Cécité idéologique

Tandis que les regards de Claude Guéant et de Marine Le Pen (mais aussi de la presse paresseuse) sont fixés sur Lampedusa, l’Egypte et la Tunisie, par touches successives, connaît un retour de centaines d’individus, ayant eu le statut de migrants « politiques » et « économiques », à leur pays respectif. En premier lieu des « élites », médecins, informaticiens, avocats ou ingénieurs - la plupart sous-employés dans leur pays d’exil - et d’autres, minoritaires, choisissant de quitter des postes importants pour participer au renouveau de leur pays. Le mouvement, certes discret pour l’instant, touche tous les pays de l’Union Européenne, et plus particulièrement la Grande Bretagne, la Belgique, l’Irlande et l’Espagne, pays qui vivent en ce moment un ouragan économique, voire une récession touchant en premier lieu les classes moyennes. Mais en France le phénomène est aussi visible, surtout en ce qui concerne les élites tunisiennes ayant fui l’arbitraire et la prédation du système Ben Ali. Souvent discrets, tâtonnants, ne coupant pas les ponts de manière définitive, ces départs ne font pas la une aux pays du départ, mais sont salués et quantifiés à ceux de l’arrivée. Les articles de la presse égyptienne et tunisienne n’en finissent plus indiquant surtout que les dictatures non seulement affament les peuples, mais en plus les amputent de leurs élites, du savoir, de l’innovation, devenant des lieux de recyclage, de mimétisme, de suivisme et d’exécuteurs bon marché des commandes des entreprises qui ont collaboré avec ces régimes pour leur grand bonheur sonnant et trébuchant. Tandis que rien n’est réglé dans ces pays, tandis qu’ils vivent encore un chaos administratif, que les beaux jours ne sont qu’à venir, que l’incertitude pour tout et sur tout est encore présente, l’attraction d’un pays enfin libéré est si grande que beaucoup tentent déjà l’aventure. Mieux : ici et là apparaissent des papiers indiquant que « c’est le moment », que « c’est justement ce magma encore sans forme » qui est propice à créer et imaginer, à reprendre sa place, ou, variante plus idéologique, « c’est maintenant que l’on a besoin le plus des exilés et de leur savoir faire ». La toute dernière saillie de Claude Guéant, laquelle, le moins que l’on puisse dire, est qu’elle indique une vision misérable de la géopolitique, de l’économie et une méconnaissance de l’importance stratégique des flux migratoires, a immédiatement été contestée par Christine Lagarde, qui, elle, cyniquement, perçoit le danger de telles déclarations sur l’économie qui a (et aura de plus en plus) besoin de main d’œuvre spécialisée et de cadres scientifiques, mais aussi de médecins et de personnel hospitalier acceptant un travail de plus en plus mal payé et pénible. Et pas seulement
Aujourd’hui encore, il existe un nombre incalculable d’aide cuisiniers, de plongeurs, de livreurs égyptiens et tunisiens possédant des diplômes qui, au sein d’une économie émergeante délestée de la prédation et de la corruption y trouveront leur place. Et ce n’est pas le Front National qui va les remplacer chez les restaurateurs niçois qui votent pour lui.
Il a suffi d’une campagne robuste de la part des gouvernements indien et pakistanais visant leurs ingénieurs nationaux en Grande Bretagne pour que des centaines d’opérateurs qualifiés quittent l’industrie informatique britannique et rentrent chez eux.
En politique, les prémices, les nouvelles tendances, la naissance de flux nouveaux, sont des annonciateurs, et ceux qui les sous-estiment sont invariablement condamnés à tourner casaque, et à se mettre à supplier ceux-là même qu’ils vilipendent.
Mais des changements de casaques, on y est tellement habitués…
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