Ces chaussures lancées à la figure de Bush : un beau jeu de mots du « Canard » en hommage
Le lancer de chaussures par un journaliste irakien contre le président Bush en début de conférence de presse, dimanche 14 décembre 2008, à Bagdad a fait le tour du monde. On a beau se dire que le respect est dû au représentant d’une nation. Qui, pourtant, au vu de la vidéo tournée, l’instant de la surprise passée, n’a pas été pris de fou rire en réalisant après coup ce qu’il venait de voir ?
Le ressort de la farce
Le ressort de la farce est bien remonté avec la distorsion entre ce qui devrait être et ce qui est : pour rétablir l’équilibre des choses, l’éclat de rire est irrésistible. On n’est pas dans une salle de conférence de presse en présence du président des Etats-Unis d’Amérique mais à la foire devant la baraque d’un jeu de massacre où un joueur se précipite pour envoyer coup sur coup deux projectiles sur une poupée à bascule. Seulement la poupée, c’est le président Bush qui esquive par deux fois, montrant en passant qu’il a de bons réflexes, et les balles de son, les propres chaussures du lanceur.
S’avouera-t-on qu’avec cet éclat de rire devant cette scène burlesque, on a senti crever en soi, comme un abcès, la poche d’un secret contentement et que, même, oui, on a jubilé par procuration à cette lapidation symbolique, tant, par sa politique, ce président Bush a concentré sur sa personne en huit ans de mandat haine et mépris ? Comme on dit, ça soulage un instant, même si ça ne change rien.
Ce n’est certes pas très glorieux car, loin de toutes représailles, on ne s’expose pas, quand ce journaliste irakien a pris, lui, le risque de se faire emprisonner et d’abord brutaliser par les forces de sécurité qui l’ont plaqué au sol ; il aurait un bras cassé. Mais c’est vrai qu’on lui est presque reconnaissant d’avoir eu le courage de violer le protocole pour exprimer tout haut par son acte ce que tant de monde pense tout bas : « Tiens, voilà ton cadeau d’adieu, espèce de chien ! a-t-il crié. De la part des veuves , des orphelins et de tous ceux qui sont morts en Irak ! » Lui-même, dit-on, a été éprouvé dans sa propre famille.
Un beau jeu de mots du « Canard » en hommage
Aussi est-il meilleur hommage rendu à ce journaliste que ce jeu de mots en manchette du Canard Enchaîné de cette semaine : « Attentat à la chaussure en Irak : À… bas Bush ! » ? Là encore, le temps d’opérer le réajustement des sons, et c’est l’éclat de rire ! Un usage de moyens minimal pour un effet maximal ! Telle la force du jeu de mots. Le rire surgit du tragique.
Plus les idées entrechoquées sont éloignées, plus éclatante est la déflagration. Ici, il y a trois idées très différentes, sans aucun rapport l’une avec l’autre, que les seuls sons non seulement associent mais font encore s’emboîter comme trois pièces indifférenciées dans un puzzle : « À bas » – « babouche » et « Bush ». Et de leur emboîtement imprévisible éclate une quatrième idée qui est un cri de proscription : « À bas Bush ! »
Qui avait songé jusqu’ici que le nom même du président Bush était constitutif d’une pantoufle moyen-orientale, la babouche ? Le contexte du jet de chaussures a fait jaillir cet attelage grotesque, au point de légitimer comme une folle parenté entre « Bush » et « babouche » qui n’attendait qu’à voir le jour. D’autre part, le même contexte réunit simultanément le cri de proscription « À bas » et le port de chaussure à la mode moyen-orientale, « à babouche ».
Et comme il se doit pour tout jeu de mots, l’équation de sons est donnée abusivement pour une équation de sens, ce qui déclenche le rire. La frappe du jeu de mots vient de ce qu’une intrication insensée de sons va jusqu’à produire par la seule homophonie une légitimation de sens selon toutes les apparences d’un syllogisme : en somme, puisque « Bush » était déjà contenu dans « babouche » et « ba » dans « À bas ! », « À bas Bush ! » s’impose comme une conclusion toute naturelle du raisonnement. Cet attentat à la chaussure était dès lors prévisible. On peut même dire qu’ « il était écrit » dans le nom même du président. Il ne l’a donc pas volé !
Le vénérable Jorge, ce moine aveugle et fou dans « Le nom de la Rose » d’Umberto Eco/Jean-Jacques Annaud, n’avait pas tort d’empêcher par le poison sa communauté de lire le traité d’Aristote sur le rire. Rien ne résiste au rire, ni la crainte des puissants, pas même celle de Dieu. Parmi les images qui resteront du président Bush, celles où, pris pour "une tête de massacre", il esquive deux chaussures qui lui ont été lancées à la figure par un journaliste irakien désespéré, ont toutes chances de rester dans les mémoires pour sa honte.
Paul Villach
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