qu’il soit métaphysique ou matérialiste, de n’agir et de ne s’agiter qu’en fonction de l’algèbre des variables de notre monde et de notre temps, en un mot, de tenir compte des autres, de l’histoire, etc.
On a vu la levée des boucliers, après la victoire électorale de Hamas, de tous les idéologues de la désinformation qui ont accompagné George Bush, le programmateur et l’organisateur des élections sous occupation de l’Irak. Ce dernier est le plus mal placé pour contester la légitimité des urnes, puisqu’il a fait de la démocratie des tanks son cheval de bataille. On ne peut assurer la pérennité des valeurs démocratiques quand on les remet en cause parce que les gagnants n’ont pas l’heur de plaire au maître du monde.
Au lieu d’analyser calmement les résultats en Palestine qui, rappelons-le, ont déplu à une partie du peuple palestinien, on jette l’anathème, et on fait le procès de gens qui, après tout, luttent et résistent contre les occupants de leur terre. Du reste, ces mêmes désinformateurs n’ont pas hésité à réclamer le respect des urnes en Algérie pour permettre au FIS de jouir d’une victoire qui, disons-le en passant, fut le fruit à la fois de l’incompétence d’un régime militaire et des fraudes du FIS, majoritaire alors dans les municipalités. En Algérie, on exige le respect des urnes parce qu’on a un vieux compte à régler avec ce pays qui s’est libéré par les armes. En Palestine, on met en quarantaine tout un peuple et on lui coupe les vivres, parce qu’une partie de ce peuple a eu l’audace de "mal voter" dans la plus parfaite régularité sous le regard des observateurs internationaux. Pourquoi cette politique des deux poids deux mesures ?
Par aveuglement politique, et incapacité à entendre les bruits et fureurs de l’histoire. C’est ainsi qu’on soutient les islamistes, qu’on affuble du titre de moujahidins (combattant de la liberté) en Afghanistan, pour lutter contre les Soviétiques, on tolère la naissance du Hamas en Palestine, pour contrer l’OLP, etc. Mais comme l’histoire n’avance pas selon le désir des brillants stratèges, ces mêmes islamistes retrouvent le statut de pestiférés. Voilà pourquoi les opinions averties de ce qu’on a appelé "Tiers-Monde" ne prennent pas au sérieux ni la sincérité ni les bravades des offusqués, qui se réservent la liberté d’expression pour la défense de leurs seuls intérêts.
Quant aux caricatures du prophète de l’islam, il y a, de la part de leurs auteurs, soit de l’ignorance, soit de la provocation infantile.
De l’ignorance, car l’islam, dans les sociétés régies par cette religion, n’est pas seulement un rapport à Dieu. Il a engendré au fil des siècles une civilisation et des cultures imprégnées par cette religion qui régissent le rapport aux autres. C’est ainsi que des athées dans ces pays adoptent certaines attitudes pour ne pas choquer ou gêner inutilement la famille, le voisinage, etc. Il ne vient à l’esprit de personne de manger ou de fumer dans la rue durant le ramadan, en famille de mettre à table une bouteille de vin, etc. La représentation figurative du prophète fait partie de ces tabous, en revanche décrire sa vie, y compris familiale et conjugale, est recommandé, car elle sert d’exemple. On voit à travers ce rapport au prophète ce qui relève du symbolique pour nourrir la sacralité et la transcendance, et ce qui s’impose à la société en fonction de son niveau de développement politique et culturel. C’est ainsi que des tabous tombent peu à peu sous la pression de la dynamique de la vie, par exemple, la scolarisation des filles, les mariages forcés, l’obligation de se voiler, pour rester dans le domaine si sensible de la condition des femmes.
De la provocation infantile, car s’attaquer à une figure symbolique reconnue comme prophète par tous les musulmans de toutes obédiences politiques, c’était la meilleure façon de renforcer les intégristes et d’affaiblir ceux qui, dans les pays musulmans, luttent pour épargner la régression à leurs sociétés. Provocation aujourd’hui, car l’époque que nous vivons est obsédée par le spectre du 11 septembre qui enferme tous les "basanés" dans une nouvelle catégorie politique appelée "islamisme". Ce n’était pas tout à fait le cas hier. Souvenons-nous, la fatwa contre Salman Rhusdie n’a pas eu l’assentiment de tous les musulmans. Bien au contraire, de nombreux intellectuels arabes ont joint leurs voix à tous ceux qui ont manifesté, par la plume et dans la rue, leur solidarité avec l’écrivain anglais.
Puisse cette provocation infantile servir de leçon pour l’avenir. Que les journalistes s’informent sérieusement, avant d’informer le public. Qu’ils ne reprennent pas à leur compte les catégories politiques que veulent imposer tous les intégristes de toutes les religions. Arrêtons de croire que tout habitant de pays arabe est forcément musulman donc terroriste.
Pour détendre l’atmosphère, sachons que l’interdiction de la représentation des figures humaines a forcé les peintres du monde dit musulman à faire travailler leur imagination. Résultat du travail de leurs méninges, ils ont inventé une peinture, ancêtre de la peinture dite "abstraite".
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