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Accueil du site > Tribune Libre > César, au secours, on a perdu Lutèce !

César, au secours, on a perdu Lutèce !

Paris ne serait plus Paris. Ou plutôt, Lutèce n’aurait pas vraiment été Lutèce. Bref, c’est à en perdre son latin. Tel est le cri d’alarme que lance le journal Le Monde dans le cinquième article de sa série d’été consacrée aux Gaulois. La Lutèce gauloise n’aurait-elle pas été plutôt 15 km plus à l’est, à Nanterre où les archéologues mettent au jour des vestiges auxquels ils ne s’attendaient pas ? Matthieu Poux est pour, Jean-Louis Brunaux contre. Où diable se trouve la « Lutèce gauloise » ? « Sincèrement, je n’en sais rien », répond Christian Goudineau, professeur au collège de France, titulaire de la chaire des Antiquités Nationales. http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2009/07/25/lutece-ville-fantome_1222749_3214_1.html

 
 
Pauvre César ! Ta gloire militaire et d’écrivain n’aura duré qu’un temps. Jusqu’au siècle dernier, on prenait encore tes écrits pour des paroles d’évangile. Aujourd’hui, les temps ont changé. César s’est-il trompé, écrit l’auteur de l’article. "César n’écrit ni pour nous ni pour l’histoire, rappelle M. Goudineau. Il écrit pour les sénateurs de Rome, qui se moquent complètement du nom de ce bourg du nord de la Gaule !" Affirmation contestable ! Suétone dit tout le contraire : il a laissé des commentaires sur la guerre des Gaules et sur la guerre civile, dans l’intention de fournir des matériaux à ceux qui s’occupent d’écrire l’histoire (Vie des douze César). Ô illustre César ! En écrivant tes remarquables Commentaires sur la guerre des Gaules, tu n’imaginais pas que 2000 ans plus tard, c’est une nouvelle archéologie dite scientifique, née sur le mont Beuvray, qui allait vouloir tout remettre en question.
 
Oppidum et ville sont deux choses différentes.
 
 La chose est incroyable. C’est un affreux mélange. Oppidum, ville, pour nos historiens, c’est la même chose. On est parti sur la fausse idée qu’on se faisait d’une Bibracte au mont Beuvray, tragique erreur ! Il faut revenir aux textes anciens.

 Le tracé de l’oppidum ne doit être ni carré ni formé d’angles saillants ; il doit être courbe afin que l’ennemi soit en vue du plus loin possible. Il est essentiel aussi que les accès des portes ne soient pas directs mais obliques (d’après Vitruve).
 "Oppidum” vient de ops, secours, parce qu’il est fortifié pour prêter secours et parce qu’il en faut pour protéger l’existence, où l’on puisse se mettre à l’abri. Ou bien le mot vient de "opus”, ouvrage, à cause des remparts qu’on élève pour mieux le fortifier (d’après Varron).
  Les uns distinguent l’oppidum du vicus et du castellum uniquement par sa grandeur. D’autres le définissent ainsi : une position entourée par une muraille, un fossé ou par toute autre fortification. D’autres y voient outre la muraille, des bâtiments, un temple, une place publique, un forum. D’autres parlent d’oppidum à cause des murs, que le lieu soit entièrement habité ou qu’il ne serve qu’à mettre à l’abri les richesses (d’après Servius).
 
  Rien à voir avec l’idée que se font les archéologues d’un oppidum.
 
 Quant à "l’urbs", c’est la ville, c’est-à-dire l"agglomération urbaine (l’ensemble des maisons) qui s’est développée à l’intérieur de l’oppidum ou en dehors mais sous sa protection et à proximité immédiate de telle façon qu’en cas de danger, la population de la ville puisse se réfugier le plus rapidement possible dans le dit oppidum.
 
Si l’on raisonne dans la logique militaire, l’oppidum de Lutèce ne peut être que l’île de la cité. La ville de Lutèce ne peut être qu’à l’emplacement où l’on situe la ville dite gallo-romaine, de l’autre côté du fleuve, sur la rive gauche.
 
Aucune trace gauloise, rien que du Gallo-romain va-t-on m’objecter. C’est ce qu’on m’a déjà dit lorsque je situais la ville gauloise d’Alésia là où les archéologues ne veulent voir qu’une ville gallo-romaine, sur le mont Auxois. Passons ! Gaulois, têtes de bois !
 
Ah non ! On ne va pas encore nous ramener la thèse de Bibracte au mont Beuvray et celle d’un Augustodunum fondé par Auguste ! Ah non ! On ne va pas encore nous ramener la thèse de l’oppidum du type plateau de Merdogne ! Ah non ! On ne va pas encore nous ramener que les Gaulois ne connaissaient pas l’usage de la chaux et que, par conséquent, ils ne construisaient pas en dur mais qu’en bois ! Toutes ces thèses, je les conteste depuis maintenant une éternité.
 
Méfions-nous également des compromis qui satisfont les uns et les autres mais non la vérité historique ! Voir la population gauloise citoyenne de Lutèce à Nanterre et son oppidum/refuge dans l’île de la cité, à 15 km de distance, est une thèse qui ne tient pas non plus la route.
 
Reprenons le texte de César.
 
Il cite sept fois Lutèce.
 
Concilium (in) Luteciam Parisiorum transfert. Il transfert le conseil à Lutèce des Parisiens. Luteciam profiscitur. Il (Labiénus) se met en route vers Lutèce. Id est oppidum parisiorum, quod positum est in insula fluminis Sequanae. C’est l’oppidum des Parisiens, qui est dans une île de la Seine. Metlosedum. Id est oppidum Senonum in insula Sequanae positum, ut paulo ante de Lutecia diximus. Melun. C’est un oppidum des Senons dans une île de la Seine, comme nous venons de le dire pour Lutèce.
 
Luteciam incendi pontesque ejus oppidi rescindi jubent. Ils (les chefs gaulois) ordonnent d’incendier Lutèce et de couper les ponts de son oppidum (à la place d’un adjectif possesssif non réfléchi qu’il ne possède pas, le latin emploie le génitif du pronom de rappel is). Les traductions classiques sont donc fautives et illogiques. On n’incendie pas un lieu dans lequel on va se réfugier. En revanche, on incendie la ville de Lutèce qui se trouve à l’endroit que j’ai dit. On se réfugie dans l’oppidum de l’île de la cité et on coupe les ponts.
 
Ipsi profecti a palude ad ripas Sequanae e regione Luteciae contra Labieni castra considunt. Quant à ceux (la troupe gauloise de Camulogène), ils se mettent en marche, quittant le marais et se dirigeant vers les rives de la Seine, tout près de Lutèce, face aux camps de Labiénus. Manoeuvre tout ce qu’il y a de plus logique et classique (entre la ville de Lutèce et Labiénus).
 
Ma traduction est au plus près du texte latin. Les traductions classiques sur lesquelles les historiens et les archéologues se basent ne le sont pas. Imprécisions et faux-sens sont incroyablement nombreux quand ce ne sont pas des contre-sens. Cela peut s’expliquer par le fait que les professeurs d’université qui se sont lancés dans ces traductions les ont faites beaucoup trop vite mais ce n’est pas une excuse.
 
Depuis la Bourgogne où je vis et écris, merci au journal Le Monde de bien vouloir rassurer nos amis Parisiens. Lutèce est bien à Lutèce et Paris sera toujours Paris.
 
 
 
 
 
 


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19 réactions à cet article    


  • Pyrathome pyralene 27 juillet 2009 11:19

    Ah,moi qui croyait que Paris eût été fondé dans le neuf/trois....


    • Akwa Akwa 27 juillet 2009 11:30

      Mais à partir du moment où l’arène et les thermes sont situés au sud de l’ïle de la Cité (sur la rive gauche) pourquoi certains veulent placer Lutèce à Nanterre ?
      A quelle ville se rattacheraient donc ces deux monuments romains ?


      • non666 non666 27 juillet 2009 12:04

        Le monsieur vient d’expliquer la difference entre la ville gallo-romaine (posterieure donc) et la ville gauloise d’AVANT la conquete des Gaules.....

        Les vainqueurs construisent frequement sur les sites de resistance remarquable de leurs victimes.
        Sous de nombreuses eglises, on trouve des sites sacrés « paiens »

        Dans le meme ordre d’idée, si un archeologue vient a decouvrir des synagogues et des mosquées en france, dans 2 000 ou 3 00 ans devra t’il penser que la france etait musulmane ou juive ?

        S’il suivait votre raisonnement, il pourrait faire une erreur.
        Heureusement , nous laisserons des traces pour expliquer que notre hospitalité « malgrès nous » a juste eté un peu debordé par ceux a qui nous avons fait l’aumone d’un hebergement....


      • Emile Mourey Emile Mourey 27 juillet 2009 12:56

        @ Akwa

        Pourquoi certains veulent placer Lutèce à Nanterre ?

        Parce que les traductions du texte de César sur lesquelles ils s’appuient ne sont pas bonnes et qu’ils ne font pas confiance à ma traduction.


      • Arcane 27 juillet 2009 13:05

        A l’auteur,

        Nanterre pas Lutèce si vite !


      • Akwa Akwa 27 juillet 2009 14:38

        Merci non666 pour ces précisions. L’article ne m’étais pas apparu très très clair.

        Si je résume bien :

        - certains pensent (ce qui n’est pas le cas de l’auteur) que les Gaulois avaient un camp fortifié sur l’île de la Cité, pour « protéger » Lutèce qui se serait trouvé à Nanterre (les habitants prenant alors le RER en cas d’attaque pour rejoindre le camp).
        Les Romains auraient par la suite recréé une nouvelle ville avec thermes et arènes au sud de l’île.

        - Les autres pensent que la ville était située au sud de l’île, à proximité du camp fortifié, les Romains la reprenant à leur compte en y ajoutant les thermes et les arène.


      • Akwa Akwa 27 juillet 2009 14:45

        @Emile

        Merci. Mais alors, que donne la traduction « erronée » pour penser que Lutèce est à Nanterre ? Quels détails font penser à ces chercheurs que Lutèce est à Nanterre ?


      • Emile Mourey Emile Mourey 27 juillet 2009 15:44

        @ Akwa
        @ Gilles Louïse

        Voici la traduction du passage important que j’ai trouvé sur le web : L’ennemi, averti de cette marche par ceux qui s’étaient enfuis de Metlosédum, fait mettre le feu à Lutèce, couper les ponts de cette ville ; et, protégé par le marais, il vient camper sur les rives de la Seine, vis-à-vis Lutèce et en face du camp de Labiénus.

        Je ne la comprends pas.

        Gilles Louïse, à l’aide !


      • Paul Cosquer 27 juillet 2009 12:06

        Le Monde aurait confondu Lutèce et précipitation ? Les journalistes sont souvent pressés de conclure pour faire un papier sensationnel. Or, dans la discipline de l’Histoire, il faut savoir avancer très prudemment.


        • Emile Mourey Emile Mourey 27 juillet 2009 12:51

          @ Paul Cosquer

          Très juste ! La vitesse est mauvaise conseillère.


        • Stalker 27 juillet 2009 13:49

          Vu les vestiges archéologiques antiques présents à Paris, il est vrai que la thèse de Nanterre parait saugrenue à première vue. Ce ne serait pas étonnant de la part de journaux qui, même de la qualité du Monde, ne savent pas toujours résister à la tentation de faire dans le sensationnel.

          Il y a le même problème pour l’histoire contemporaine, avec une tendance marquée dans les journaux pour des thèses marquées et spectacualaires (exemple de livres sur le nazisme, la découverte de la tombe de la famille de Jésus ou de l’Evangile selon Judas).


          • Defrance Defrance 27 juillet 2009 14:57

            Tot ca pour occuper la populace, Goebel n’aurait pas fait mieux !


            • franc 27 juillet 2009 15:12

              J’ ai plus confiance en vous mr Mourey qu’en mr Goudineau et j’ai plus confiance aux écrits historiques de César sur la Gaule que les spéculations et extrapolations de soi disant historiens d’aujourd’huis


              • Emile Mourey Emile Mourey 27 juillet 2009 15:29

                @ franc
                @ Gilles Louïse

                Merci ! C’est un bel hommage que vous rendez à mon travail. Se remettre au latin après autant d’années d’interruption, cela ne se fait pas un jour mais c’est assez passionnant de se rendre compte que le « cerveau latin », selon la formule de M. Gilles Louïse, ne fonctionne pas tout à fait comme le nôtre.


              • Emile Mourey Emile Mourey 27 juillet 2009 16:09

                @ tous

                Je viens de m’apercevoir que j’ai sauté un mot dans ma phrase : Quant à ceux (la troupe gauloise de Camulogène), ils se mettent en marche, quittant le marais et se dirigeant vers les rives de la Seine, tout près de Lutèce, face aux camps de Labiénus.

                Il faut lire : Quant à ceux (la troupe gauloise de Camulogène), ils se mettent en marche, quittant le marais et se dirigeant vers les rives de la Seine, ils s’établissent tout près de Lutèce, face aux camps de Labiénus.

                Le verbe considunt est une terme militaire. Le mieux serait de traduire par : ils s’installent en position défensive.


                • Georges Yang 27 juillet 2009 16:43

                  Nanterre n’est pas à l’Est de Paris, en dehors de ce lapsus calami, l’article tient la route, si ce n’est la voie (ou la voix ) romaine


                  • Emile Mourey Emile Mourey 27 juillet 2009 17:07

                    @ Georges Yang

                    Il y a en effet une faute de frappe dans l’article du journal Le Monde. Il faut lire 1km 500 et non 15km que j’ai repris bêtement, bien que j’avais prévu de corriger. Et il faut compter cette distance depuis le pont probable gaulois qui conduisait à l’île de la cité , là où les archéologues voyaient jusqu’à aujourd’hui la ville gauloise.


                    • Emile Mourey Emile Mourey 27 juillet 2009 19:53

                      @ georges Yang

                      Erreur de ma part. Je me suis trompé de lieu. Vous avez raison : 15km à l’ouest .


                    • helios999 helios999 27 juillet 2009 19:34

                      j’ai toujours trouver les parisiens à coté de leurs pompes
                      - :)

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