Ces DRH décrochent des entretiens d’embauche à votre place (RH 3.0)
Vous souhaitez avoir des entretiens en vue d’une embauche, mais vous avez la flemme de passer vos journées à écumer les sites d’offres d’emplois ou bien vous manquez cruellement de motivation pour être « au top » ? Faites donc appel à un « recruiting assitant » ; il usera de ses compétences pour vous décrocher le premier rendez-vous.
Benoit de BEAUCEVE est à la retraite depuis 2 ans. Ce sexagénaire niçois passe près de 4 heures par jour devant son écran à surfer sur les sites d’emplois pour des individus qu’il connaît à peine. Car Benoit est « recruiting assitant » au sein de… Net Recruiting Assitant (NRA). Créé en 2017, ce site Internet, installé à Nice, propose de déléguer la recherche d’emploi à des professionnels en Ressources Humaines. Ses atouts ? « Une totale maîtrise dans la rédaction des CV, une belle plume, une parfaite connaissance des entreprises locales et un zeste de pragmatisme » affirme-t-il. Ce professionnel aguerri se targue ainsi de décrocher une vingtaine de rendez-vous par mois. « C’est très valorisant de participer au développement de carrières », se justifie-t-il.
Recherche d’emploi par procuration. La clientèle cœur de cible est essentiellement constituée de jeunes entre 18 et 25 ans : jeunes diplômés sans expériences, ou encore jeunes sans diplômes, voire « galérien » qui s’y prend comme un manche.
L’entremetteur précise ne pas accepter plus de trois clients en même temps, afin de ne pas devenir « schizophrène ». Après un entretien physique ou téléphonique d’une heure, lors duquel ses clients reviennent sur leurs compétences, leurs expériences, leurs motivations… Benoit prend alors la main sur le process et se glisse dans la peau de son client. « Je leur déconseille d’intervenir dans mes échanges pour éviter les quiproquos ». Si telle ou telle entreprise prend contact pour un entretien téléphonique, la consigne est claire : report du RDV. Pour se faire, Benoit met à disposition de ses clients plusieurs motifs légitimes (je suis en voiture, je n’ai plus de batterie…). D’une manière plus générale, il est demandé au client de ne pas répondre si l’entreprise appelle (les lignes de cette dernière sont toutes mémorisées dans le téléphone du client qui saura alors qu’il a été contacté).
Dans une telle situation, l’entretien téléphonique sera précédé d’un échange entre Benoit et son client afin de préparer l’échange sur la base de la lettre de motivation et du CV envoyé.
Chaque CV est cousu main en fonction de son destinataire. C’est un véritable travail qui nécessite une rigueur doublée d’une capacité d’adaptation non seulement à l’annonce mais également à l’entreprise. Et pour les lettres de motivation, elles sont adressées ad hominem. Benoit procède systématiquement à une petite enquête afin de savoir qui est décideur dans le recrutement. Allant même jusqu’à récupérer les profils des personnes concernées sur internet afin, explique-t-il, de « poser des liens d’affects ». « Ainsi, on brode un peu le CV pour qu’il accroche le lecteur. Par exemple, si je sais que tel recruteur est adepte de plongée sous-marine, je mettrai cette pratique dans les hobbies de mon client. Quitte à faire quelques recherches sur internet pour savoir comment mon client devra répondre aux éventuelles questions y relatives ! »
Cette nouvelle profession n’est pas connue en France. Elle est pratiquée à l’état embryonnaire avec plus ou moins de succès, et ce sont les écrivains publics qui, à ce jour, sont les plus sollicités. Certes ils savent écrire explique Benoit. Mais dans le domaine des ressources humaines, ils n’ont aucune compétence particulière. Et il sait de quoi il parle puisqu’il a recruté plus de 1 000 personne depuis le début de sa carrière. Et attention souligne-t-il, « il existe des sites farfelus qui proposent des méthodes prétendument novatrices aux résultats fantastiques. Mais ce n’est que du vent pour vendre, en amont, des formations à 2 000 e la journée : Gare aux crapules ! ».
Payer pour voir. Avec Benoit, il faudra compter environ 100 euros pour une « refonte de profil » et environ 600 euros pour une prestation de recherche (incluant rédaction du curriculum vitae et de la lettre de motivation » avec obligation de résultat – votre assistant s’engage à vous décrocher au moins un rendez-vous téléphonique ou physique avec une des sociétés ciblées. Le pack premium de Net Recruiting Assistant (pour lequel il faudra débourser 1000 euros) garantit trois rendez-vous sous soixante jours, faute de quoi le client est remboursé. « Les clients que nous accompagnons sont en poste au bout de deux à trois rendez-vous » estime Benoit, le fondateur de la société Net Recruiting Assistant. La société propose également, à la carte, un coaching habillement et comportemental, mais aussi une liste de réponses ad hoc aux traditionnelles questions posées lors des entretiens – parlez-moi de vous, vos défauts et qualités…
Cas de conscience. Si le concept peut choquer, il n’en révèle pas moins en creux l’aspect fastidieux et frustrant des sites d’emplois. « Une expérience solitaire, chronophage et souvent pénible, parce que l’on est confronté à l’absence de réponse, au silence. A l’échec » décrit Benoit. Selon lui, « il faudrait entre cinq à six heures de présence devant son écran, et ce pendant au moins quinze jours, pour décrocher un entretien. De surplus, il est souvent rédhibitoire d’envoyer un CV et/ou une lettre de motivation « unique, modélisé ». C’est un non-sens, une aberration ». Car le taux de réponse est très faible et, même si un échange s’installe, il n’est pas rare qu’il s’interrompe brusquement, l’entreprise ne donnant pas de suite.
Reste que ce genre de pratique pose un cas de conscience « Les clients de ces services acceptent délibérément de démarrer une histoire sur un mensonge. La première prise de contact est biaisée, puisqu’on s’est fait remplacer par un professionnel. On peut éprouver le sentiment d’avoir quelque chose à se reprocher » met en garde Manuella Kino, psychologue du travail. Pour autant, Benoit nous affirme que jamais une entreprise ne s’est posée la question. « Dans le cadre d’un recrutement, comme d’ailleurs dans la vie de tous les jours, nous sommes dans une pièce de théâtre ! Je ne suis que l’accessoiriste, le souffleur ». Nous avons interrogé Kévin sur ce point. Le jeune homme affirme avoir avoué son secret à sa DRH. Enfin, en partie. « Je lui ai dit qu’un ami m’avait aidé à rédiger mon CV et ma lettre de motivation… ». Faute à demi avouée sera-t-elle totalement pardonnée ? « Au final l’important c’est que le client soit réellement compétent dans ses fonctions » tranche Benoit. « Le reste c’est de la comm. Tout simplement… ».
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