Ce dimanche, le mouvement des Gilets jaunes a fêté sa première année. Et après ? (deuxième partie)
Dans la première partie de cet article, nous avons émis l'idée selon laquelle le mouvement des Gilets jaunes ne s'y était pas pris de la meilleure façon pour arriver à ses fins. L'enthousiame et la ferveur qui étaient de mise au début, ainsi que le besoin de faire lien sur les giratoires (très important pour une prise de conscience collective et ainsi espérer fédérer les énergies) semblent être retombés depuis. Et surtout très rapidement.
Alors pourquoi ? Que s'est-il passé ? Si nous avons commis des erreurs — c'est la thèse que nous défendrons ici — où se situent-elles, et peut-on encore rattraper une situation bien compromise aujourd'hui, c'est-à-dire un an plus tard ?
C'est à ces questions que nous allons tenter de répondre. Oui, nous allons tenter de démontrer que nous aurions pu et dû faire autrement, et ce sans aucun jugement contre qui ou quoi que ce soit mais simplement d'un point de vue du témoignage et de l'analyse. Nous avons failli. Et nous en sommes marris.
Un an a passé et le bilan est pour ainsi dire nul. Mais s'agissant de l'avenir, le pire n'est jamais sûr.
Oui, un an a passé et le constat est froid, insensible et sans appel : nous n'avons rien obtenu. Absolument rien. Peut-être quelques miettes... ?
Les frigos qui l'an dernier étaient vides dès le 15 du mois le sont toujours, et sans doute encore plus nombreux cette année. Peut-être même que pour certains, c'est un ou deux jours plus tôt dans le mois ?
Les gens qui témoignaient en décembre 2018 notamment dans le film de François Ruffin J'veux du soleil, — je pense à cette dame handicapée vivant seule avec deux enfants à charge dans les environs de Nîmes et qui faisait les poubelles, qui portait les mêmes vêtements faute de pouvoir s'en acheter de nouveaux, etc.— qu'ont-ils obtenu au juste ?
Las. Force est de constater qu'il n'y a plus personne sur les ronds-points. Et, quand je passe devant l'un d'eux se situant à deux pas de chez moi, c'est cette célèbre chanson de Charles Aznavour (Que c'est triste Venise), qui me revient, et sur laquelle j'ai envie de fredonner... — mais certainement pas sous la douche :
Que c'est triste un rond-point
Au temps des feuilles mortes
Que c'est triste un rond-point
Quand Gilets jaunes n'y a plus
On cherche encore en vain
Ces honnêtes cohortes
On voudrait espérer
Mais on ne les voit plus
Que c'est triste un rond-point
Lorsque nos belles paroles
Ne disent que de méthode
Nous nous sommes bien trompés
Oui, qu'il est bien triste ce rond-point. Lui qui l'an dernier à cette époque, et comme beaucoup d'autres partout dans le pays, était orné de pancartes et de drapeaux... Au passage ce n'était que coucous, trompettes, sifflets et klaxons... C'était la fête. Au début uniquemement les samedimanches, et puis très vite ce fut tous les jours. Une sorte de Restos du cœur improvisés..., et ça marchait. La France d'en bas était là, au bord des giratoires : celle de tout en bas .
S'agissant des couches sociales situées un peu au-dessus, si elles avaient adhéré au tout début, il est indéniable qu'elles décrochèrent très vite (quelques jours).
Toujours est-il qu'à un moment il y avait à ce rond-point quelque cent personnes chaque midi, donc également en semaine, et l'on pouvait soit venir échanger autour d'une tasse de café soit même déjeuner plus ou moins gratis. Cela servait donc de soupe populaire, et je crois que c'était très bien. Et plutôt bien organisé : bravo à ceux qui prirent cette logistique en main. Le peuple se retrouvait : il faisait société.
Et quelle était belle cette France, celle qui permit à Emmanuel Todd de dire sur France 2, le dimanche 2 décembre 2018, devant une Léa Salamé médusée :
« Les Gilets jaunes m'ont rendu ma fierté d'être français. Ce qui vient de se passer, il n'y a que la France qui puisse faire ça : c'est-à-dire faire face au pouvoir, de façon complètement désorganisée, ou organisée aussi mais d'une autre manière. La France est le seul pays qui peut faire ça. »
et aussi :
« (...) Et je m'étonne de la naïveté des journalistes qui ne sont même pas capables de supposer que ces déprédations sur l'Arc-de-Triomphe sont le fait d'agents provocateurs. »
Nous sommes alors à la 7ème minute de l'intervention de l'historien, démographe, anthropologue, essayiste et politologue, et ç'en est trop pour les maîtres de cérémonie, Léa Salamé et Thomas Sotto, qui depuis deux bonnes minutes tentent en vain de passer la parole à quelqu'un d'autre. C'est qu'il dérange quelque peu cet Emmanuel Todd... lui qui se dit issu « d'une famille de vieille tradition communiste... » (minutage exact le concernant : 1h32’50’’— 1h39’20’’)
Mais nous l'avons dit : tout ça est bien fini. Grosso modo la décrue sur les ronds-points débuta vraiment avec la fin du mois de janvier 2019. Allez savoir pourquoi : la fatigue, le froid, les viroses, les conflits de personnes, la prise de conscience que tout cela finalement était bien illusoire, un peu de tout ça... ?
Oui, très vite il n'y eut plus que ceux qui pouvaient vraiment tenir, ceux qui disposaient d'un peu de temps : les retraités. Et aussi quelques chômeurs. Parce que pour les autres, réalité oblige, il fallait bien s'en retourner comme avant, au travail... ou à ce qui en tient lieu, et ce après n'avoir rien obtenu du tout. Hormis les sempiternelles paroles du petit banquier, cette fois-là les deux mains bien posées sur la table. (voir l'excellente vidéo de La Bajon)
Oui, le pouvoir est toujours en place, et à ce jour rien n'indique qu'il n'y restera pas jusqu'à la fin du quinquennat (avril 2022). En outre, bien qu'à quelques jours de la grève du 5 décembre — dure et illimitée nous dit-on — nous avouons être assez dubitatifs sur la suite. Nous y reviendrons.
Alors pourquoi ? Oui pourquoi la neutralisation de ce mouvement des GJ commença-t-elle, et si tôt ?
Volontairement nous mettrons à l'écart tout ce que le gouvernement fit, et pas qu'un peu, certes non, pour neutraliser ce mouvement. Nous nous intéressons ici à l'organisation du mouvement lui-même et à partir de ce que nous avons constaté sur place.
Autrement dit s'agissant des GJ, qu'aurait-il fallu faire, sinon pour éviter cette pente descendante, du moins pour stabiliser le mouvement à un niveau assez proche, numériqument parlant, de ce qu'il était il y a un an ? Oui quoi faire, et ce dès le début ?
N.B. : Nous allons employer le présent, car cela reste d'actualité aujourd'hui.
D'abord bien comprendre que Macron ne nous accordera rien. Ce qui, semble-t-il, n’était pas le cas pour tout le monde. Il y avait en effet beaucoup de naïveté sur les giratoires. Hélas. C'était frappant.
Fort logiquement il fallait dépasser les sempiternels « Macron démission ! » ou « On ne lâchera rien ! » et adopter une politique ambitieuse dite de l'escalier, ou, si l'on préfère, des étapes successives. Et ce dans l’ordre chronologique suivant :
La première marche de l'escalier menant en fin de compte à la prise du pouvoir du peuple, donc à la démocratie — car c'est bien de cela qu'il s'agit — c'est de prendre conscience que nous n'avons rien à attendre du pouvoir actuel. Ni des suivants d'ailleurs, et plus généralement d'aucun pouvoir, si nous le peuple ne le contrôlons pas.
Et pour cela, il faut obtenir le Référendum d'initiative citoyenne (RIC) . C'est le premier point.
N.B. : L'obtenir, cela veut dire l'arracher, l'imposer et ce de nos propres forces (intellectuelles surtout !), de par notre volonté. Une volonté collective et assurée. Parce que sinon, nous ne l'obtiendrons JAMAIS.
D'où la nécessité de mettre en place une éducation populaire, destinée à élever le niveau de conscience politique du peuple et notamment lui faire comprendre que l'objectif prioritaire c'est l'élection présidentielle de 2022 (nous y reviendrons), et aussi la réécriture de la Constitution.
Cette éducation populaire est en effet un passage obligé : la clé de voute de l'édifice que nous devons construire tous ensemble. Car si un jour tout devait exploser — et quelle qu'en soit la raison — nous serions alors prêts. Prêts à prendre le pouvoir, ou tout au moins à nous donner cette possibilité parce que devenus entre temps des citoyens éclairés : nous serions donc compétents déjà pour réécrire nous-mêmes la Constitution, notamment en y insérant le RIC. Nous-mêmes, cela veut dire sans passer par la case d'une assemblée constituante élue. Surtout pas.
La deuxième marche, c'est donc de mettre en place ce dispositif d'éducation populaire. Ne compter que sur nous pour ce faire et surtout s'y tenir. En effet, on ne revient pas comme ça, d'une chiquenaude, sur plus de deux cents ans de conditionnement des esprits selon lequel le peuple, déclaré plus ou moins incapable, devrait avoir des représentants. Et ce sans qu'il puisse les contrôler. La forme organisationnelle pouvant varier, d'un endroit à l'autre bien sûr, mais s'inspirant de ce que Étienne Chouard propose depuis au moins dix ans : des ateliers constituants.
Et de proche en proche, donc avec le temps et du fait que le pouvoir ne cèderait rien ; nous serions chaque jour plus nombreux à nous intéresser cette affaire.... Et nous commencerions à intéresser les médias. Surtout étrangers.
Ces deux marches sont fondamentales. En somme un passage obligé. Nous développerons ce processus et ses conséquences, médiatiques notamment, dans la prochaine partie.
Au lieu de cela, dès le mois de décembre cela partit dans tous les sens : la santé, la transition énergétique, la hausse du SMIC et des retraites, l'annulation de la dette, l'embauche massive de fonctionnaires, etc. Cf la charte officielle des GJ.
Et tout ça pour obtenir quoi finalement ?
Et je vais le dire tout net, et comme je le pense depuis le début, devrais-je en décevoir ou contrarier certains : tant que nous n'aurons pas mis le RIC dans la Constitution, et un RIC en toutes matières SVP !, il était et reste vain de faire des dizaines de propositions ou de revendications.
Dit autrement : cinquante revendications ? C’était 48 de trop.
Il fallait se limiter à deux. DEUX !
1) Le RIC en toutes matières (déjà dit)
2) La suppression de la TVA pour les produits de première nécessité. (alimentation de base, eau, gaz et électricité).
C’est tout.
Toute autre considération ne revenant qu'à vouloir mettre la charrue avant les bœufs.
Nous n'avons donc pas su saisir cette formidable occasion qui s'offrait à nous : capter tous ces gens sur les ronds-points pour les amener à réfléchir à l'opportunité de ces deux premières étaoes. Quelle erreur de ne pas avoir su tirer parti de ce formidable capital de sympathie !
Et en attendant, les frigos sont toujours vides...
Mais nous l'avons dit : s'agissant de l'avenir le pire n'est jamais sûr.
(à suivre)
30 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON