Catalogne et Kossovo le flagrant mensonge espagnol
Ce 13 août 2017, le quotidien El País, proche du gouvernement espagnol, a publié sous le titre "Cataluña no es Kossovo" un long ramassis de contre-vérités prétendant comparer la sécession de la Catalogne avec celle de Kossovo et Métochie.
Sans s'interdire des jugements de morale basés sur des assertions grossièrement mensongères, le journaliste n'a pas ménagé sa peine pour déployer une pseudo-démonstration juridique citant abondamment, et dénaturant systématiquement, l'avis consultatif émis par la Cour Internationale de Justice le 22 juillet 2010. Un tel déploiement d'interprétations fallacieuses sous prétention juridique, dans un journal très influent sur l'opinion publique et politique espagnole, ne peut rester sans réponse. Il se trouve que dans la Neuvième Frontière on étudie en détail cette pièce récente mais majeure de la jurisprudence internationale.
Tout d'abord Xavier Vidal-Folch énonce que "la grande leçon de l'exemple kossovar [...] est qu'une déclaration d'indépendance ne doit pas contrevenir à une constitution". Or au contraire l'avis consultatif de la CIJ se base principalement sur l'argument qu'une déclaration d'indépendance, par sa nature et sa portée, ne se place pas dans le cadre constitutionnel et par conséquent ne le viole pas. On peut ne pas être d'accord avec cet argument, mais il est malhonnête de retourner totalement le contenu d'une décision judiciaire. Cet argument est précisément la pièce maîtresse de l'avis de la Cour Internationale de Justice, qui n'économise ni les mots, ni les lignes ni les pages pour répéter, illustrer et étayer sous moultes formulations l'idée qu'une déclaration d'indépendance relève par nature du droit international qu'un texte constitutionnel n'a pas la compétence d'entraver. Le journaliste espagnol ajoute à la phrase suivante que la loi basique kossovare n'interdisait pas la déclaration de sécession, ce qui est également faux puisque d'une part la constitution en question mentionnait sans équivoque l'appartenance de la province à la Serbie, et que d'autre part elle avait été rédigée en référence exprès à (et en application de) la résolution 1244 du Conseil de Sécurité de l'ONU confirmant l'appartenance de la province à la Serbie (ou plus précisément à la nouvelle Yougoslavie) et réaffirmant l'inviolabilité de l'intégrité territoriale de celle-ci. C'est justement parce que le texte établissant les institutions spécifiques de la province était un mandat strictement administratif, et n'avait ni la portée ni l'autorité de modifier son statut ou son appartenance, que la CIJ a cherché à démontrer que la déclaration d'indépendance avait été effectuée hors de ce cadre. Peut-être cherchait-elle aussi à contourner la question d'une déclaration d'indépendance prononcée par l'autorité d'occupation et d'administration d'une province envahie par la force. L'article assure même que par contre la constitution espagnole interdit formellement toute déclaration de sécession, alors que ce concept n'est même pas évoqué dans ladite constitution.
Ensuite le journaliste entre dans des considérations morales visant à justifier et légitimer la sécession des Albanais de Kossovo et Métochie, mais base ces considérations sur des assertions fallacieuses. Il déclare que le gouvernement central de Serbie avait expulsé 700000 citoyens, ce qui est faux puisque l'exode qui a commencé à se présenter aux frontières extérieures le 27 mars avait été provoqué par les bombardements massifs effectués par l'Alliance Atlantique depuis le 24. Il déclare aussi que Belgrade avait procédé à une "suppression violente" de l'administration propre, alors qu'au contraire la révocation de l'autonomie administrative en 1989 avait été nécessaire pour mettre fin à la violence, et à l'expulsion des Chrétiens par le terrorisme islamique sous le gouvernement autonome, en l'occurrence 300000 expulsés en quinze ans (l'autonomie n'a duré que de 1974 à 1989). Dans son entrain à justifier la sécession prononcée par les responsables islamistes il en oublie la campagne de "purification ethnique" menée contre les Chrétiens sous la supervision des forces d'occupation en juin et juillet 1999, et terminée en mars 2004. Il est évident que si cela avait été le contraire la CIJ aurait invoqué la doctrine juridique de la "sécession-remède" à une oppression, ce qu'elle n'a pas fait. Le journaliste d'El País ajoute que le Kossovo a dû être "libéré par une armée internationale" (qu'empêtré dans la chronologie il appelle la KFOR), alors que la province a été militairement conquise après bombardement par l'Alliance Atlantique, en violation manifeste de la Charte de l'ONU. Il précise que la province serbe a ensuite été pendant près d'une décennie administrée par l'ONU, ce qui est exact, et qu'à la fin celle-ci a recommandé son indépendance, ce qui est faux. L'auteur de l'article évoque ensuite un différent "contexte factuel" qu'il ne précise pas, affirme que la résolution 1244 du Conseil de Sécurité de l'ONU n'interdisait pas la déclaration d'indépendance comme s'il n'avait pas lu qu'elle réaffirmait en son 10° alinéa l'intégrité territoriale de la République Fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), et assure que le cadre constitutionnel établi par la Mission des Nations-Unies au Kossovo permettait la sécession, ce qui n'est pas exact et ne pouvait d'ailleurs pas l'être puisque ce cadre avait été institué en application de la résolution 1244.
Xavier Vidal-Folch conteste l'étude de la Cour Internationale de Justice selon laquelle chaque fois qu'un texte de droit international garantit l'intégrité territoriale d'un Etat c'est toujours face aux menées d'autres Etats (le droit international gère les relations entre sujet de droit international c'est-à-dire Etats souverains) et jamais face à des facteurs de désintégration interne, et il cite la résolution 2625 de l'Assemblée Générale de l'ONU (en prétendant que la CIJ l'a "omise", alors qu'elle l'a citée à son appui)... à contre-propos puisqu'elle interdit, précisément, aux Etats d'attenter à l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'autres Etats, mais enjoint aux Etats de respecter le droit à l'autodétermination.
Révisant la chronologie de l'invasion du Kossovo et de la Métochie, le journaliste déclare que "peu avant que les chars de l'Alliance Atlantique [...] se ruent sur la province balkanique au secours des persécutés par Slobodan Milosevic, en raison de l'insuffisance des bombardements aériens, le Conseil de Sécurité émit le 10 juin 1999 sa fameuse résolution 1244 [...]". Or la Yougoslavie a capitulé le 3 juin, les bombardements aériens ont été poursuivis jusqu'au 10 juin et l'invasion terrestre a commencé le 12, donc évidemment pas pour insuffisance des bombardements aériens mais parce qu'ils avaient obtenu le resultat recherché (la capitulation). Il expose des opinions d'experts, et présente les conclusions personnelles de l'envoyé spécial Martti Ahtisaari ("la seule option viable pour le Kossovo est l'indépendance"), en omettant de préciser qu'elles ont été rejetées, comme l'ensemble de son rapport très partial, par le Conseil de Sécurité. Il assène encore au paragraphe suivant que la proposition d'indépendance avait été formulée par les Nations Unies, alors que le Conseil de Sécurité a désavoué l'envoyé du Secrétaire Général lorsqu'il a présenté son rapport, en mars 2007. Evidemment, de telles approximations n'apportent pas beaucoup de crédibilité ou d'autorité à ses conclusions. Il revient sur le fait que la résolution 1244 ne contenait pas d'interdiction spécifique de déclarer l'indépendance, faisant abstraction encore une fois de la mention expresse de l'intégrité territoriale du pays, mais aussi du contexte dans lequel les puissances de l'Alliance Atlantique victorieuses ont dicté le texte à une ONU qui n'avait aucun moyen de s'opposer à leur volonté, et ne pouvait que leur confier la "protection", c'est-à-dire l'occupation militaire certes sous contrôle civil de l'ONU.
En fin d'article Vidal-Folch reconnaît cependant que, d'après l'avis de la CIJ, c'est parce que les auteurs de la déclaration d'indépendance ont agi comme "notables" plutôt que comme institution d'administration intérimaire qu'ils n'ont pas violé le cadre constitutionnel. Et il ajoute qu'un argument de poids est qu'une déclaration d'indépendance ne doit pas contrevenir à une constitution démocratique.
Car, évidemment, à ses yeux un groupe informel de "notables" agissant de leur propre initiative, hors leurs fonctions électives et sans mandat de sécession, porte une plus grande légitimité démocratique qu'un parlement élu sur un programme expressément sécessionniste, et qui déclarerait l'indépendance au lendemain d'une autodétermination effectuée par le peuple plutôt que par ses élus, au moyen de la victoire de l'alternative indépendantiste à un referendum.
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