Ce qu’on a oublié dans l’Arche
L’Arche de Zoé répparaît dans l’actualité avec le début de son procès tchadien, rondement mené. Dans les arcanes de cette affaire, on a découvert des choses assez ahurissantes, comme, entre autres, que le directeur de l’association était aussi pompier (à Argenteuil) et qu’il dirigeait aussi en France la Fédération de 4x4. Son titre de pompier lui ayant permis d’approcher facilement l’armée française pour obtenir son soutien logistique en Transall. Ou qu’il a bien été reçu cet été en France par la police, qui a fait correctement son travail en l’interrogeant longuement. Mais aujourd’hui, ce n’est pas ça qui importe. Ce qui est tout bonnement sidérant, c’est de constater que dans l’équipe détenue au Tchad figure des gens dont l’action inconsidérée (en cela tout le monde s’accorde à le dire), n’est dûe qu’à un ras le bol de l’attitude des autorités françaises, et pas n’importe lesquelles, puisqu’elles touchent directement au ministre de la Justice de l’époque précédente, ou plus exactement... sa femme. On comprend mieux aujourd’hui pourquoi l’on cherche à minimiser le rôle de la justice dans cette affaire, en laissant la pauvre secrétaire d’Etat Rama Yade se dépêtrer avec ce qu’on a bien voulu lui fournir comme explications, surtout celles en provenance du ministère de l’Intérieur, aux manettes duquel figure sa grande rivale, Rachida Dati.

Car ce qui semble bien être à la base de l’opération commando
des Enfants de Zoé, c’est un ras-le-bol généralisé, provoqué par une
attitude hautement discutable de certaines autorités. Sinon impossible
d’en arriver là. Encore faut-il que la rancœur ait été suffisamment
forte, en résumé, qu’on se soit suffisamment moqué de certains d’entre
eux, qui n’attendaient qu’une seule chose : de pouvoir adopter un
enfant, pour voir cette opération catastrophique se déclencher. Or, au
vu de ce que vous allez lire après, c’était hautement prévisible. Parmi
eux, en effet, un enseignant particulier fait partie de l’expédition
fiasco : Alain Peligat. Un ancien légionnaire de 56 ans, aujourd’hui formateur de chauffeurs routiers dans un lycée professionnel de Châlons-en-Champagne.
L’homme avait déjà fait la une de la presse en mars dernier, en effectuant avec un autre, Christian Roux, une grève de la faim à la suite d’un refus d’adoption d’enfants au Cambodge. Le Cambodge avait "fermé" alors ses centres d’adoption, au prétexte de possibles trafics d’enfants. Péligat, détenu au Tchad, est aujourd’hui fièrement "le papa adoptant de trois filles de 11 ans, 5 ans 1/2, et 4 ans, toutes trois d’origine cambodgienne (2003 et 2006)", il n’a rien d’un pédophile, et sait donc de quoi il parle, question adoption d’enfants étrangers. Sa femme, aujourd’hui, tente régulièrement et courageusement d’expliquer que son mari n’est ni un monstre ni un total inconscient. Il faisait bien partie en revanche d’une action visant à adopter des enfants, mais pas pour lui en tout cas, et non pas à agir dans un but humanitaire seul. Car il est aussi "le président de l’association NEOK qui vient en aide à l’orphelinat Public Kien Khléang de Phnom-Penh". On se demande aujourd’hui comment a-t-il pu monter avec d’autres une pareille opération. Par dépit, semble-t-il. Oui, mais faut-il qu’il soit tenace pour décider pareille expédition. Or, on va le voir, il y avait bien de quoi être furieux, mais bizarrement les journalistes ne sont pas remontés aux motivations de notre homme, pourtant bien en évidence dans ce dossier. Un fort dépit et une rancune tenace qui avaient culminé déjà lors d’une grève de la faim (pour rien), oubliée déjà par tous les journalistes, ce qui ne lasse pas aujourd’hui de surprendre : un homme aurait risqué déjà sa vie, n’aurait pas obtenu satisfaction, et serait resté après les bras croisés ?
Les deux grévistes
s’en étaient pris en effet très violemment, à l’époque, à l’AFA, responsable selon eux de tous leurs maux. Une
agence bien particulière... il est vrai, qui a focalisé sur elle
énormément de critiques. A juste raison, au point de provoquer une
situation de non-retour, et de blocage complet en communication. Et
cela aussi, personne n’est revenu sur cette attitude : tout s’est passé comme si les personnes impliquées aujourd’hui au Tchad étaient des débutantes et n’avaient jamais rien fait auparavant. Or c’est pourtant la source même de ce qu’il a pu faire après : en avril dernier déjà, un Péligat complétement écœuré se résout à passer outre le fonctionnement de l’Etat. Il n’attend plus que l’occasion. "Puisque l’Etat
est incapable de répondre à ma demande, je vais me substituer à cet Etat", se dit-il. Funeste erreur. Je ne porte pas ici de jugement sur la suite, je condamne tout de
suite l’attitude, c’est celle d’une époque qui veut que les individus se substituent à l’ensemble, une forme de prétention ultime, courante aujourd’hui, et qui fait partie d’un état d’esprit complaisamment véhiculé par certains partis politiques, qui entretiennent un "tous pourris" vengeur. Tout en faisant remarquer qu’on aurait pu éviter d’y
arriver, à ce désastre, avec un peu plus de jugeote et surtout avec des interlocuteurs
un peu plus compétents. Tout sauf la personnalité de Laure de Choiseul, en résumé,
la directrice de l’AFA, responsable à sa façon d’un beau gâchis dont nul à ce jour n’est allé rechercher l’origine.
L’agence française de l’adoption, l’AFA, de création récente, (le 18 mai 2006 seulement !) est un organe public, et qui se prétendait d’emblée "être une nouvelle voie pour l’adoption" face aux difficultés croissantes rencontrées par les familles désirant adopter un enfant étranger. Cet organisme avait eu en effet des pratiques surprenantes, et ce, il n’y a pas si longtemps encore : comme, par exemple, d’effectuer un tirage au sort par huissier de justice pour sélectionner "les heureux gagnants" parmi les familles adoptantes de Vietnamiens, auxquels on "attribuera un numéro d’ordre pour étudier leur dossier"
affirmait alors l’agence sans sourciller, ce qui avait fait bondir les
familles concernées, qui avaient dû remplir un dossier conséquent pour finir par un tour de roulette. La première initiative prise était pour le moins maladroite, et faisait preuve surtout d’une totale absence de pyschologie. Pour s’en défendre, "l’adoption avait besoin d’être moralisée", dit aussi un soir sur un plateau de TV sa très maladroite présidente. Cela pour justifier un grand nombre de refus d’adoption. Un procédé surprenant de la part d’une juriste : la directrice de l’AFA est en effet Laure de Choiseul, magistrate elle-même. Elle n’est autre aussi que la femme du ministre
de la Justice de l’époque Pascal Clément... et accessoirement descendante d’une grande
lignée de noblesse. Lors de sa grève de la faim, Roux avait interpellé Mme de
Choiseul sur un blog, en termes plutôt virulents : "J’ai interpellé Mme de Choiseul sur l’engagement du gouvernement de doubler le nombre d’adoptions, elle m’a répondu que ’ce n’était que des promesses faites par des hommes politiques dans un seul but électoraliste’". La phrase tombe comme un couperet, et résonne étrangement dans la bouche d’un personne qui a pour mari quelqu’un qui faisait alors partie d’un gouvernement ayant décidé de faire ce genre de promesses.
Selon Mme de Choiseul, "le nombre des adoptions a commencé à diminuer en 2006 et va continuer à diminuer dans les années a venir et c’est normal". Choisie dès 2004 par le gouvernement Raffarin, Mme de Choiseul a de biens étranges façon de remercier ses employeurs. L’auteur en conclut, lui, "ce qui reviendrait à dire que le gouvernement français cautionnerait une politique où il dépenserait, pour le fonctionnement de l’AFA, 4 millions d’euros par an et dans le seul but de réduire le nombre d’adoptions en France ?". L’auteur indique qu’il a enregistré l’intégralité de la réponse de l’AFA, au cas où. Quatre millions d’euros pour gérer une seule association, pour des résultats aussi... timorés ? Dans un autre site, on a comptabilisé l’efficacité réelle de l’AFA : "L’AFA pour sa première année de fonctionnement a réalisé 6 adoptions en tout. Même si on ne peut pas lui dénier un temps de latence au démarrage, on ne peut que rester coi devant un résultat aussi misérable. 4 millions d’euros, 6 adoptions." Ça fait cher l’adopté, peut-on dire. Le 3 mai 2007, Laure de Choiseul en reconnaît royalement... 9 ! D’autres bizarreries sont relevées : "L’AFA ne se gêne d’ailleurs pas pour parfois refuser de transmettre un dossier, sur des critères tout à fait différents de la loterie. La Chine refusant les candidats obèse, elle annonce ne pas prendre de dossier de personnes ayant un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 40". Une autre, bien dans la tradition administrative française : "L’AFA a signalé au dernier moment qu’elle laisserait la possibilité aux gens d’envoyer un pré-dossier pour le Cambodge uniquement à la date du 22 mai. Il fallait donc que le courrier soit posté le 22 mai. Ils ont expliqué ensuite qu’ils prendraient les dossiers ’par ordre d’arrivée’". Autant habiter dans un bureau de Poste, si on veut alors adopter et avoir le bon tampon sur le bon dossier.
La
roulette ou La Poste, les choix paraissent aberrants, et la direction
de l’AFA bien inconséquente. Autant de dysfonctionnements
graves, qui auraient donc dû alerter... la justice, des plaintes ayant
bien dû être déposées par des associations ou des parents évincés. Et
ç’est là qu’on s’aperçoit que d’être magistrate, ou d’avoir un mari garde des Sceaux... peut expliquer le retard à prendre connaissance par
cette même justice des dossiers, voire de ne pas même les ouvrir. L’AFA
dérive, dès sa création, mais on laisse faire, en haut lieu, la
proximité de sa présidente d’avec le ministre de la Justice ne devant
pas être fortuite pour les suites judiciaires du problème... Ce qui explique aussi une Rama Yade, ancienne visiteuse du Darfour, et
assez gênée au entournures devant l’Assemblée nationale, car confrontée
aux lenteurs d’une justice et à une administration soucieuse de ne pas
révéler les arcanes de ses propres dossiers. Ou à devoir citer l’action de l’AFA, voire à démasquer le pot aux roses. On comprend aussi un peu mieux à la lueur de ce dossier qui empeste, l’inimitié qui se creuse assez vite entre la nouvelle garde des Sceaux et la toute pimpante secrétaire d’Etat. Des courriers ont été échangés, dont un qui tombe dans la période ou Rachida Dati est aux Etats-Unis, en compagnie du couple présidentiel. La secrétaire d’Etat a de quoi fulminer en attendant une hypothétique réponse.
L’auteur du courrier à l’AFA concluait par une phrase : "Il m’apparaît que le fonctionnement actuel de l’AFA, ou plutôt ses dysfonctionnements et dérives,
sont parfaitement contraires à l’esprit de la loi 2005-744 voulue et
votée par les politiques, et vont contre l’espoir de tous ces enfants
d’avoir une famille !". Une loi "relative à l’agrément des personnes souhaitant adopter un pupille de
l’Etat ou un enfant étranger et modifiant le code de l’action sociale
et des familles". L’auteur en avait averti des politiques, dont François Bayrou. En réponse, lors d’un entretien demandé par une autre association, Cœur Vietnam, et Cœur Adoption,
qui avait elle aussi perçu les dysfonctionnements de l’AFA (voir section "archives"), Mme
Clément se fait porter pâle et se fait représenter. Interpellé, son
représentant parle de "sélection aléatoire" et non de "tirage au sort".
C’est bien la même chose, mais bon, on tente de colmater les brèches
lexicales. Une phrase cruciale sort de l’entretien. L’association relie
pour la première fois humanitaire et adoption : "l’AFA vient seulement de découvrir l’importance de ses coopérations humanitaires pour l’avenir de l’adoption internationale".
Selon eux, en effet, la voie de l’humanitaire n’est pas assez... utilisée... De
là à échafauder une expédition qui mélangerait les genres, il n’y a
qu’un pas que l’Arche de Zoé à franchi depuis, aidée par l’obstruction à
laquelle se heurtent les adoptants en la personne fortement
controversée de Mme de Choiseul. Selon Le Figaro, en effet, "Depuis
peu, le Vietnam délivre ainsi des autorisations d’adoption aux seuls
organismes qui réalisent des projets humanitaires dans le pays".
D’où l’idée d’associer les deux. Les intervenants reprochent également
à Mme de Choiseul des propos "déplaçés" tenus sur des plateaux de
télévision. On leur répond que "les séquences sont coupées au montage et que ce n’est pas ce qu’elle voulait dire".
Ce qui peut paraître bien cavalier, au regard de l’image de marque
véhiculée et des dégâts occasionnés en termes d’image de marque auprès des familles en mal d’adoption. Recevoir un courrier indiquant de pouvoir "rejouer l’année prochaine" n’est pas synonyme d’un grand respect individuel.
L’AFA, semble avoir surtout cherché à éviter les problèmes au lieu de tenter de les résoudre : le site évoque bien depuis "de nouvelles procédures", où a disparu l’emploi d’un possible tirage au sort pour le Vietnam..
Les dysfonctionnements, ou la navigation à vue de la direction semblent
pourtant connus de tous, y compris des hommes politiques les plus en vue. Le 18
avril 2007, un des candidats à l’élection présidentielle répond par un
courrier à l’association Cœur Adoption (section archives) "si
je suis élu, je prendrai les mesures pour rendre le fonctionnement de
l’AFA plus transparent à tous les niveaux et que pour des critères
objectifs de sélection soient mis en place". C’est nominatif, la situation de l’AFA est bien jugée alors comme préoccupante. Le candidat qui affirme qu’il s’en occupera, une fois élu, c’est... Nicolas Sarkozy, qui évoque donc clairement les graves dysfonctionnements de l’AFA dans son courrier, et le manque d’objectivité
qui correspond aux obtentions d’enfants. Explicitement, c’est
reconnaître une certaine incompétence à Laure de Choiseul. A elle, ou à ses
services : "a plusieurs reprises nous avons contacté l’AFA, à chaque
fois des interlocuteurs différents avec des propos différents (....) le
pire c’est l’incompétence qui règne. Un exemple, pour la Chine les
critères financiers sont en dollars, eh bien, ils n’arrivent pas à faire
la conversion, pire ils pensent que le dollars est plus fort que
l’euro ! Que dire !", cite un lecteur outré de Libération. A ce stade, en effet...
Survient alors l’épisode Arche de Zoé. Le 28 octobre dernier, un président français récemment élu condamne
fermement l’action d’un groupe ayant voulu rapatrier des enfants tchadiens,
au nom d’une association où figurent des écœurés de l’AFA, que Mme de
Choiseul dirige toujours... En promettant, je cite, quelques mois auparavant, de faire "toute la lumière"sur l’histoire de cette fameuse AFA. A souhaiter que le projecteur se tourne également vers un service
créé de toutes pièces, dispendieux et inefficace, générateur de rancœur
vis-à-vis des actions de l’Etat français, au point chez certains de
vouloir se passer de ses services... ce qui n’en fait pas une excuse pour autant, entendons-nous bien. Au final, note Le Figaro "3 977 enfants étrangers ont été adoptés en France l’an dernier, un chiffre en-deçà des années précédentes". Plus cher, avec moins de résultats : l’AFA est l’inverse du travailler plus pour gagner plus. Il dépense davantage et rapporte moins. D’enfants à adopter. A donner envie à certains de se passer de ses coûteux services. Je ne les excuse pas, j’essaie de comprendre comment ont-ils pu en arriver là. A écouter des manifestants, qui sur une vidéo daté du 4 juin dernier, scandent "De Choiseul démission".
Peu de temps après, comme à son habitude, notre président hyperactif a pris les rênes en main.
Encore un peu et il aurait pris lui-même les commandes du "jet" pour se
rendre directement au Tchad. Et y faire des déclarations disons un peu prématurées. En promettant, entre autres, d’aller "chercher" au Tchad les détenus français "quoi qu’ils aient fait". Dans l’avion présidentiel, au retour, des
gens qui étaient déjà libérés la veille, mais cela fait mieux bien sûr pour
l’image de marque de revenir avec quelque chose à bord. Un épisode
bulgare bis, dirons-nous, devant un tel écran de fumée.
Mais toujours pas de Péligat à la descente de l’avion. On savait notre président prompt à venir en aide à
son garde des Sceaux actuel. On ne le savait pas capable de le faire
aussi vite pour défendre la femme du précédent... Comme le disait aussi
Le Figaro, tout le monde n’a pas la chance de la "jet-set" : "de
quoi faire encore enfler la polémique à l’heure où Johnny Hallyday,
Angelina Jolie ou Madonna courrent toujours le monde à la recherche d’un
orphelin. Moins favorisés, le candidats lambda se heurte à des
législations de plus en plus sévères dans un contexte où les pays
occidentaux se livrent une concurrence sans merci". Encore moins
d’avoir comme interlocuteur une femme d’ex-ministre qui génère autant
de rancœurs à diriger un organisme de la sorte. Le MAI, émanant du quai d’Orsay de Bernard Kouchner, qui gérait jusqu’ici les dossiers s’y prenait mieux, semble-t-il, et pour nettement moins cher.
Un
conseil, pour conclure, aux naufragés de l’Arche de Zoé : inutile donc
d’affréter un 737, la prochaine fois que vous désirez adopter un petit Africain, déguisez-vous en Brad Pitt, vous aurez davantage de chances
d’en ramener un, sans avoir à passer par la périlleuse case De Choiseul-Praslin. Les "people" en passe-droits à l’adoption, à la télévision, tout le monde en parle, pourtant. "Rien n’avance", dit Boccolini (admirons au passage la veulerie wermusienne). D’autres en ont décidé autrement, en se trompant sur toute la ligne, et ce, des deux côtés.
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