Ce qui m’empêche me rend plus libre
Mon désir et mon libre-arbitre se heurteront toujours à des obstacles mais l’expérience que je tire de la confrontation m’est toujours bénéfique. « Quoi qu'il arrive, j'apprends. Je gagne à tout coup » a dit Marguerite Yourcenar. Ce que j’apprends de mes échecs me rend plus libre. Cela me rend tellement libre que je me rends capable de m’autolimiter. Non par résignation mais en pleine conscience et en toute liberté : « un homme, ça s’empêche », a dit Albert Camus.
Sophie Pétronin, l’otage libéré après de longs mois de captivité, a préféré (librement ?) l’acceptation à la résistance. Pourquoi se consumer en une résistance perdue d’avance, s’est-elle dit, je vais entrer dans une retraite spirituelle. C’est l’acceptation d’une situation qui s’impose à elle et contre laquelle elle ne peut rien. « Libre dans sa tête » comme dit la chanson. A sa sortie, cette liberté ne paraît plus aussi évidente à la mesure des propos qu’elle a tenus. Mais là, c’est une autre histoire dont nous ne savons rien encore…
« Ce qui m’empêche me rend plus libre ». Il faut admettre que cette maxime n’est pas toujours vraie. Il est des empêchements qui portent atteinte à la liberté essentielle de l’être humain : la misère, la vie sous une dictature, l’emprisonnement, les politiques de discrimination, sont des limites intolérables à la liberté essentielle, à savoir la liberté consubstantielle à l’être humain, celle qui est liée intimement à sa vie même. Les victimes d’atteintes graves à leurs libertés fondamentales sont rarement libres. Rares sont les grandes âmes qui en ces circonstances se libèrent par la seule force de leur esprit. Mettons ces cas à part. Dans nos vies quotidiennes, les obstacles qui nous empêchent font notre éducation. Ils nous éclairent et nous apprenons à leur contact à mieux gérer notre liberté.
La liberté n’est pas d’agir selon son gré et sans aucune retenue. La vraie liberté s’est éduquée. En conséquence, elle sait dire « non ». C’est même là le début de toute pensée critique, de savoir dire non. La conscience de mes limites et de mon devoir me permettent de cerner l’étendue de ma liberté pour mieux l’exercer.
Il faut être lucide : notre vie est limitée quand les possibilités de choix qui se présentent à nous nous semblent infinies. La finitude de notre existence ne nous permet pourtant pas de tout embrasser. Il nous faut ainsi choisir, renoncer, parfois s’empêcher.
Les renoncements sont ainsi autant de directions données à notre liberté qui a besoin d’être canalisée. C’est le carcan de la liberté.
Autre exemple. Je me rends plus libre quand je renonce à un pouvoir qui n'est pas pour moi. Face à la tentation du pouvoir, je m'empêche. La puissance du self-contrôle est plus forte que le désir de régner. Le personnage de Tolkien prend l'anneau malgré lui et, par le pouvoir de sa liberté, renonce à s'emparer des pouvoirs infinis qu'il offre à son détenteur. Céder à l'envie du pouvoir est une faiblesse.
La vraie liberté est de s'empêcher quand le pouvoir n'est pas pour nos épaules. Celui ou celle qui peut plonger son regard du haut sommet sans ressentir ni ivresse ni vertige est apte à exercer le pouvoir avec tout son poids. L'attrait du gouffre ne l'entraînera pas. Il n'obéira qu'à lui-même pour le plus grand bien de tous.
Il existe un exemple d'empereur romain qui exerça le pouvoir le temps qui était nécessaire pour la nation, pour son pays, et qui s'en retourna ensuite cultiver paisblement ses occupations. Brutus - mal vu par l'Histoire mais réhabilité par Shakespeare - exerça son pouvoir pour éliminer César. Il le fit sans envie et sans ambition de s'emparer du pouvoir. Il le fit selon Shakespeare par idéal et pour rétablir l'esprit libre et républicain de ses compatriotes.
Excalibur se refuse à tous les chevaliers ; elle ne s'offrira qu'à celui qu'elle juge apte à régner sur les Bretons. Malheureusement, le pouvoir n'est pas comme Excalibur : il se laisse prendre par n'importe qui. A chacun donc, par esprit de responsabilité, de savoir s'emêpcher s'il ne sait pas apte à gouverner. Je vais en agacer plus d'un mais je dis qu'il ne suffit pas d'enfiler un gilet jaune pour se voir revêtu de la légitimé de réclamer des réformes insensées comme le référendum populaire généralisé ou la démission du président légitimement élu. Le peuple n'est pas pour autant privé de liberté de résistance voire de rébellion. Il suffit qu'il s'oppose et revendique avec un esprit de responsablité. "Ce qui m'empêche me rend plus libre" veut dire esprit de responsabilité.
Résister au pouvoir, c'est aussi résister au pouvoir de manipuler l'émotion pour influencer la pensée des autres. Les médias comme les réseaux sociaux ne savent pas toujours s'empêcher. Seuls ceux qui ont la capacité de s'empêcher sont véritablement libres et, partant, dignes de confiance.
La peur peut nous empêcher. Ce qui nous empêche, avec la peur, est en nous-même. Si nous laissons cette peur prendre le contrôle de nos choix, nous sortons de l’empêchement utile. Les citoyens gagnés par la peur et qui réclament - par peur de l'autre - des mesures excessives qui limitent les libertés, renoncent à leur liberté. La peur aliène le citoyen.
En revanche, un empêchement bien réel comme le couvre-feu ou le confinement ne nous interdit pas d’être libre. C’est tout au contraire un défi lancé à notre liberté. Car, si la liberté intègre les renoncements, elle vit aussi de défis ! Mes libertés de mouvement sont réduites ? Et bien, je vais trouver d’autres moyens d’exercer ma liberté !
« Un homme, ça s’empêche » mais un homme, ça se défie aussi.
Vive la liberté !
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