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Accueil du site > Tribune Libre > Cette conscience de classe qui inquiète tant la bourgeoisie…

Cette conscience de classe qui inquiète tant la bourgeoisie…

Même si, comme je le rappelais précédemment, la France de 1914 était encore un pays majoritairement rural, Charles Benoist sait bien distinguer où sont, alors, les forces politiques montantes :

« Le Nombre - c’est le suffrage universel, et dans le suffrage universel, c’est la classe ouvrière représentée surtout par les ouvriers de la grande industrie, qui, s’ils ne sont pas le nombre mathématiquement, arithmétiquement, le sont néanmoins, du fait de leur concentration, socialement et politiquement. » (La crise de l’État moderne, II, page 42)

Pour autant que les ouvriers sont les producteurs de cette plus-value qui conditionne l’existence même du capital, et qu’ils sont l’élément moteur du Nombre dans lequel le suffrage universel trouve son expression, il est assez clair qu’il y a péril en la demeure bourgeoise. Charles Benoist n’en doute pas :
« Notre système électif permet tout : rien n’y fait frein, rien n’enraye, ni n’arrête. La loi est la loi, et le nombre est le nombre. Le nombre fait la loi, et le travail - le salarié, le prolétariat, la classe ouvrière - est le nombre. Quand même, jour par jour, institution par institution, le nombre s’acharnerait ou s’amuserait à détruire la société, du fait qu’il est le nombre, la loi n’en serait pas moins la loi. » (pages 59-60)

Ici, il nous faut marquer un temps d’arrêt devant le rôle souverain que Charles Benoist donne à la loi. Si le nombre, conduit par la classe ouvrière, vient à se rendre maître de la loi, tout devra céder devant lui, nous dit-il. Façonné(e)s comme nous le sommes par la Constitution de 1958, nous avons quelque peine à comprendre ce qu’il nous raconte là. En France, le pouvoir tout spécialement législatif est tombé si bas que son rôle dans l’élaboration des lois qui nous gouvernent est ramené à peu près à rien. Quoi qu’il en soit des formes, nous sentons bien que c’est le pouvoir exécutif qui tient notre sort entre ses mains - ce qui ne l’empêche pas d’en faire diffuser certaines modalités de mise en œuvre par un pouvoir législatif qui dépend plus de lui que de nous…

C’est que la doctrine de Charles Benoist, relayé par André Tardieu, Jacques Bardoux (le grand-père de Valéry Giscard d’Estaing) et Michel Debré, est passée par là. D’où l’intérêt d’en voir le cheminement.

Mais il n’y a pas que la classe ouvrière… Celle-ci se trouve du côté de la production des richesses. Elle ne peut y œuvrer que si, par ailleurs, l’ensemble de la collectivité se trouve disposer d’une structure d’ensemble stabilisée et organisée pour durer : l’État. De ce côté-ci également, il faut être très vigilant… Et Charles Benoist, lui, s’inquiète à très juste titre, semble-t-il, de l’impact possible du Nombre à cet endroit :
« La législation se "socialise", se "révolutionnarise", et l’État peu à peu se "syndicalise" ou se "syndicaliserait". À la longue, les prétentions et les tendances actuelles des syndicats de fonctionnaires n’iraient en effet à rien de moins qu’à une transformation de l’État par la transformation des organes de l’État, ou plutôt par la substitution radicale de nouveaux organes aux anciens. » (page 73)

Qu’il s’agisse donc de l’État, c’est-à-dire de ce qui est constitutif du pouvoir exécutif, et du législatif - pour autant qu’à l’époque de Charles Benoist, il conservait une prééminence certaine sur le premier -, tout menace d’être bientôt plié, du fait de la mise en œuvre du suffrage universel, aux volontés du Nombre placé sous la conduite de la classe ouvrière.

C’est très exactement ce que Lénine décrivait au même moment et dans la continuité de ce qu’il en avait déjà dit depuis bientôt une vingtaine d’années.

Mais regardons comment Charles Benoist ne s’y trompe pas :
« Une condition nécessaire - et peut-être la plus efficace de toutes - à la formation et au développement d’une classe, c’est la concentration, le rassemblement en un lieu. » (page 87)

Or, il s’agit ici d’un rassemblement en un même lieu d’individus que réunit une identité particulièrement significative de leur condition d’ensemble :
« Un groupement se fait ensuite par profession. » (pages 91-92)

Cette pente de l’émergence prolétarienne que Lénine monte comme à plaisir, Charles Benoist est bien décidé à la faire redescendre à la classe ouvrière. Mais on pourrait presque s’y tromper tant c’est effectivement la même pente : celle de la lutte des classes. Ainsi allons-nous suivre l’homme qui nous conduit vers Michel Debré et vers le "parlementarisme rationalisé" dans un vocabulaire aujourd’hui oublié :
« En somme, deux éléments : l’un local, l’autre professionnel ; du rapprochement naît la conscience des intérêts communs : ce n’est pas encore la conscience de classe, mais c’en est le germe ou l’amorce. » (page 92)

"Conscience de classe" ! Ouh, la, la, comme vous y allez, Charles !... Qui poursuit, le bougre :
« Ces deux éléments, nous les retrouverons jusque dans les phénomènes les plus récents, jusque dans la formation de la classe ouvrière moderne, jusque dans la composition de la Confédération générale du Travail où se rejoignent sans se confondre le groupement local, les Bourses du travail, et le groupement professionnel, les Unions ou Fédérations de syndicats. » (pages 92-93)

Quant à nous, nous avons depuis longtemps assisté à l’effet historique strictement inverse : un éparpillement physique du monde ouvrier, une déstructuration des identités professionnelles… et à la disparition quasi-totale de la conscience de classe…

Dans ce contexte nouveau, la Constitution de 1958 ne fait pas que brider les couches antérieurement exploitées : elle les chasse de toute réalité sociale.


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11 réactions à cet article    


  • César Castique César Castique 17 avril 2015 13:17

    « Cette conscience de classe qui inquiète tant la bourgeoisie… »



    Le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient, et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet. Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de Meaux.


    La conscience de classe, c’est de l’intellectualisme à deux balles pour torturés du bulbe, qu’aucun prolo n’éprouve spontanément. Il faut la lui seriner au long d’interminables réunions de formatage, et à la fin, il ne parvient quand même pas à voir ce qu’il a en commun, hormis le statut de salarié, avec Alfousseini, éboueur malien, ou avec Boudjemaa, mécanicien d’origine algérienne, qui, hors du boulot, ne fraie qu’avec des musulmans et a installé une parabole sur son balcon, pour regarder la télévision de là-bas, parce que les chaînes françaises sont pleines de programmes immoraux, 

    • Séraphin Lampion P-Troll 17 avril 2015 14:05

      @César Castique

      Tu devrais te rincer la bouche, maintenant !

    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 17 avril 2015 14:27

      @P-Troll
      Merci pour ce petit bijou.


    • César Castique César Castique 17 avril 2015 15:50

      @P-Troll



      « Tu devrais te rincer la bouche, maintenant ! »


      J’y vais de ce pas, parce que ça me prendra bien moins de temps qu’à ceux qui devraient se récurer les neurones.

    • mmbbb 17 avril 2015 21:42

      @Michel J. Cuny les prolos ne lisent certainement votre Les prolos sont des prolos comme en Chine et en Urss ils se sont fait baiser par les bourgeois revolutionnaires


    • lsga lsga 17 avril 2015 17:40

      Lénine... avant qu’il n’instaure la Tchéka et le conseil suprême de l’économie nationale...

       
      Votre conclusion est bien trop pessimiste. Vous confondez manouvriers et prolétaires, ce faisant, vous ressemblez à un poujadiste qui se lamente de voir le petit commerce écrasé par la grande distribution. Non, la classe ouvrière ce n’est pas uniquement ceux qui travaillent à la chaîne. La Classe Ouvrière : c’est tout ceux qui vivent en vendant leur force de travail, l’ensemble des salariés ou des travailleurs journaliers. 
       
      La classe ouvrière est en constitution. En Europe, elle n’est constituée que depuis les années 90 environ (80% de la population devient salariée en France vers les années 90). Au niveau mondial, la classe ouvrière Chinoise vient simplement de se constituer dans les années 2000, et la classe ouvrière Africaine devrait émerger dans les 20 ans. Les réformes libérales commencent seulement à faire leurs effets : l’unification du niveau de vie, du niveau de revenus, non seulement dans un même pays, mais à l’échelle de la planète. Nous sommes spectateur de la naissance du véritable prolétariat mondial, unifié, universel. Les prolétariats du 20ème siècles n’en ont été que la larve, et seule l’idéologie marxiste et la morale bien-pensante arrivaient effectivement à les unir tant bien que mal. Maintenant, nous allons tous être uni, pour de vrai, dans un même grand marché mondial, avec des niveaux de vie et des styles de vies comparables, avec les mêmes problèmes partout sur la planète. Le monde totalement mondialisé et globalisé que décrit Marx dans le Manifeste commence seulement à émerger véritablement. 
       
      La vie des hommes est courte, et l’Histoire a tout son temps. 
      Il aurait été préférable que nous arrivions à instituer le Socialisme avant que 80% de la population mondiale ne soit prolétaire (urbaine et salariée). Tant pis, ce n’était peut-être tout simplement pas faisable, en tout cas, il fallait essayer.
       
      Avant le début des années 50, les conditions nécessaires au Socialisme vont être réunis, et le Capitalisme ne sera plus possible sauf à s’appuyer sur une répression insoutenable. Bref : le Communisme, ce sera probablement au XXIème siècle, au plus tard au début du XXIIème. 300-400 ans : on est très proche de ce que Marx avait évalué. 



      • Séraphin Lampion P-Troll 17 avril 2015 18:05

        @lsga

        Isga a déposé le brevet et la raison sociale marxistes à l’INPI !

        C’est sa propriété intellectuelle, et, quoi que vous disiez qui s’y rapporte peu ou prou, vous direz des conneries.

        Il n’y a qu’Isga qui sait !

      • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 17 avril 2015 18:43

        @P-Troll

        Et c’est sans doute pour cela qu’on l’aime !


      • Ben Schott 18 avril 2015 12:12

        @lsga

        " Avant le début des années 50, les conditions nécessaires au Socialisme vont être réunis, et le Capitalisme ne sera plus possible sauf à s’appuyer sur une répression insoutenable. Bref : le Communisme, ce sera probablement au XXIème siècle, au plus tard au début du XXIIème. 300-400 ans : on est très proche de ce que Marx avait évalué. "

        Je vois que vous avez lu tout Marx mais aussi tout Nostradamus.


      • Marc Chinal Marc Chinal 17 avril 2015 18:31

        C’est beau la religion....


        • César Castique César Castique 17 avril 2015 23:15

          @Marc Chinal


          « C’est beau la religion.... »


          Ouais, mais c’est toujours entaché d’obscurantisme, lié au caractère charbonnier de la Foi. 


          Marx a dit..., Engels a dit..., Lénine a dit..., Staline a dit..., Mao a dit..., et au bûcher le mécréant !

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